“Vous ne serez pas puni pour votre colère mais par votre colère”.
Il n’est pas sûr que la culture européocentriste de François Soudan de Jeune Afrique lui permette d’accéder à cette perle de Boudha qui lui aurait apporté un peu d’apaisement et de zénitude pour s’épargner à lui-même et aux dirigeants Maliens le torrent de boue dont il couvre le discours du Premier ministre par intérim, Abdoulaye Maïga, à tribune des Nations-Unies et par finir toute la Transition malienne.
Il est vrai que François Soudan a l’oreille sensible des grands seigneurs, qui du haut de son Donjon ne peut souffrir du représentant d’un “petit pays” comme le Mali des mots indociles, des expressions acide teintées d’humour, bref tout ce qui sort du registre habituel de la vassalité. Quel pays, plus que le Mali, a essuyé tant de quolibets, de diatribes et même d’injures de la part des dirigeants français depuis les événements du 24 mai 2021, eux-mêmes se situant dans le prolongement du fameux sommet sur le financement des économies africaines à l’Élysée ? L’histoire de cette rencontre à Paris reste à écrire tant elle a créé des lignes de fracture dans la marche de la Transition et provoqué la mise à l’écart de Bah N’Daw et de son premier ministre que Macron, du haut de sa statue de Commandeur, félicitait lors du sommet du G5 à Ndjamena en février 2021 pour l’énorme travail abattu en quelques mois, en comparaison des longues années de tergiversations de IBK. C’était, soit dit en passant, la première mort de IBK qui ne vivait que pour être a adoubé, certifié, labélisé par la “Métropole”, qui s’essuyait impitoyablement les pieds sur ses efforts de collaboration dans la lutte contre le terrorisme.
Le combat à fleurets moucheté commença quand les nouvelles autorités maliennes ont commencé à opiner sur le bilan de Serval-Barkhane et de ses résultats insuffisants au regard des attentes des Maliens et même des objectifs d’engagement fixés par Paris au début de l’opération.
Le pays de François Soudan déniait ainsi au peuple souverain du Mali, dont des citoyens avaient donné le nom de François Hollande à leurs enfants en guise de reconnaissance, tout jugement réservé sur la présence militaire française.
On ne va pas trop importuner le grand journaliste en lui rappelant la décision unilatérale de l’état-major français d’interrompre la collaboration entre Barkhane et les Forces armées maliennes, mais le bras de fer feutré se mua en combat sabre au clair dès l’évocation par le Mali des premières hypothèses de travail avec d’autres partenaires dans le cadre de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme. Le raffinement français tant vanté céda le pas à une bordée de propos acrimonieux de Jean-Yves Le Drian, Florence Parly, de députés et sénateurs lancés dans un concours d’inélégance que le président Macron lui-même agrémentait de ses formules blessantes.
L’avalanche était telle que les 2 Abdoulaye (Diop et Maïga) sont restés constamment sur la brèche de la réplique jusqu’à devenir les icônes d’une résistance au refus de subordination.
À ce premier front (France vs Mali), va s’ajouter un second qui opposera notre pays aux organisations régionales (CEDEAO, UEMOA). Il faut d’emblée lever toute équivoque sur l’utilité et les réalisations des organisations régionales ouest-africaines. Il faut se rendre en Afrique Centrale ou australe pour mesurer les progrès dans notre région en matière d’intégration, de libre circulation des personnes et de leurs biens, du droit de résidence et d’établissement. Il ‘y a guère, il fallait un visa pour partir du Gabon au Cameroun, de RCA en Guinée équatoriale. Mais le bras de fer avec le Mali a montré comment notre solidarité peut être vulnérable et surtout instrumentalisée par un pays extérieur, la France en l’occurrence, dans le sens de ses propres intérêts. Macron a manipulé la CEDEAO jusqu’à la caricature mais vous ne lirez jamais ça sous la plume sentencieuse de François Soudan. Il nous restera le triste souvenir de pépites comme « j’en parlerai à Nana Akufo-Ado » (de Macron voulant corser les sanctions contre le Mali), les visites de Alassane Ouattara à Paris à la veille ou à la fin de chaque sommet CEDEAO et enfin ce risible coup de téléphone « Macky tu es où ? Tout le monde est là », en marge de l’AG des Nations-Unies et qui a définitivement achevé d’abaisser de tels dirigeants à nos yeux.
L’article de François Soudan « le sorcier Macron et les petits démons » remet une pièce dans la machine de la rancune qui tourne à plein régime mais il est (l’article de Soudan) la preuve que la provocation fait mal qu’on l’initie contre l’autre ou qu’on la reçoive en boomerang.
La France a fait du concept de Junte, le mot d’offense qu’elle a retourné dans tous les sens contre le Mali. Dans une figure rhétorique sur le mode « je te rends la monnaie de ta pièce », le gouvernement français se voit affublé du même qualificatif, le but n’est pas de décrire des faits réels mais de railler celui qui vous tient en mépris. Avec cette subtilité (suggérée) que le “pays des lumières” peut exprimer ses désaccords sans tomber dans l’injure et la grossièreté.
La remarque est encore plus cinglante pour Alassane Ouattara qui, à la même tribune, jouait le sage grand-père en conseillant aux dirigeants Maliens de se consacrer aux tâches de retour à l’ordre constitutionnel. Il lui fit rétorquer que le message est si bien reçu que la Transition s’efforcera de tout bien faire les choses pour qu’aucune faille ne permette à personne de rêver d’un 3ème mandat comme un certain ADO dont les artifices pour se maintenir au pouvoir n’avaient ému personne à Paris.
Même le perspicace François Soudan n’avait rien compris à la manœuvre. Ou peut-être que si, le grand journaliste de Jeune Afrique est si familier des bricoleurs de la Constitution qu’il avait apporté sa caution intellectuelle (le vernis) au 3e mandat de Alpha Condé par le truchement d’un livre-entretien complaisamment mitonné au coin du feu au Palais de Sékoutoureya et pompeusement intitulé «Alpha Condé : une certaine idée de l’Afrique ».
François Soudan qui s’autorise à suggérer quelques éléments de langage au Premier ministre Abdoulaye Maïga aurait pu dire en son temps à ADO que l’Afrique entière, les Maliens en tête, se sont battus pour mettre la Constitution ivoirienne de côté et fabriquer des textes sur mesure pour qu’il soit candidat à l’élection présidentielle. Et que tant d’efforts et d’entorses aux règles commandaient de lui de ne pas tripatouiller les textes pour un mandat de trop.
À son ami, Alpha Condé, François Soudan aurait dû rappeler tous les sacrifices endurés par l’opposant Condé et les conditions rocambolesques de sa victoire où il ne recueille que 18% au premier tour contre 42% pour Cellou Dalein Diallo, mais gagne au final l’élection à coup de trucage couvert par la France de Sarkozy dont le ministre des affaires étrangères, un certain Bernard Kouchner, était son promo de fac. Un 2e mandat obtenu dans la terreur et l’intimidation devait suffire à son bonheur. Mais son ami François Soudan n’a rien trouvé à redire de l’aventurisme de l’ancien président guinéen qui a cédé aux démons du 3e mandat qui explique pour une large part le coup d’Etat.
Le grand journaliste François Soudan a fait le pari d’entretenir les amis de son journal et de continuer à soigner son propre réseau de chefs ou d’hommes d’Etat.
Les éclats de voix entendus depuis quelques mois à Bamako dérangent ce confort de l’habitude d’un certain journalisme de connivence avec les puissants du monde. A bout de patience, “la conscience” de Jeune Afrique veut réussir coup double: houspiller les jeunes au pouvoir à Bamako et donner des gages à son pays la France ainsi qu’à ses amis africains.
L’exercice aurait fait mouche s’il était conduit par un journaliste vertueux, au-dessus de tout soupçon comme la Femme de César ! Il nous vient à l’esprit un retentissant dossier en 2011 du Canard Enchaîné, le journal satirique français, intitulé de façon parodique « Jeune à Fric » ou l’on apprenait entre autres gracieusetés qu’un certain journaliste François Soudan s’était vu offrir un permis de pêche par le gouvernement mauritanien. Une rente pour service rendu ? Dommage pour la junte malienne: le Mali n’a pas de façade maritime, pas encore !
Bakary Diarra
L’Aube