Gestion des affaires publiques : «Quand un pays affronte une situation critique, il incombe aux dirigeants de prendre les mesures adéquates, de ne pas faire semblant», Mamadou Igor Diarra, ancien ministre
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Nous sommes en 2015. Un ministre d’un des nombreux gouvernements d’IBK fait des révélations dans son livre intitulé: «C’est possible au Mali». Un ancien ministre de l’Économie et des Finances diminue de 20% les dépenses de l’État. Le Mali serait-il condamné à l’inefficacité et à la délinquance étatique ? Rien, n’irait donc dans le bon sens dans notre pays ? Ces jugements sont hâtifs et excessifs. La vie m’a appris que la force de sa seule volonté permet de déplacer des montagnes lorsqu’on réunit des équipes déterminées et désintéressées. Lorsque je songe à l’énorme masse d’argent gaspillée dans les dépenses de fonctionnement des administrations, ou engloutie dans une corruption parasitaire, je me prends à rêver d’un de FCFA tat honnête et raisonnable. Un État qui, récupérant ces fonds pour servir l’intérêt général, pourrait quasiment se passer de l’aide extérieure et assurer le bien-être de ses compatriotes à la vie trop rude.
Un ancien ministre de l’Économie et des Finances raconte comment il a pu diminuer de 20% les fonds alloués à la présidence, à la primature, à l’Assemblée nationale et aux ministères. «Personne n’en est mort; j’y ai juste perdu quelques amitiés». Le Mali n’a pas besoin de cortèges somptueux quand ses dirigeants se déplacent, ni de voyages internationaux incessants qui paralysent le sommet de l’État, et pas davantage d’une diplomatie pléthorique. Le parc de véhicules de l’État est largement surdimensionné en nombre et en puissance moteur. Les dépenses d’électricité, d’eau, de carburant ou de téléphonie des administrations centrales frisent parfois le délire.
L’autre fuite est constituée par les malversations et les abus de biens publics, nombreux, parfois massifs. Pour ce que j’ai pu juger lorsque j’étais ministre de l’Économie et des Finances, ce sont des milliards qui sont détournés chaque année. Un virus actif dans toutes les strates des administrations publiques. Au terme d’un parcours bien laborieux du gouvernement du Premier ministre Moussa Mara, la situation économique et financière du pays restait préoccupante. En dépit des efforts de mon prédécesseur, souvent critiqué à tort, personne n’en avait la maîtrise.
Le 10 janvier 2015, date de mon entrée en fonction, les «instances de paiement» mises à jour totalisaient 200 milliards de francs. Sous le terme administratif d’«instances» se cache une réalité cauchemardesque pour ceux qui attendent des règlements de la part du Trésor public. Il s’agit en effet de dettes coincées «dans le circuit», comme les Maliens ont l’habitude de se le dire.
En bref, un commerçant qui a vendu à l’État du matériel de bureau doit attendre la décision de «l’administration» et la trésorerie disponible pour que son règlement en «instance» devienne effectif. Or nous savons tous que débloquer des situations de ce genre peut se heurter, soit au mauvais état des finances publiques, soit aux lourdeurs du service, soit à la recherche de petits arrangements illicites. Du coup, les contentieux avec les créanciers sont légion et encombrent l’action de l’administration.
À cela s’ajoutait le gel de nos relations avec la majeure partie des partenaires étrangers, défavorablement impressionnés par l’affaire dite «de l’avion»- un appareil acquis par l’État pour assurer les déplacements du président de la République, acquisition dont l’opposition conteste le montant et l’utilité- ainsi que par un contrat d’équipements militaires largement critiqué.
Des appuis budgétaires, considérés comme acquis, étaient engloutis dans ces polémiques. Les recettes fiscales, elles aussi souffraient. Les douanes avaient pris l’habitude d’annoncer la recette du mois tous les quarante-cinq (45) jours, pour obtenir des chiffres correspondant aux objectifs. Les droits, taxes et Impôts étaient tout aussi douteux.
En dépit de l’enthousiasme et de la détermination de mon ancien collègue, Me Mohamed Ali Bathily, en charge de cette administration, le service des domaines ne générait plus de recettes, du fait de la suspension des opérations foncières, dans l’attente de la tenue des élections municipales indéfiniment reportées.
Du côté des dépenses, les problèmes étaient tout aussi nombreux. Le gouvernement précédent avait pris vis-à-vis des partenaires sociaux, des engagements à hauteur de presque 30 milliards de francs CFA mais avoir pu budgétiser les ressources correspondantes. Sans compter l’impact du nécessaire appui au Nord et de la Loi d’orientation et de programmation militaire (LOPM), dépenses justifiées sur le principe, mais dont il fallait néanmoins financer au total les 200 milliards de francs CFA d’engagements nouveaux. 200 milliards de francs CFA d’instances dues au nom du passé immédiat auxquels il fallait ajouter 200 milliards de francs CFA à injecter dans le futur proche; le pays était en guerre; les ressources notoirement insuffisantes. Le temps était compté. Il y avait de quoi devenir fou !
On ne fait pas du neuf avec du vieux, qu’il s’agisse des ressources humaines ou des méthodes de travail
Je décidai de prendre le taureau par les cornes. Lors du deuxième Conseil des ministres du nouveau gouvernement, je proposai un véritable séisme, un traitement de choc: le changement des responsables de toute la chaîne des dépenses et des recettes publiques (budget, Trésor, payeur, receveur des recettes, marchés publics, PMU, dettes publiques et douanes). Un véritable tsunami avec des effets en cascade sur les échelons inférieurs de la hiérarchie. Je ne gardai auprès de moi que l’infatigable Secrétaire générale du ministère, Zamilatou Cissé, une femme courageuse et compétente, et quelques conseillers.
Les jalousies et les rancœurs prenaient feu. Mais on ne fait pas du neuf avec du vieux, qu’il s’agisse des ressources humaines ou des méthodes de travail. De ce choix, il ne faut pas conclure que les cadres relevés ont tous démérité. Certains oui, et je connaissais leurs pratiques, mais d’autres ont consciencieusement accompli leur tâche dans le cadre qui leur avait été fixé. Je voulais impulser un nouvel élan, une nouvelle culture. Les objectifs étaient ambitieux. L’intégrité et la disponibilité étaient requises. Je suivais en permanence les résultats des administrations sur mon téléphone et ma tablette qui ne me quittent jamais. L’esprit d’innovation était recommandé et promu. Lorsqu’il s’agit d’agir pour mon pays, je n’ai jamais rien lâché.
À la tête d’un État, il faut des hommes fermes et rigoureux. Il faut aussi la sincérité, même lorsqu’elle est impopulaire et difficile à entendre. Quand un pays affronte une situation critique, il incombe aux dirigeants de prendre les mesures adéquates, de ne pas faire semblant. Cela équivaudrait pour un médecin à mentir à son patient en lui disant que tout ira mieux alors qu’il le sait condamné.
Source: «C’est possible au Mali»
Inter De Bamako