A Gao, le départ des troupes françaises est sur toutes les lèvres. Dans les grins et autres lieux de regroupements, les partisans et adversaires donnent leurs avis. Le reportage de notre envoyé spécial dans la cité des Askias.
Nous sommes à quelques jours de l’élection présidentielle française, scrutée de très près par les populations de Gao. Pour l’instant, en attendant le verdict des urnes, le débat du départ de Barkhane est sur toutes les lèvres créant des pro et anti départ de Barkhane.
Pour les partisans de la force Barkhane, ce départ est loin d’être acté. Car tout se jouera lors de l’élection présidentielle. Selon eux, si Macron rempile pour un second mandat, Barkhane va partir sans doute et s’il perd les élections Barkhane reste. D’après eux, le nouveau Président qui occupera l’Elysée va changer la politique extérieure pour permettre à Barkhane de rester.
Pour les détracteurs, il faut que Barkhane parte avec ou sans Macron. L’armée française, au lieu de stabiliser le Sahel en a fait un bourbier. Emmanuel Macron a invité ses alliés européens et américains à combattre aux côtés des troupes françaises au Sahel, il n’y a toujours pas de lisibilité dans cette guerre contre le terrorisme. « A Gao, nous préférons les coopérants russes », disent-ils.
Les inquiétudes des employés de Barkhane
L’annonce du départ de la force Barkhane a créé des inquiétudes au sein des employés de la force Barkhane à Gao. Alors qu’à Bamako, nous avons fêté le départ de Barkhane, à Gao depuis cette annonce, l’inquiétude s’est installée au sein des hommes et femmes qui travaillent pour cette force. Barkhane, au-delà de son aspect sécuritaire, fait travailler plus de 500 personnes toutes natives de Gao, selon un employé.
Avec ce départ annoncé de Barkhane, tous ces gens vont se retrouver au chômage. Déjà ceux dont les contrats ont expiré et que Barkhane doit renouveler est suspendu pour l’instant. Ibrahim Moussa fait partie des gens qui attendent avec impatience le renouvellement de son contrat. « J’avais un contrat de 4 mois avec Barkhane. Le contrat a pris fin en janvier, mais Barkhane l’a suspendu pour l’instant. Pour être honnête avec vous, je ne veux pas que Barkhane parte d’abord pour la sécurité de Gao, mais aussi pour l’emploi qu’elle offre à la population », dit-il.
En dépit de cette annonce, Fatoumatou Haïdara, veuve, ne sait plus sur quel pied danser. « J’ai deux fils qui travaillent avec Barkhane. Ils sont l’espoir de la famille, leur père est décédé et ce sont eux qui prennent soin de moi et de la famille. Si Barkhane plie bagage qu’est-ce qu’ils reviendront ? ». Se demande-t-elle.
Mahamadou Maïga, animateur de radio à Gao : « J’anime une émission très écoutée intitulée ‘’rap attaque’’. C’est à travers cette émission que Barkhane est venue vers moi en appuyant financièrement la radio pour faire des shows de conscientisation, mais aussi passer des communications sur Barkhane. Avec le départ annoncé de Barkhane, ça serait de l’amertume pour moi ceux qui travaillent avec moi aussi », vocifère-t-il.
Alassane Touré, menuisier : « Je travaille avec Barkhane depuis plus de six ans. Je sais que Barkhane n’est pas là pour l’éternité. Mais ce départ précipité va créer un boom des chômeurs à Gao et va accroître davantage le banditisme dans la ville. »
Les prix flambent
A quelques jours du mois de ramadan, les prix des denrées de première nécessité ne cessent de flamber à Gao.
Washington, le grand marché de Gao, les prix des denrées de première nécessité connaissent une hausse vertigineuse. Alors que le mois de ramadan arrive à grand pas. A Gao, les populations que nous avons demandées ne comprennent pas cette flambée des prix. Les commerçants évoquent la situation que traverse le pays, mais surtout les sanctions imposées par la Cédéao.
L’huile, le spaghetti, la farine, les dattes, le carburant la quasi-totalité des produits cités viennent de l’Algérie. « A Gao, les commerçants profitent de toutes les situations qui se présentent pour augmenter les prix et la Chambre de Commerce de Gao ne fait rien pour cela », a expliqué Fadi Touré une ménagère.
Cependant avec la levée des sanctions par la Cour de Justice de l’Uémoa, la population de Gao attend avec patience une baisse drastique des prix sur les produits pour passer un agréable mois de ramadan. Dans la même mouvance, une foire est en cours de préparation à Gao pour permettre à la population d’acheter les denrées à des prix abordables avant le mois de carême.
L’armée contrôle N’Tahaka
Située à 60 kilomètres de Gao. La ville de N’Tahaka est en proie à une insécurité chronique. Il y a un mois de cela, le camp militaire des FAMas a été la cible d’une attaque terroriste à N’Tahaka. Le gouvernement a fait état de deux morts. Une source locale sur le terrain a confirmé le même bilan.
Ces derniers jours, l’armée a intensifié les frappes aériennes dans la zone jusqu’à Gossi. Un mois après cette attaque, l’armée malienne a repris le contrôle de la ville en créant un poste de contrôle alors que N’tahaka relève du poste de contrôle de Gao. Avec les frappes de l’aviation, lors de notre passage, les travaux continuent pour fortifier le camp.
Suite à l’annonce du président français, Emmanuel Macron du retrait coordonné de la force Barkhane sur le territoire national. Pour l’instant aucun chronogramme de départ officiel de Paris n’a été communiqué. Mais sur le terrain, les manœuvres de désengagement ont déjà commencé. Selon plusieurs sources locales, les bases avancées de Barkhane à Gossi et Ménaka ont débuté. Ces derniers jours, nous voyons des matériels lourds dans des conteneurs escortés par des avions », nous a affirmé un habitant de Gossi que nous avons demandé lors de notre escale dans la ville.
Une information confirmée par un responsable de la force Barkhane que nous avons interrogé hors micro à Gao, où se trouve la plus grande base militaire de la France. « Deux semaines après l’annonce du Commandant en chef, nous avons commencé les manœuvres de désengagement sur les bases avancées de Gossi et Ménaka hors du Mali », nous a-t-il confié.
Sur la question de l’échec de la mission de Barkhane au Mali et dans le Sahel, l’armée française a balayé d’un revers de la main toute idée « échec ». « La force Barkhane continue toujours sa mission de lutte contre le terrorisme au Sahel », a rétorqué cet autre militaire français.
Si les militaires français nient tout échec de leur engagement au Mali en 2013. Pour Mohamed Touré, enseignant à la retraite à Gao sur toute la lignée, l’intervention militaire française au Mali a été un échec. « L’armée française est intervenue au Mali pour deux raisons. D’abord recouvrir l’intégrité du Mali et la lutte implacable contre le terrorisme. En regardant de très près Kidal échappe toujours au contrôle de l’Etat malien et les djihadistes ne cessent de gagner du terrain », a-t-il affirmé.
Avec ce départ annoncé, à Gao les populations craignent un scénario comme en Afghanistan une fois que le départ des militaires français est acté. Aujourd’hui, il y a un semblant de sécurité à Gao. Les djihadistes sont à quelques kilomètres de la ville avec la situation qui prévaut à Tessit. Au camp militaire de Gao, autour d’un thé, des militaires maliens m’ont affirmé que ce scénario n’arrivera pas. « Nous avons des moyens pour faire face à toute attaque djihadiste », rassurent-ils.
Pour l’instant, avant leur départ, la base de Gao continue de faire la rotation. Un employé m’a chuchoté que pas moins d’un mois, des nouveaux éléments sont venus faire la relève. Alors que les autorités françaises ont donné quatre à six mois pour quitter le Mali. Ce dernier reste perplexe sur le départ de Barkhane au Mali et se demande même si Barkhane quittera même le Mali ? D’après lui, la France est loin d’être sur le point de partir.
Ousmane Mahamane
(Envoyé spécial à Gao)
Mali Tribune