«Monsieur le Président, en votre qualité de Magistrat suprême de la République, je m’en voudrais de ne pas saisir cette occasion pour vous exposer la détresse de certaines de mes co-pensionnaires de la prison de Bolé. Il s’agit spécialement des jeunes filles placées en détention provisoire pour infanticide, dont certaines attendent depuis plus de deux ans d’être présentées à un juge d’instruction. Sans pour autant cautionner de tels actes, il conviendrait de prendre en compte leur détresse, au regard du poids moral que cela représente pour elles. C’est pour cette raison qu’à mon humble avis, leur situation mériterait une attention particulière de votre part, tant il est vrai que la plupart d’entre elles n’ont personne pour se battre pour elles afin que les procédures judiciaires les concernant soient diligentées», écrivait Mme Bouaré Fily Sissoko dans sa Lettre ouverte du 26 août 2022 au Président de la Transition et aux Présidents des autres institutions de la République.
L’ancienne ministre de l’Economie et des Finances est détenue depuis plus d’un an au Centre de détention et de rééducation pour femmes de Bollé dans le cadre des dossiers dits de «l’Avion présidentiel» et du «Protocole d’achat d’équipements militaires entre le ministère de la Défense et la société Guo Star S.a.r.l».
Avant cette sortie de Mme Bouaré Fily Sissoko, le ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Mamoudou Kassogué, avait reconnu dans une Lettre circulaire adressée aux Présidents des Chambres d’accusation, Procureurs généraux, Procureurs de la République, Juges de paix à compétence étendue, la rareté des visites dans les établissements pénitentiaires des magistrats habilités. «Aussi, des cas de détentions arbitraires et de non respect du délai des détentions sont signalés. Cette situation constitue à la fois une contrainte majeure pour le respect des droits de l’homme et une bonne distribution du service public de la Justice. Elle ne favorise pas non plus la diligence dans le traitement des dossiers et empêche une meilleure maîtrise de la situation carcérale des personnes privées de liberté», souligne le ministre en charge de la Justice et des Droits de l’homme.
Le cri de cœur de Mme Bouaré sur le cas de ces jeunes dames poursuivies pour infanticide qui attendent d’être présentées à un juge d’instruction depuis plus de deux ans, interpelle mais appelle surtout à l’action. Surtout au moment où le processus de relecture du Code de procédure pénale et du Code pénal est en cours. Il ya lieu d’interroger les pratiques pour rééquilibrer les pouvoirs afin de penser à réduire ceux du magistrat instructeur. En effet, il est impératif de limiter le pouvoir du juge d’instruction qui détient, en vertu du Code de 2001, des prérogatives exorbitantes susceptibles de constituer des menaces pour les libertés individuelles.
Le futur Code de procédure pénale doit exiger du juge d’instruction d’entendre le prévenu dans un délai raisonnable après son placement sous mandat de dépôt. Aucun inculpé ne devrait faire deux mois en détention sans être interrogé au moins une fois sur le fond de l’affaire. L’inobservation de ces formalités devrait entraîner la nullité de la procédure.
Le futur Code devrait aussi prévoir l’obligation pour le personnel pénitentiaire d’alerter les responsables en charge des dossiers des détenus au niveau des différentes juridictions. Faute de quoi, ils s’exposeraient à d’éventuelles poursuites ou sanctions administratives. Pourquoi pas ?
La République vertueuse dont les jalons sont censés être posés au cours de cette période exceptionnelle de l’évolution de notre pays doit être implacable dans la lutte contre toutes les mauvaises pratiques. A commencer par celle attentatoires aux droits et à la dignité humaine.
Par Chiaka Doumbia
Le Challenger