Ce vendredi 1er octobre, Joe Biden tient une importante promesse de campagne: il fait passer à 125 000 par an le plafond des réfugiés qui peuvent entrer aux États-Unis et ce, alors que la question de la politique migratoire continue de diviser au sein du parti démocrate.
Aux États-Unis, le « shutdown » n’a pas eu lieu, le Congrès a adopté un nouveau budget pour le gouvernement. Mais cela ne règle pas tous les problèmes de Joe Biden puisque son parti continue à se déchirer sur ses réformes les plus importantes. Lors de la crise des migrants haïtiens à la frontière, l’aile gauche des démocrates n’avait pas hésité à fortement critiquer le président.
Au début de l’année, Joe Biden avait déçu les démocrates en hésitant à relever le plafond de 15 000 réfugiés mis en place par son prédécesseur Donald Trump. De fait, depuis son arrivée au pouvoir, sa politique migratoire déçoit l’aile gauche de son parti.
Une déception plus ou moins attendue selon Olivier Richomme, maître de conférences à l’université de Lyon: « La rhétorique de campagne était “une politique migratoire plus humaine”, sans pour autant définir ce que l’on entendait par là ». De fait, les démocrates sont depuis au moins deux décennies « bien embêtés avec cette question migratoire: lorsqu’ils sont dans la majorité, ils se rendent compte qu’ils ont du mal à mettre en place certaines choses, parce qu’on n’a vraiment pas de solution à cette crise migratoire d’un continent entier ». Pour autant, il estime que Joe Biden « aurait dû avoir au moins une direction claire, sur deux ou trois points sur lesquels les démocrates devraient se positionner différemment des républicains ».
Car le président démocrate est arrivé après quatre années où le système migratoire était « mis à mal par l’administration Trump, que l’on parle des réfugiés ou de l’immigration légale », rappelle Andréanne Bissonnette, chercheuse à la chaire Raoul-Dandurand. Et si Joe Biden a pu mettre en place des politiques de rattrapage, comme ce vendredi avec l’augmentation du nombre de réfugiés admis par an, il a maintenu certaines des politiques de son prédécesseur, comme « le titre 42, qui autorise le renvoi immédiat de demandeurs d’asiles et de migrants aux frontières sous le prétexte du Covid-19 et des enjeux sanitaires ».
D’où cette tension de l’administration Biden, explique la chercheuse entre « vouloir aller de l’avant avec des politiques plus progressistes, mais de l’autre côté maintenir la ligne un peu plus dure: c’est une espèce de balancier qui est décrié du côté des élus plus progressistes, qui demandent une action au niveau des réfugiés à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, mais aussi sur les programmes à l’interne ».
Une politique floue
Si la politique migratoire du président reste donc floue, c’est aussi parce que les démocrates eux-mêmes ne sont pas d’accord entre eux. On a beaucoup entendu les progressistes critiquer Joe Biden lorsque des dizaines de milliers d’Haïtiens, venus d’Amérique latine, se sont retrouvés, il y a peu, bloqués dans une petite ville du Texas à la frontière avec le Mexique. Joe Biden en avait alors expulsé une grande partie vers Haïti.
Mais le parti démocrate n’est pas uniquement composé de progressistes, rappelle Elizabeth Vallet, directrice de l’observatoire de géopolitique à la chaire Raoul-Dandurand à Montréal. Sur ce dossier, « il y a une partie qui serait presque plus pragmatique, que l’on va retrouver du côté des “Clinton democrats”. Bien sûr, ils sont touchés par ces Haïtiens arrivés à la frontière au bord du Rio Grande, et qui ont été repoussés, avec des images qui ont été très fortes. C’est sûr que cet aspect-là va déranger tout le monde dans le parti démocrate, mais certains vont être plus pragmatiques vis-à-vis de l’immigration ».
Déjà, ils sont d’accord avec certaines politiques restrictives migratoires, mais ils voient aussi, explique la chercheuse, « le coût politique que cela peut représenter d’adopter une autre attitude: aux États-Unis, (il ne faut) vraiment pas grand-chose pour que l’on soit dénoncé comme un apôtre des frontières ouvertes, et il y a un tiers du Sénat qui est en réélection dans un an ».
Des échéances électorales qui influencent la politique migratoire
De fait, les républicains sont en embuscade sur le thème. Car s’ils sont divisés sur certains dossiers, celui de l’immigration les réunit, explique Andréanne Bissonnette. « C’est une possibilité pour le parti républicain d’offrir l’image d’un parti uni, fédéré derrière cet enjeu, et de dire que l’administration Biden ne répond pas aux exigences de sécurité par rapport à la gestion des frontières et de l’immigration. » Les républicains demandent donc « une réponse qui soit plus dure, plus sécuritaire, qui assure des frontières… fermées ».
Joe Biden a donc continué les expulsions d’Haïtiens, malgré les appels de l’aile gauche du parti démocrate : il ne veut pas prêter le flanc aux critiques des républicains sur un dossier considéré comme le talon d’Achille des démocrates. Pour Elizabeth Vallet, « toute la façon dont on traite le débat migratoire a été kidnappée politiquement par les républicains, donc il n’y a plus qu’une seule avenue pour traiter de la migration: la voie dure. Toute la théorie du “grand remplacement” prend beaucoup de place dans le parti républicain, mais aussi dans le discours ambiant ».
Quant au discours sur le droit d’asile, sur la promotion du droit international, il « a complètement disparu, y compris dans le camp démocrate ». Certes, se faire critiquer par son aile progressiste est gênant pour Joe Biden, « mais le président table sur le fait que le parti démocrate fera bloc face à Donald Trump », qui pourrait se représenter en 2024.
Une loi mal engagée
En février dernier, Joe Biden avait esquissé une réforme des lois migratoires, mais selon Elizabeth Vallet elle ne verra pas le jour, à moins que le Sénat ne devienne franchement démocrate aux élections de mi-mandat. Et cela dans une situation de cinquante démocrates – cinquante républicains départagés par la voix de la vice-présidente.
En attendant, à défaut de réforme, « ça va être encore une fois des décisions qui vont être prises, comme Trump l’a fait, par décrets exécutifs, qui vont être des solutions temporaires ». Du coup, « les protocoles de protection comme en avaient bénéficié les Haïtiens, et ceux qui sont toujours aux États-Unis en bénéficient encore, peuvent être mis en cause ».
Et sans changement de la législation, les migrants ne peuvent toujours pas déposer leur candidature pour des visas du pays où ils habitent, et « comme on ne peut pas mettre en place ces lois, on va encore voir arriver des gens en masse à la frontière parce que c’est le seul recours qui leur reste pour demander l’asile ».
Une présidence difficile
Si les progressistes ont, sans résultat, donné de la voix pour défendre les migrants haïtiens, ils se mobilisent également pour faire adopter les réformes sociales « historiques » du président, que bloquent des députés démocrates plus centristes qui les jugent trop chères.
Au milieu de l’affrontement fratricide, la loi sur les infrastructures dont le vote a été reporté ce jeudi 30 septembre. Entre blocage et déception, Joe Biden semble donc à la peine avec sa majorité et donc sa présidence. Il avait pourtant réussi à faire accepter l’an dernier sa candidature par toutes les tendances du parti démocrate.
« L’aile progressiste du parti avait accepté Joe Biden à contrecœur, pour battre Donald Trump », rappelle Olivier Richomme. « Après, on espérait qu’il se réinvente un petit peu, ou qu’il sente que le parti démocrate est un peu tiré vers la gauche, et on espérait l’amener vers la gauche. »
Les électeurs ont du mal à suivre ces négociations internes explique l’universitaire, particulièrement les électeurs démocrates. Ils sont « frustrés de voir que même en gagnant les élections, ils n’obtiennent pas la moitié de ce qu’ils espéraient. L’électorat se fatigue de ce Congrès qui ne fonctionne pas, à cause de cette polarisation extrême qui le bloque depuis plusieurs années maintenant ».
RFI