En Afrique, le Pentagone change de cap pour affronter la Chine et la Russie
Le Pentagone fait sa revue des troupes en Afrique. Le Département de la défense a annoncé, mercredi, que près de 800 soldats seraient remplacés par des “instructeurs” chargés de former des forces africaines locales au combat. Selon Nicole Vilboux, chercheuse spécialiste des États-Unis, cet échange illustre le changement de stratégie militaire américaine, désormais centrée sur la menace chinoise et russe. Entretien.
L’Afrique, un théâtre de guerre secondaire sous la présidence de Donald Trump. C’est dans cette logique que le Pentagone a annoncé, mercredi 12 février, le rapatriement d’une unité de combat, qui sera remplacée par des “instructeurs”. Mais pas question, pour autant, de laisser le champ libre à la Chine et la Russie, qui cherchent à accroître leur influence sur le continent et ailleurs.
Les Américains ont donc décidé de se concentrer sur ce qu’ils considèrent comme une menace de Moscou et de Pékin envers leurs suprématie militaire dans le monde. Un rapport récent indique que le commandement militaire américain pour l’Afrique (Africom) a changé de stratégie vis-à-vis des groupes extrémistes. Il s’agit désormais de les “contenir” et non plus de les “affaiblir”. Autrement dit, les États-Unis réduisent leurs opérations anti-jihadistes afin de mieux concurrencer la Chine et la Russie dans le monde.
Contactée par France 24, Nicole Vilboux, chercheuse associée à la Fédération de recherches stratégiques et spécialiste des États-Unis, estime que l’échange de militaires qui vient d’être annoncé est “un signal politique”. Selon elle, “il s’agit de montrer que l’Afrique n’est plus une priorité” dans la politique étrangère américaine.
France 24 : Les États-Unis ont-ils pour habitude de remplacer des soldats par des formateurs militaires en Afrique ?
Nicole Viboux : Oui, ce n’est pas nouveau. Les États-Unis ont adopté cette stratégie depuis le début de leur présence militaire en Afrique. Le pays a toujours considéré l’Afrique comme un théâtre de guerre qui suppose l’économie des forces. En envoyant cette brigade, les États-Unis interviennent de manière indirecte en soutenant les armées africaines et française.
Ce type de stratégie est privilégié depuis la présidence Obama, au début des années 2010. Le but est de retirer la majorité des forces américaines des théâtres d’engagement.
Une évolution est-elle à l’œuvre depuis que Donald Trump est au pouvoir ?
Sous la présidence Trump, l’accent est mis sur la préparation d’un conflit avec la Chine ou la Russie. Lui et ses conseillers veulent orienter l’appareil militaire américain vers la préparation d’une guerre future ou d’une dissuasion militaire de grande ampleur. Face à cet objectif, l’Afrique et les autres terrains d’affrontement, considérés par Trump comme secondaires, vont sans doute en faire les frais.
Cet échange montre d’ailleurs que les États-Unis ont déjà enclenché le processus. L’unité sera rapatriée pour qu’elle s’entraîne aux combats de haute intensité face à un adversaire qui serait potentiellement puissant. Il ne s’agira plus de s’entraîner contre des troupes irrégulières et terroristes ou de faire de l’assistance militaire.
En montrant qu’ils se préparent sur le plan militaire, les Américains veulent envoyer un signal d’alarme aux Chinois et aux Russes. L’objectif est de les dissuader d’entrer en guerre avec les États-Unis.
Cet échange d’unités est-il un signe annonciateur du retrait américain en Afrique ?
Cet échange est surtout un signal politique : il s’agit de montrer que l’Afrique n’est plus une priorité. Pour le moment, cet ajustement n’annonce rien de grave mais à terme, les Américains pourraient réduire leurs forces en Afrique. Les conséquences pourraient être assez importantes, en particulier vis-à-vis de la France qui est engagée au Sahel. Le gouvernement français demande d’ailleurs que les forces américaines restent en Afrique parce que même si la France fournit un effort très important au Sahel, ses capacités militaires sont limitées. Si les États-Unis continuent à réduire leur dispositif, les forces françaises pourraient se retrouver avec moins de ravitaillement aérien et moins de renseignements sur les terroristes.
Mais de toute façon, les États-Unis ne peuvent pas se retirer beaucoup plus. Certes, ils viennent régulièrement dans les bases américaines en Afrique mais cela ne signifie pas que beaucoup de soldats américains sont présents en permanence en Afrique.
L’engagement américain en Afrique relève de la politique étrangère, qui est par essence mouvante. Pour le moment, les États-Unis veulent se préparer à une potentielle guerre. Mais, au sommet de l’État, cela ne fait pas l’unanimité. Certains estiment que le problème du terrorisme n’est pas réglé et qu’un nouvel attentat pourrait encore avoir lieu. Si une attaque survient et touche les États-Unis, ils redirigeront probablement leur politique étrangère vers l’Afrique. Car la politique étrangère américaine fonctionne sous forme de phases et de cycles.
Tiffany Fillon
Source: france24