Le principe de base de toute monnaie, c’est « l’échange ». La monnaie est donc avant tout un « instrument d’échange », aboutissement d’une longue évolution. Bien entendu, l’échange peut être gratuit, c’est-à-dire qu’une personne donne sans contrepartie à une autre un bien meuble, immeuble ou lui rend un service, sans rien demander. Comme le donateur n’exige rien du bénéficiaire, ne s’attend à rien en retour de son geste, il n’y a pas d’intervention de « monnaie ».
Depuis que l’Homme a commencé à produire, fabriquer des biens et rendre des services, le besoin « d’échanger » s’est posé rapidement. A titre d’illustrations, en l’absence de monnaie, dans une économie : Comment un producteur de céréale pourrait-il se procurer du lait, de l’animal d’un éleveur ? Ou réciproquement, comment l’éleveur pourrait-il accéder aux céréales d’un agriculteur ? La solution simple serait « d’échanger » une quantité de mil, de maïs, de riz, contre une quantité de lait ou contre un animal. En retenant « l’échange » comme mode de transaction, combien de quantité de poisson, le pêcheur pourrait-il échanger avec un tisserand pour avoir combien de quantité de cotonnade ? Que faudrait-il apporter à un « médecin-guérisseur » en contrepartie de ses services de soins ? L’interdépendance inhérente aux activités économiques, met constamment, en relations les agents économiques, Ainsi, appelé anciennement le « troc », l’échange a longtemps été utilisé comme moyen de circulation des biens et des services entre les agents économiques. Mais ce ne fut pas sans problèmes. En matière économique, deux préoccupations sont fondamentales à résoudre : la quantité et la valeur. Il est toujours facile de connaître la quantité par les techniques du dénombrement et de la mesure.
L’empereur Kankou Moussa se serait déplacé à la Mecque avec une importante quantité d’or. Donc la quantité était connue. Mais quelle était la valeur de cette quantité ? Elle n’était pas connue à l’époque du fait de l’inexistence d’instruments de valorisation.
Il apparaît que l’estimation de la valeur a été une difficulté majeure dans la mise en œuvre de l’échange comme mode de dénouement des transactions.
Toute « opération d’échange » nécessite un repère, une référence, bref, un « instrument » accepté par les deux échangistes.
Ainsi des difficultés liées à la fiabilité des valeurs des biens échangés, la généralisation à toutes les activités économiques, ont fait qu’il fallait trouver une référence unique, un « instrument unique », ce fut la monnaie.
Le principe étant posé, il est possible de donner une définition de la monnaie. Les cours de macroéconomiques monétaires foisonnent de définitions. Nous retenons celles de deux dictionnaires. Selon le « Vocabulaire juridique », Gérard Cornu, PUF, 7ème édition, La monnaie est définie comme : « Instrument légal de paiement pouvant avoir, suivant les systèmes monétaires, une base métallique ou une base fiduciaire, le plus souvent par combinaison des deux (souvent nommée monnaie de paiements).
Il apparaît clairement que « l’instrument » qui va servir de « monnaie » du pays doit être issu d’une loi.
Acte liquide
En analysant de très près cette définition, on constate que le F CFA n’est pas une « monnaie » issue d’une loi votée par les Parlements des pays membres de la Zone Franc, qui en sont ses « utilisateurs ». C’est le législateur Français qui l’a voté et elle a été imposée aux pays de la Zone Franc, par voie de Traité.
Sans langue de bois, les pays de la Zone Franc n’ont pas de monnaie. Même de nos jours, tous les débats sur le Franc CFA ont eu lieu au Parlement Français et les conclusions sont répercutées aux pays « utilisateurs ». Les pays de la Zone franc seraient-ils encore des départements de leur ancienne puissance coloniale ?
Dans l’histoire monétaire, il semblerait que les pays de la Zone franc sont, à ce jour, les seuls au monde, à être encore dans cette situation de dépendance monétaire indescriptible.
Dans le « dictionnaire d’économie et de sciences sociales » Natan édition 2014, la monnaie est définie comme suit : « Actif liquide, dont les formes varient selon les structures économiques et sociales et qui sert à l’évaluation et au règlement des échanges… ».
Une lecture attentive de cette définition, montre que l’élément « légal » ne ressort pas. On pourrait être tenté de dire qu’on n’a pas besoin de loi pour créer « l’instrument de paiement monnaie ». Une telle position fait partie des arguments développés pour soutenir que le F CFA est bel et bien la « monnaie » des pays de la Zone Franc. Elle permet en outre de soutenir les nombreuses monnaies régionales et électroniques qui circulent dans des pays développés. Dans tous les cas, les qualités d’instrument d’échanges, de mode de paiement assurant la circulation des biens et des services, entre les acteurs économiques, est mise en avant dans toutes les définitions de la monnaie.
Dans les différentes parties du monde et dans le temps, différentes formes de monnaies ont été utilisées. La définition du dictionnaire juridique cite deux formes qui n’en feraient qu’une : la monnaie de paiement. Il s’agit de la forme métallique et de la forme fiduciaire, c’est-à-dire les « billets ». Une incursion dans le système monétaire international montre que différents objets ont été utilisés selon les lieux et dans le temps comme « monnaie d’échange : l’or, l’argent, les tissus, etc.
Pour ce qui est du cas particulier du Mali, les cauris étaient utilisés comme monnaie avant la pénétration coloniale. La guerre contre la pénétration coloniale n’a pas été seulement militaire. Elle a été aussi une guerre « économique et monétaire ». En effet, nos grands parents ne voulaient pas de la monnaie du colonisateur.
« Les Soudanais étaient habitués depuis le VIIIe siècle, au moins aux cauris comme monnaie d’échange. Ils acceptent difficilement les signes monétaires européens qu’ils connaissaient pourtant depuis longtemps ».
Il nous apprend que pendant une longue période allant de 1896 à 1922, plusieurs monnaies d’échange étaient utilisées par les Soudanais : l’or, les cauris, les tissus (guinées) et le franc.
Progressivement, du fait de l’implantation de l’administration coloniale et que toutes les opérations économiques et financières avec cette administration, étaient libellées en monnaie coloniale, le franc a fini par s’imposer. On comprend que le Président Modibo Kéita ait la forte volonté de décider de « battre sa propre monnaie le Franc Malien, (F.M) » dès 1962, deux années après l’indépendance politique.
Le Mali doit imprimer sa monnaie et cette fois-ci, il faudrait même enlever le terme « franc », qui a une connotation coloniale. Tout comme les « Cauris », il faudrait trouver une autre dénomination à l’instar du Cedi Ghanéen, Shilling Kenyan, Naira Nigérian, Ouguiya Mauritanien, Dinar Tunisien, etc. De nos jours la monnaie « instrument d’échange » que nous utilisons revêt trois formes. La forme « métallique » : les pièces de monnaie ; La forme « fiduciaire », les billets ; La forme « scripturale », c’est-à-dire la création monétaire par voie d’écritures par les banques telle que les effets, chèques, les virements, etc.
Quelle que soit la forme, les techniques de conceptions, de fabrications, les procédures de gestion et de surveillance, doivent garantir la monnaie contre les imitations, (faussaires) et autres techniques de falsifications.
Pesant d’or
La quantité initiale de monnaie à émettre, (en circulation) sur le marché, doit avoir son « pesant d’or ». Et puis l’économie devient le « garant de la puissance » de la monnaie. La monnaie « forte » ou « faible » dépend de sa « demande » sur le marché mondial. Cette demande dépend à son tour de la production agricole, de la fabrication industrielle du pays ainsi que les prestations de services rendues à l’échelle internationale.
« Les variations du stock de monnaie et de sa valeur sont en relation d’interdépendance avec l’évolution du volume de production et des prix ». Dictionnaire d’économie et de sciences sociales, page 320.
En d’autres termes, il ne peut pas y avoir plus de monnaie en circulation que de biens produits, fabriqués et de services rendus. Inversement, aussi, il ne peut pas y avoir moins de monnaie en circulation que de biens et services produits, fabriqués ou rendus.
De tout ce qui précède, il apparaît indubitable que la monnaie se situe au cœur des politiques de développement économique et social des pays.
La monnaie a longtemps été considérée comme « neutre » dans une économie. Depuis les travaux de Milton Friedman, qui lui ont valu le Prix Nobel d’économie en 1976, elle est une composante essentielle de la politique de développement économique et social d’un pays.
Cela suppose que le pays détient tous les paramètres de la monnaie, donc de « sa monnaie ».
En conclusion, des questions que, mêmes ceux qui ne sont pas dans la Zone Franc se posent sont les suivantes : Comment ces pays Africains se sont-ils retrouvés dans cette situation ? Pourquoi acceptent-ils d’y rester plus de 60 ans après les indépendances ? Ne peuvent-ils pas ou ne veulent-ils pas en sortir ?
Les tentatives d’apporter des réponses à ces questions alimentent tous les débats autour du Franc F CFA. La première question est la plus simple à répondre. C’est évidemment par les faits de la colonisation que les pays de la Zone Franc se sont retrouvés avec le F CFA.
Ils y sont à l’aide de deux Traités : celui de l’Umoa et celui de l’Uemoa qui n’en font qu’un, puisque la dénonciation de l’un entraîne automatiquement celle de l’autre.
Sans en vouloir aux Chefs d’Etat et autres Dirigeants de nos pays, on est en droit de se demander, dans quelles circonstances ils ont signé ces Traités ? En effet, ce sont de véritables chaînes d’esclavages au cou. Dans beaucoup d’articles du Traité de l’Uemoa, la rédaction commence par des formules de types : Mais ces braves dirigeants en quête de bonheur pour leurs peuples, ont agi selon les réalités de l’époque dans les limites de leurs connaissances. On peut dire qu’ils ont agi de bonne foi, souvent même en ne sachant pas tous les tenants et aboutissants.
Quant aux questions suivantes, il est évident que ce n’est pas de gaieté que les pays de la Zone Franc gardent toujours cette monnaie. Non, pas du tout. Même ceux qui défendent le F CFA savent la réalité.
D’abord, parce que ce ne sont pas des Traités « librement négociés », mais des Traités « d’adhésion », tout comme un contrat « d’adhésion ». Sans langue de bois, le F CFA est une monnaie imposée.
Ensuite ils sont dedans, par peur de représailles politiques (premier Président du Togo, Sylvanus Olympio) et d’échec. En effet, un certain mystère est soigneusement entretenu autour de « l’émission de la monnaie » et du F CFA, de sorte que dans le subconscient de beaucoup des populations de la Zone Franc, on ne serait pas capable.
Pour une nouvelle génération
Certains de nos grands économistes, sur lesquels porte l’espoir des populations pour se tirer d’affaires, vont jusqu’à imaginer le pire en cas de sortie du F CFA. Un père fier, de pouvoir compter sur son enfant, constate que celui-ci aussi est dans le désarroi. Quel désespoir !!!
Mais l’espoir est permis. Le F CFA prendra fin tôt ou tard, au gré de l’évolution des événements. Les pays de la Zone Franc comptent, de nos jours, des dizaines de millions de jeunes, qui ont été formés dans d’autres pays que la France et qui n’y sont pas liés par un « cordon ombilical virtuel », contrairement aux vieux septuagénaires et octogénaires, qui ont connu la colonisation avec ses travaux forcés et ses humiliations.
Au pouvoir, ils n’hésitent pas à dire non à une monnaie dont ils ne maîtrisent pas tous les paramètres de son émission : fabrication, taux d’intérêts, taux de change, politique monétaire gérée par une Banque Centrale à la disposition des Politiques. Vivement une nouvelle génération de dirigeants plus nationalistes dans nos pays.
Siné Diarra
Expert-comptable
Enseignant de Comptabilité de finances et d’Audit
Tel : 66 89 69 69 / 76 89 69 69.
Mali Tribune