Au Mali, il est fréquent de voir dans les rues, devant les mosquées, dans les marchés, sur les boulevards, des enfants misérablement habillés, visiblement affamés ou dans un état second sous l’effet des excitants. Ces enfants, sans abris, mangent-t-ils à leur faim, que doivent-ils ramener le soir au crépuscule ? Reçoivent-ils une éducation ? Des questions et bien d’autres interrogations auxquelles nous tentons de répondre.
Ces enfants mineurs, qui vivent de jour comme de nuit dans la rue, ou qui y passent toute la journée avant de juste rentrer dormir le soir dans leur famille ou ailleurs, subissent toutes les précarités de la vie. Ils sont appelés enfants de la rue.
Une distinction aussi minuscule soit-elle, existe entre ces catégories d’enfants qui arpentent les rues de Bamako. Il s’agit des enfants dans la rue et des enfants de la rue.
La première catégorie « enfants dans la rue » reste jusqu’à une certaine heure dehors mais rentrent dormir à la maison le soir.
La seconde, quant à elle vit de jour comme de nuit dans la rue. Ce qui est sûr, ces enfants ne choisissent pas d’aller dans la rue sur un coup de tête. Ils y sont ou y vont soit par contrainte, soit par des circonstances malheureuses de la vie.
Pourtant des conventions et lois sont faites pour protéger ces enfants livrés à eux-mêmes mais, la réalité est toute autre.
Des origines………
« Le prophète (SAW) a dit : une bonne femme est celle qui prend soin du bien de son mari et de sa famille. Dieu donne des enfants. Ces enfants doivent être bien éduqués et instruits pour qu’un jour, ils soient utiles à leur famille et à la société», affirme ce marabout, qui a voulu garder l’anonymat.
Celles qui échouent à ce devoir d’éduquer ou d’instruire ses enfants créent des problèmes à la société. Ces enfants deviennent soit des voleurs, des drogués, des bandits…, des poisons pour la société.
Personnellement, j’ai fait sept ans sans connaitre mes parents. La raison est qu’ils m’avaient confié à un maître coranique chez qui j’ai été en formation, avec qui, j’ai écumé toute la brousse de Ségou à Tombouctou. De nos jours, cet apprentissage est dévoyé, car les maîtres coraniques préfèrent s’installer, sans revenus en ville. Ces enfants, laissés à eux-mêmes, développent tous les vices dans les gares routières, les marchés etc., souvent pour faire plaisir à leurs maîtres. Nos valeurs culturelles ont été abandonnées, mais, il est temps de revenir à nos racines. Seule notre propre culture peut nous sauver de tout ça, explique le marabout.
Selon le sociologue, Bamoussa Coulibaly, le phénomène des enfants de la rue est intimement lié à trois choses.
La première est la suite logique d’une évolution incontrôlée des écoles coraniques qui représentent une véritable institution qui s’est taillée une place de choix dans notre environnement social. Les maîtres coraniques dans les villes recevaient les enfants qui venaient apprendre les rudiments du coran. Pendant leur formation, une majorité de ces enfants quittent prématurément le circuit de la formation et choisissent de ne plus retourner chez leurs parents. Ils élisent domicile dans la rue. En général, le maître coranique, pour les entretenir n’a d’autres choix que de les envoyer mendier pour se procurer les moyens de se nourrir. Or l’école de la rue peut les drainer vers les tentations les plus dangereuses qui commencent par les larcins. Ils commencent à opérer pour leur propre compte. L’état doit s’investir pour avoir un regard sur l’encadrement des enfants, une fois chez leurs tuteurs marabouts.
La deuxième raison est liée à l’effritement du tissu social, consécutif à la crise sécuritaire depuis 2012. Le phénomène s’est accentué dans les grandes villes. Actuellement, une grande partie des enfants de la rue dans les grandes villes ne sont pas pris en charge par les tuteurs marabouts mais vivent avec leurs parents qui grossissent le lot des populations déplacées, venues du centre et du nord fuyant ainsi les atrocités.
La troisième partie concerne ceux dont les parents n’arrivent pas à les entretenir dans les grandes villes, suite à l’extrême misère que vivent un nombre croissant de foyers. Le phénomène est en train de glisser petit à petit vers la prostitution des jeunes filles mineures d’un côté et vers la violence urbaine d’un autre. L’Etat doit s’impliquer pour recevoir ces enfants dans une structure de formation de “deuxième chance” sinon ils risqueront d’être recrutés par les djihadistes et d’autres acteurs de l’économie du crime.
Ressentis de la population
Alioune Diaby, retraité, « un enfant qui est élevé dans la rue ne peut être qu’un délinquant, un malfaisant. Il n’a que des contre-valeurs».
A mon avis, a-t-il poursuivi, ce qui pousse ces enfants à mendier, c’est la pauvreté. Issus majoritairement de familles démunies, ils sont laissés à eux-mêmes. Tous les jours que Dieu fait, je reçois une vingtaine d’enfants chez moi, on mange et on échange ensemble et après ils reprennent la route. Une fois, à l’approche de la fête de korité, je leur ai posé la question à savoir comment ils célèbrent la fête. Ils m’ont répondu que leur marabout part au village avec sa famille, les abandonnant à Bamako. Or, deux jours par semaine, chaque jeudi et vendredi, ils sont tenus chacun, lui apporter 500 F CFA. Les autres jours, ils doivent apporter 300 F CFA.
Le jour de la fête, ils sont venus chez moi bien habillés, bien coiffés, j’étais même très surpris. J’ai acheté 2 moutons une pour la famille et l’autre pour eux. Nous avons causé jusqu’au soir et après ils sont rentés.
Moi je demande à l’Etat de se lever, « ces enfants n’ont pas à vivre dans cette situation. Le gouvernement doit mobiliser et sensibiliser les parents, créer beaucoup d’associations pour leur venir en aide », souligne le retraité.
Pour sa part, Batoma Koné, passante rencontrée sur le vif soulève la question de victimisation des enfants. « Au début, on disait que ces enfants doivent chercher Dieu, être sur le droit chemin. Pour cela, on les envoyait chez les marabouts pour apprendre l’islam. Mais, aujourd’hui c’est devenu autre chose, ces enfants sont dans des situations ignobles, ils meurent dans des conditions pas possibles, leurs parents ne se soucient même pas d’eux. Certains terminent mal. J’ai vu, un jour, devant mon lieu de travail, un petit mendiant qui ne faisait que pleurer. Quand je l’ai interrogé, il m’a répondu qu’il a faim, qu’il n’a rien mangé depuis le matin. Il était 16 heures. J’étais sous le choc parce qu’il était si petit, à peine 4 ou 5 ans ! ».
Un enfant comme ça, peut voler pour manger et y prendre goût. Ils sont en réalité des victimes.
Il est temps que ça s’arrête. Il faut que les parents comprennent qu’envoyer ses enfants n’est pas la meilleure des solutions. Il faut règlementer et donner un âge plancher pour que les enfants ne soient pas envoyés trop jeunes. Je fais également appel aux autorités de ce pays, à l’Etat lui-même et aux riches de ce pays pour aider ces enfants, ajoute notre interlocutrice.
« Chaque jour que je sors, je vois le phénomène de la mendicité qui semble exploser. Ces enfants se battent nuit et jour pour survivre. Il y a une démission des parents qui se sont déchargés en les envoyant chez les marabouts», opine Oumar Barry, un passant.
Les coupables….
Pour celui-ci, les autorités devraient prendre des mesures parmi lesquelles il faut : éliminer la mendicité dans les rues ; former ces enfants à des métiers professionnels ; lutter contre des maladies, car ces enfants sont vecteurs de virus.
Ces mesures devraient être prises pour le bien-être de tous. Je suggère de façon humble qu’il y ait une volonté politique d’éradiquer ce problème. En faisant respecter les différents préceptes islamiques, après cela mettre les parents face à leurs responsabilités.
L’insécurité et la pauvreté ont amené les migrations intérieures vers Bamako.
« Je viens de Mopti, mais je suis venu ici chez mon marabout. C’est mon père et ma mère qui m’ont envoyé chez le marabout pour que j’apprenne l’islam et la mendicité.
Souvent je vais à Mopti voir mes parents, dans la famille je suis l’aîné. J’ai 9 ans, J’ai des petits frères et sœurs», confie Ady Sow, mendiant.
La plupart du temps notre marabout nous demande d’amener une somme d’argent. Cette somme peut varier. Quand le compte n’y est pas, il nous frappe. Des fois quand je pars voir mes parents et que je leur explique, ils ne disent rien. Moi j’aime les études ; je n’ai jamais voulu venir ici mais je fais avec, ajoute Ady.
« Souvent les circonstances de la vie nous font vivre des réalités ou des expériences que nous n’aurons jamais imaginer vivre durant toute notre existence. Avant, mon regard était tout autre sur les enfants qui quémandaient à longueur de journée. Et le pire, c’est que je n’aurai jamais pensé un jour me retrouver à la place de ces enfants à mon âge. Depuis que j’ai perdu mon travail au début de la Covid-19, je suis dans la rue. Ma situation est devenue de plus en plus compliquée, j’ai tout perdu. Mon locateur m’a mis dehors car je lui devais énormément d’argent. Ne pouvant plus rien pour ma personne, encore moins pour mes enfants, ma famille, j’ai envoyé mes enfants chez une de mes sœurs et je leur ai fait croire que je voyageais », témoigne ce chef de famille.
Aminata Agaly Yattara
Aïcha Camara
Aminata Barry
Achiata Berthé
Source: Mali Tribune