Fousseynou Ouattara, president du COREMA : « Il faut un remaniement ministériel parce que… »
Meguetan Infos
Certes un soutien de taille pour les autorités de la transition, mais les responsables du Corema n’ont pas leur langue dans la poche quand il s’agit de dire la vérité à leurs amis. Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, le président du Corema non moins vice-président de la Commission de Défense du Conseil national de Transition, Fousseynou Ouattara, a invité Assimi Goïta à un remaniement du gouvernement.
L’ALERTE : Comment se porte le Mali après la deuxième phase de la transition politique ?
Fousseynou Ouattara : Le Mali se porte de façon comme si on prend l’hôpital, on donne la température moyenne. C’est sûr que d’autres vont très mal, d’autres assez et d’autres bien. Voilà en gros l’état de santé du Mali pendant deux ans de transition.
Quelle lecture faites-vous de la décision du gouvernement d’interdire les activités des ONG françaises intervenant au Mali ?
Je pense que cette décision est à saluer parce que nous-mêmes, en tant que Corema, depuis l’année passée, on avait demandé au ministre de l’Administration territoriale de publier les ONG qui bénéficient les aides de la France et de publier les montants alloués à chacune de ces ONG. Je pense qu’à part l’effet d’annonce qu’on veut croire au Mali que le développement du Mali était lié à l’aide publique au développement, le Mali n’a rien à craindre de tout cela. Je m’explique. Si vous prenez même le concept de l’aide publique au développement, c’est quelque chose qui a été mise en place par la France depuis belle lurette pour encadrer le développement des anciennes colonies. C’est pour essayer de contrôler notre niveau de développement pour qu’on reste dans une dépendance totale vis-à-vis de l’ancien colon. Les chiffres généralement annoncés comme étant de l’aide pour nous, il faudrait voir le décaissement réel de ces chiffres et vous devrez savoir que ce qui est annoncé et ce qu’on reçoit ici. Presque 60% de ces sommes vont dans le fonctionnement et non pas dans les investissements. C’est pourquoi, nous ne voyons pas un grand résultat de tout ce qui est annoncé pour le développement du Mali.Il y a des gens qui bénéficient. Peut-être, ils croient que la France nous aide. Non ! C’est la France qui bénéficie de tout cela. Aujourd’hui, le Mali a la possibilité de s’en sortir sans la France. Je pense que le gouvernement mettra en place des dispositifs pour pallier l’absence de telle aide. Il faut que les uns et les autres sachent que depuis fin 2020, le budget malien ne reçoit rien, pas un kopeck de la France. Ce qui concerne le budget malien, il y a plus de 2 ans déjà que nous vivons sans aide publique au développement de la France. Peut-être, les ONG qui ont peur, nous pouvons voir réellement sur le terrain quels étaient leurs apports. Si ce sont les ONG dont le travail était bénéfique pour la population, c’est sûr que le gouvernement trouvera de l’argent pour que ceux-ci puissent continuer leur travail. Mais si ce sont des ONG qui étaient là à établir des rapports fallacieux sur les FAMa, je ne pense pas que le gouvernement financerait de telles ONG. Cela se comprend aisément.
La multiplication des préavis de grèves, n’est-ce pas un indicateur de l’incapacité des autorités de la transition à répondre à la demande sociale ?
Je suis tout à fait d’accord sur ce point. Il semble qu’il y a certains membres du gouvernement qui ont cru que tous les problèmes du gouvernement sont résolus et qui sont en train de gérer le quotidien. Ils n’anticipent sur rien sinon, ils auraient dû prendre des mesures pour pouvoir rencontrer les forces vives de la nation, essayé de rencontrer les jeunes pour trouver des solutions pour qu’ils puissent croire en leur avenir. Mais s’il y a des ministres qui sont préoccupés par eux-mêmes, par leur devenir et ont oublié que nous sommes dans une phase de transition et qu’il faut doubler d’effort. Il faut se surpasser soi-même souvent pour venir trouver des solutions aux besoins de la population. Parce que, là où le monde est aujourd’hui, vous savez que ce n’est le Mali seulement qui est en difficulté mais, c’est à chaque pays d’anticiper sur certaines choses. Aujourd’hui, malheureusement, il y a beaucoup de ministres qui ne sont pas à la hauteur. J’ai eu à le dire en tant que manager. En temps de crise, il faut des managers de crise. S’il n’y a pas de crise, peut-être que beaucoup de ces ministres sont très bon mais en temps de crise, malheureusement, leurs compétences ne sont pas avérées.
Face à la situation, n’est-ce pas qu’un remaniement du gouvernement s’impose ?
Depuis avant-hier, nous aurions dû le faire. Plus nous perdons du temps à le faire, plus la situation se dégradera parce que la maîtrise même dans de telle chose, c’est de faire les choses à temps. Il faut savoir qu’il y a les choses quand on mesure le moment, l’heure et le lieu de prendre de telles décisions. Il faut le faire à temps. Si on ne le fait pas, même si vous prendrez cette décision, cela trouvera que la situation s’est dégradée. Il faut rapidement essayer de redynamiser le gouvernement pour que nous puissions faire face à ces défis.
Par rapport à la cherté de la vie, les Maliens qualifient les mesures d’accompagnement comme de la poudre aux yeux. N’est-ce pas une mauvaise maitrise des dossiers ?
C’est pourquoi j’ai dit que dans les moments de crise, il faut des managers de crise. Parce que ce que vous avez dit concernant la cherté, la marge de manœuvre de notre gouvernement est très restreinte. Parce que nous utilisons une monnaie dont nous n’avons pas la maîtrise. Quand il y a une inflation dans tous les pays, c’est la Banque centrale qui essaye d’intervenir. On voit que la Bceao qui nous est commune, a déjà augmenté son taux d’intérêt. Mais les pays diffèrent et les difficultés diffèrent. Donc, cela ne peut pas nous convenir. Pour que nous puissions y faire face, il faut faire de la communication d’abord, annoncer aux gens les difficultés qui les attendent et qui ne dépendent pas de nous. Par exemple : notre monnaie est amarrée à l’euro qui était tombé par rapport au dollar. Ce qui a fait pour un commerçant malien qui va à l’extérieur, sur chaque 1 dollar qu’il dépense, il y avait 100F de plus. Cela n’était pas lié au fait que le prix de la denrée avait augmenté. Parce que celui qui vendait en dollar l’a toujours vendu à 100 dollars. Il ne l’a pas augmenté. Mais le fait que 100 dollars qu’on payait ici à 56 000F, du jour au lendemain, le commerçant était obligé de payer ça à 68.000F. Vous voyez cette différence va se répercuter sur le prix des denrées. Avant par exemple, un conteneur de 20 pieds qu’on pouvait amener de Chine pour 6 millions de FCFA, s’est retrouvé à 11 ou 12 millions de FCFA. Ce sont des difficultés qui ne dépendent pas du gouvernement. Le gouvernement peut gérer en intervenant pour maîtriser les prix. Malheureusement, au Mali, on a tendance à écouter souvent les cadres de la Dgcc qui disent que les prix sont liés. Ils sont comme ça alors que tout pays qui ne parvient pas à maîtriser les prix en temps de crise, c’est pour ouvrir la voie à des révoltes. Je pense que ceux-ci, comme je les dis, sont des gens qui sont toujours dans les fauteuils doués pour gérer les crises. Ils ne le font pas. Peut-être, ils profitent pour eux-mêmes. Il faut qu’on prenne des mesures rigoureuses pour voir comment on peut surveiller les prix. Sinon, les uns et les autres ont profité du fait qu’il y a des difficultés. Même les produits qui sont fabriqués chez nous, qui sont cultivés ici, qui ne sont pas sujets à ces difficultés, les gens ont augmenté les prix. Récemment, j’ai vu des articles qu’on vendait à 100 FCFA mais ils sont vendus à 200FCFA aujourd’hui. Cela ne s’explique pas parce que ceux qui doivent diriger ou surveiller ces prix-là ne font pas leur travail. Moi, à la place du gouvernement, dès demain, je mettrai en place une direction qui s’occupera du commerce et une direction pour surveiller les prix pour que des gens ne profitent pas pour s’adonner à des spéculations sur le dos des Maliens.
Pourquoi certains soutiens de la transition dénoncent des décisions des autorités comme le cas de Ben le cerveau ?
Je ne vais pas personnaliser le débat. Je vais parler de façon générale. Quand on soutient quelque chose, on doit s’attendre que tout ne sera pas rose à tout moment. Il peut y avoir des malentendus. Il peut y avoir des désaccords mais cela ne veut pas dire qu’on doit aller à l’épreuve de force. J’ai l’habitude de le dire, si ce qui nous réunit est réellement l’amour du Mali, on doit toujours pouvoir s’entendre. Peut-être que si quelqu’un se fâche, il croit qu’il aurait dû avoir quelque chose et qu’il ne l’a pas eu. Mais si on conditionne notre soutien à une attente et que nous n’avons pas ça, les frustrations arrivent. Malheureusement, nous nous sommes le Corema, nous ne sommes pas dans de telle logique. Quel que soit le coup qu’on nous porte, nous sommes là, nous nous battons pour le Mali et nous continuerons à le faire. La transition est en train d’avancer. Il faut savoir pourquoi et comment la transition a pu avancer. Pour qu’elle avance, il a fallu qu’on quitte une orbite. C’est-à-dire l’orbite de la France. Tous ceux qui connaissent bien les politiciens français, eux-mêmes, ils ont dit que les conséquences seront graves pour le Mali. Donc c’est sûr que ces gens seront dans les manœuvres pour nous disperser d’abord, nous diviser et afin nous abattre. Donc à nous d’être plus forts que ça pour ne pas tomber dans ce piège que ces gens sont en train de nous tendre en inondant l’espace d’information. Parce qu’il y a une guerre d’information qui est là. On le sait, on le voit chaque jour, il y a des informations qui sortent et qui sont en train d’embrouiller les Maliens. Ceux qui ne savent pas analyser, ceux qui se laissent guider, ceux qui s’adonnent à des sentiments de frustration, je crois qu’ils vont conduire la transition à sa perte. Nous ferons tout pour barrer la route à de telles tentatives.
Selon vous, la démarche du gouvernement par rapport à l’avant- projet de la nouvelle Constitution est-elle la bonne dans la mesure où le document ne fait pas l’unanimité ?
Nous avons déjà donné notre avis concernant l’avant-projet de la Constitution. Notre remarque s’est portée sur la langue, sur la prise en charge de la déclaration de Charte de Kurukanfuga et autres choses. Pour ce qui concerne l’Adema, je pense que les temps ont évolué. Le rôle que l’Adema jouait avant est révolu. Nous sommes dans des conditions difficiles aujourd’hui. S’il y a un parti qui doit se demander pourquoi, c’est bien l’Adema. Si l’Adema avait des ressources, des réflexions pour pouvoir développer le Mali pour qu’on ne tombe pas dans de telles conditions, nous n’en serons pas là aujourd’hui. Je pense qu’il doit mettre un peu d’eau dans son vin et essayer de ne pas faire des déclarations qui vont dégrader encore la situation socio-politique.
Selon certaines indiscrétions, il y a des rencontres secrètes entres des partis politiques, des organisations de la Société civile et des leaders religieux. N’est-ce pas une source d’inquiétude pour la stabilité politique et sociale ?
Je n’ai aucune information sur ça. Le Corema, dans sa logique, ne rencontre personne qui ne parle de la transition que pour semer des troubles. D’ailleurs, les gens ne vont pas venir parce qu’ils savent que notre position est claire, soulignée et bien dégagée. Tous ceux veulent accorder leurs aides pour le développement de Mali, pour la refondation du Mali sont les bienvenus. Chaque jour, nous recevons de nouvelles adhésions. Même le samedi, il y a un grand groupe qui est venu faire son adhésion. C’était public.
La démarche de la Justice répond-elle aux besoins de la lutte contre la corruption avec plusieurs personnes détenues depuis des mois sans jugement ?
Ce sont des choses qui ne sont nouvelles, surprenantes au Mali. Ce sont des choses qui se font depuis belle lurette. Il y a 10, 20, 30 ans, vous trouverez dans nos prisons des gens qui sont en attente pour leur jugement. Si aujourd’hui, la transition a un problème, c’est bien la justice. Je pense que c’est l’un des volets que nous ne maîtrisons pas. La justice évolue d’elle-même. Si la transition pouvait manipuler la justice, elle l’aurait fait depuis longtemps. La justice, comme vous le savez, au Mali, nos magistrats sont libres. Personne ne peut faire la pression sur eux.
De plus en plus, certaines organisations internationales des droits de l’homme dénoncent les opérations de l’armée malienne au Centre. Qu’avez-vous à dire en tant que vice-président de la Commission de défense du CNT ?
La situation sécuritaire générale du pays dans l’ensemble est très satisfaisante. Seulement, il y a des gens ou des pays qui avaient bien voulu faire croire que la situation du pays dépend d’eux et que sans eux, elle allait se détériorer. Vous avez vu que même la ministre des Affaires étrangère française a eu à dire que depuis le départ de Barkhane, la situation s’était un peu partout dégradée et qu’il n’y a pas un seul lieu au Mali où la sécurité était assurée. Comme vous et moi, nous savons que cela est loin de la vérité. Donc les efforts des FAMa aujourd’hui sont visibles mais malheureusement avec la guerre informationnelle, la France veut faire croire que sans elle, nous ne sommes pas capables d’assurer notre propre sécurité. Alors que notre ministre de la Défense et des Anciens combattants a bien rassuré que si le Mali a besoin de quelque chose aujourd’hui, ce n’est pas la présence des troupes étrangères sur son sol. Parce que les FAMa eux-mêmes peuvent assurer la sécurité. Donc qu’il n’en déplaise à la France, la réalité est que les FAMa sont en train de faire du beau travail. J’avais avant que ce sont des ONG qui ont toujours bénéficié de l’aide publique de développement de France. Ces ONG ne font que prouver leur efficacité en produisant des rapports fallacieux pour pouvoir bénéficier encore de beaucoup aides de la France. C’est pourquoi, le gouvernement a pris une très bonne décision parce que des ONG qui sont financées par un pays qui est un support du terrorisme, support des groupes terroristes, leur rapport ne sont pas des rapports en lesquels on peut faire confiance. Donc tout ce qui est rapporté concernant ce centre par ces ONG, je pense que ce sont des choses desquelles il ne faut pas tenir compte.
Un dernier mot pour vos concitoyens
Pour le pays, je demande aux uns et autres de se débarrasser des anciennes habitudes. C’est-à-dire chanter le pouvoir en place pour pouvoir accéder à des privilèges. Donc aujourd’hui, on doit se donner la main et cheminer ensemble pour le développement du pays. Il ne faut pas que nous trouvions un ennemi ou que nous cherchions des ennemis entre nous. Notre ennemi est connu. C’est celui qui nous maintient dans la dépendance. Aujourd’hui, toute l’Afrique est fière du Mali. Je pense que nous devions tout faire pour que les autres Africains ne soient pas déçus de nous, tout faire pour qu’ils puissent profiter de notre expérience et se débarrasser du joug des anciens colons.
Réalisée par Nouhoum DICKO
L’Alerte