Cette ville située à une centaine de kilomètres de la capitale, sur la route de Ségou, est devenue tristement célèbre à cause de nombreux crimes odieux qu’elle a connus ces dernières années. Les habitants, les autorités municipales et la justice sont mobilisés pour mettre fin à ce phénomène qui émeut tout le pays
Il est 7h14, le soleil se lève sur la ville de Fana dans la Région de Dioïla. En cette matinée de lundi du mois de janvier, les élèves prennent le chemin de l’école. Le braiment des ânes mêlé au bêlement des chèvres retentit un peu partout dans le Guégnéka.
Les minibus de transport «Massani» se positionnent le long de la Route nationale 6 (RN6) et celle menant à Dioïla pour transporter d’éventuels passagers. Plusieurs boutiques sont déjà ouvertes. Au niveau du rond-point, des propriétaires de pousse-pousse attendent, impatiemment, leurs premiers clients.
Cependant, derrière cette ambiance, la population de la ville de Fana vit la peur au ventre du fait des crimes crapuleux qui marquent les esprits. De 2017 à 2021, dix cas ont été recensés parmi lesquels celui de la fillette albinos Ramata Diarra, en 2018, qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. «À cette époque, on pensait que c’était une question d’albinos. Mais après, on a vu que les assassins n’épargnent personne», fait remarquer Djakaridia Doumbia, un habitant de la ville.
Pour notre interlocuteur, les crimes odieux ou rituels sont légion à Fana depuis belle lurette. «Je suis né ici et j’ai trouvé que le phénomène existe», révèle le jeune homme d’une trentaine d’années. À l’en croire, les auteurs de ces forfaits abjects sont tous originaires de la ville et connaissent leurs victimes.
«Très souvent, les criminels viennent la nuit causer avec leurs victimes. Ils en profitent pour leur donner des substances afin de les endormir. Après, ils passent à l’acte», croit savoir Djakaridia Doumbia, précisant que nombre des victimes sont des gardiens qui habitent un peu plus loin de la ville.
Djakaridia pense que les malfaiteurs se servent du sang de leurs victimes pour des besoins de sacrifice. «Aujourd’hui, nous avons peur d’envoyer nos enfants même à la boutique par crainte qu’ils ne soient enlevés », regrette-t-il. Avant de demander aux autorités de tout faire pour mettre la main sur ces criminels. Djakaridia Doumbia déplore, par ailleurs, le fait que les forces de sécurité ne font pas les patrouilles la nuit dans les endroits moins éclairés de la ville, où la plupart de ces crimes ont été commis.
LA PEUR AU VENTRE- À cause de cette situation, les habitants de Fana sont devenus méfiants les uns envers les autres. «Chacun pense que c’est l’autre qui est derrière ces crimes», note une dame qui a requis l’anonymat par peur d’être la cible des malfrats. Au début, ce sont les femmes qu’on décapitait, mais après, la situation s’est retournée contre les hommes, fait-elle remarquer. Notre interlocutrice explique que les gens ont peur de dormir dehors pendant la période de forte chaleur. «Les auteurs de ces crimes sont parmi nous», dit-elle.
La vieille dame se rappelle qu’une femme, après avoir participé à un Maouloud lors duquel, les fidèles professaient des malédictions contre les criminels, est revenu trouver son mari décapité par des inconnus. «Nous avons vraiment peur de ces bourreaux. Quand la nuit tombe, on ne sait pas si on va se réveiller vivant le lendemain», fait savoir notre interlocutrice. Avant de demander l’implication des autorités de la Transition pour venir à bout de ce fléau. «Ce sont les pauvres gens qu’on tue. Il faut que les autorités trouvent un solution», dit-elle.
Les jeunes de Fana sont vent debout contre les crimes crapuleux. «On a eu à rencontrer les autorités, à sensibiliser la jeunesse en l’invitant à faire confiance à la police et à la gendarmerie, en leur donnant des informations», révèle le secrétaire général du Conseil national de la jeunesse de Guégnéka. Pour Amadou Timété, cette situation ne peut pas être gérée sans la collaboration de la population. «À ce propos, nous avons des jeunes qui travaillent dans l’ombre avec les forces de sécurité, car l’ennemi est invisible et peut être n’importe qui», confie-t-il.
Notre interlocuteur sollicite l’extension du réseau électrique dans la ville parce que, selon lui, les zones ciblées par les malfaiteurs sont celles où il y a l’obscurité. Il demande également de renforcer le poste de sécurité de la ville, en y instituant des patrouilles de contrôle d’identité de 18 heures à 6 heures du matin. «Cela permettra de dissuader les assassins», estime-t-il. «Nous, la jeunesse de Fana, nous n’allons pas baisser les bras tant que ces criminels ne seront pas arrêtés», assure le responsable du Conseil national de la jeunesse, notant que beaucoup de personnes se méfient de Fana, aujourd’hui, à cause de cette situation.
DES COMPLICITÉS AU SEIN DE LA POPULATION- La municipalité de la ville semble à bout de souffle. «Nous avons renforcé la sécurité en installant un commissariat, mais avec tout cela, les crimes demeurent», regrette un responsable de la mairie de Fana. Lui aussi demande aux autorités d’étendre le réseau électrique dans la ville pour éclairer un maximum de quartiers. «À part le cas de la femme malade mentale et son enfant, les autres cas de décapitations ont eu lieu dans des endroits isolés et obscurs», explique notre interlocuteur. Par contre, l’édile pense que les auteurs de ces crimes ne sont pas des autochtones de Fana, mais ils auraient des complices dans la ville.
Lors de son investiture, en janvier dernier, le tout nouveau gouverneur de la Région de Dioïla a affiché sa volonté de remédier à l’insécurité résiduelle dans sa circonscription, souvent due à des activités rituelles à Fana. D’après Abdallah Faskoye, les services de sécurité travaillent avec la justice afin que cette insécurité soit éradiquée dans la région.
Sur la question, le procureur de la République près le Tribunal d’instance de Fana, Boubacar Moussa Diarra, nous a confié que de 2017 à 2021, il y a eu huit dossiers d’assassinats avec décapitation parmi lesquels, deux dossiers demeurent en instance d’information judiciaire. Il s’agit des dossiers de décapitation de la fille albinos Ramata Diarra et d’Aguibou Bagayoko. Pour le premier cas, les poursuites sont enclenchées pour «enlèvement de personne, assassinat et complicité», d’après Boubacar Moussa Diarra. Dans ce dossier, explique le magistrat, l’inculpé qui a obtenu sa mise en liberté de la chambre d’accusation, était appelé à comparaître devant le juge d’instruction pour son interrogatoire au fond le 15 février dernier.
«S’agissant de la décapitation d’Aguibou Bagayoko, un individu, qui partageait la chambre avec la victime la nuit de son assassinat, a été interpellé et mis à la disposition du juge d’instruction», explique le chef parquetier, ajoutant qu’il est en détention à ce jour et son interrogatoire au fond a déjà eu lieu.
En ce qui concerne les dossiers finis, il y en a un qui a été disqualifié et renvoyé devant le tribunal correctionnel en raison de l’absence d’infraction criminelle résultant de la procédure d’information judiciaire, confie le procureur. Selon Boubacar Moussa Diarra, ce dossier est déjà jugé et la personne interpellée a été condamnée pour sa responsabilité dans la commission de délit connexe.
Un autre dossier attend son ordonnance de clôture pour sa transmission éventuelle au parquet général, révèle le magistrat. «Pour les dossiers transmis au parquet général pour saisine de la chambre d’accusation, ils portent sur la décapitation d’un père de famille en 2017. Cette procédure qui est finie est transmise au parquet général pour suite à donner», annonce le juriste. D’après lui, trois procédures sont pour le moment clôturées par des non-lieux. «Ces dossiers sont toujours traités en tenant compte du degré de sensibilité lié à leur nature», rassure le procureur.
Pour Boubacar Moussa Diarra, après le dernier crime, en août dernier, le ministre chargé de la Sécurité a été envoyé par le gouvernement afin d’encourager la collaboration entre la population et les acteurs de la sécurité et mettre un terme à ces crimes. «Chacun s’est davantage senti interpellé et aujourd’hui, chaque acteur de la société civile et des services judiciaires demeure engagé à donner le meilleur de lui-même dans cette lutte contre ce genre de criminalité», note le magistrat.
Par la force de cette dynamique, cela fait un moment que Fana n’a pas connu de cas de crime avec décapitation alors que ces assassinats se produisaient en intervalle de trois, quatre ou six mois, explique notre interlocuteur. Il invite la population à renforcer son appui aux autorités comme cela s’est passé après l’assassinat d’Aguibou Bagayoko. «En cette circonstance, nous avons été renseignés par la population que la personne interpellée, passait la nuit avec la victime et qu’après le crime, elle se serait enfuie à Bamako. Cela nous a permis de la rechercher, de l’interpeller à Bamako et de l’amener à Fana pour qu’elle soit, aujourd’hui, entre les mains de la justice», révèle le procureur.
Sur instruction du ministre de la Justice, il a été mis en place au parquet de Fana, un cadre de concertation avec la société civile au sein duquel, plusieurs réunions se sont déjà tenues depuis l’assassinat de Binafou Touré et de Mamadou Sangaré. Remerciant la société civile pour son rôle dans les différentes procédures, le procureur Boubacar Moussa Diarra exhorte la police judiciaire à la vigilance.
Envoyé spécial
Bembablin DOUMBIA
L’Essor