ENTRETIEN – Interdit de se représenter à sa propre succession et sans majorité absolue, le président de la République est dans une impasse politique, et les initiatives énoncées dans Le Point ne lui permettront pas de se relancer, analyse le chroniqueur David Desgouilles.
LE FIGARO. – Dans une interview au Point, Emmanuel Macron a dévoilé son «initiative politique de grande ampleur»: il réunira la semaine prochaine «les principaux responsables des forces politiques» représentées à l’Assemblée nationale, dont le Rassemblement national et la France insoumise. Quels sont les enjeux de cette rencontre?
David DESGOUILLES. – Franchement, je crains que cette montagne présentée par le président de la République accouche d’une très petite souris. Certes l’initiative présidentielle prend acte de l’échec d’Élisabeth Borne qui n’a pas réussi la mission d’élargissement de la majorité qui lui était assignée en 100 jours. Mais le fait qu’il n’ait pas lui-même trouvé une solution de remplacement pour Matignon démontre qu’il se trouve devant le même problème structurel. Et sa réunion prévue la semaine prochaine s’y heurtera aussi. Ce problème structurel se définit facilement: si le président souhaite élargir sa majorité à LR, il doit droitiser non seulement son discours mais aussi ses textes dans le domaine régalien. Mais s’il le fait, il perd une partie de sa majorité sur sa gauche.
Ce problème de majorité relative impossible à élargir se double d’un autre problème qui mine ce mandat depuis les législatives de l’an dernier: il ne peut pas être candidat à sa succession. Dès lors il est touché par le syndrome qu’on connaît bien aux États-Unis: le «lame duck», qu’on traduit par canard boiteux. Ne pouvant pas être candidat en 2027, la guerre de succession a déjà débuté dans son camp et il est d’autant plus difficile de contraindre sa majorité dont les composantes ont un agenda différent du sien. En quelque sorte, ce grand entretien au Point est juste une énième façon de rappeler: «je suis toujours là», ce qu’il traduit par «je présiderai jusqu’au dernier quart d’heure». Mais le répéter à l’envi ne règle pas son problème.
«Le référendum fait toujours partie des options qui peuvent être utilisées et je compte bien y avoir recours», affirme-t-il. Cela permettra-t-il de renouer la confiance entre les électeurs et l’exécutif?
En six ans, Emmanuel Macron a eu maintes et maintes fois l’occasion d’en appeler à la décision du peuple. Il aurait pu notamment soumettre son projet de réforme des retraites. Il ne l’a pas fait. En réalité, Emmanuel Macron est comme ses deux derniers prédécesseurs. Il est un traumatisé du «non» au référendum de 2005. Et n’imagine le référendum qu’à condition qu’il soit assuré qu’on lui réponde positivement. Donc, que lui reste-t-il comme solution de référendum à moindre risque? Une réforme institutionnelle avec un peu de proportionnelle, par exemple?
Je doute que, comme celui convoqué en 2000 pour approuver le quinquennat, un tel référendum mobilise les foules. En vérité, sur les questions qui mobiliseraient vraiment le pays, l’Union européenne, notre modèle social, le président se sait en minorité et il ne prendra donc pas le risque d’une défaite. Reste l’immigration où il pourrait effectivement adopter les vues de LR et passer ainsi par-dessus sa propre majorité. Ce serait une véritable rupture avec le «en même temps». Mais rien dans sa manière de diriger le pays depuis six ans ne nous fait croire en une telle révolution.
Le président achève l’interview en évoquant sa succession; il dit espérer «avoir à [sa] suite une femme ou un homme qui porte les valeurs de la République […] de la France et de l’Europe» . Le macronisme peut-il exister sans Macron?
Le politologue Jérôme Sainte-Marie explique qu’Emmanuel Macron a unifié le bloc élitaire et que ce dernier survivra d’autant plus à son unificateur qu’il n’attendait que lui pour en pérenniser la traduction politique. Si Jérôme Sainte-Marie a raison, ce qui est probable à mon sens, le bloc élitaire parviendra à sélectionner son nouveau candidat sans peine. Toutefois, l’un des plus grands soutiens d’Emmanuel Macron en 2022, Nicolas Sarkozy, plaide, lui, pour un retour à l’avant-macronisme.
Ouvertement, il souhaite détacher l’aile droite de la majorité actuelle pour la fusionner avec la droite LR, reconstituant l’ancienne UMP, et tout cela sous l’égide de Gérald Darmanin. Dans cette configuration l’aile gauche du macronisme se tournerait vers les modérés de la Nupes qui pourraient se détacher de la tutelle de LFI et on assisterait alors à la reconstitution du clivage droite-gauche sauce Sarkozy-Hollande. À vrai dire, seule la prédominance des sujets régaliens (sécurité, immigration, autorité de l’État), pourrait permettre un tel éclatement du macronisme. Mais il est difficile de croire que les sujets économiques, la question européenne (dont dépendent d’ailleurs bien des clés pour le renforcement du régalien) et la question sociale soient passés par pertes et profits dans les prochaines années.
Le 20 juillet, Emmanuel Macron a nommé l’un de ses plus proches lieutenants, Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale en remplacement de Pap Ndiaye. Changement de ligne ou changement de casting?
Dans son entretien au Point, il plaide lui-même pour le changement de casting, expliquant qu’il est lui-même le tenant de la ligne. Et là-dessus, on le croit volontiers. En revanche, la définition de ladite ligne tient de l’aimable plaisanterie. Lorsqu’il explique qu’il a imposé la transmission face au pédagogisme d’antan, il y a de quoi se mettre en colère. A-t-il remis en cause la loi Jospin de 1989 qui mettait «l’élève au centre du système»? A-t-il redonné au chef d’établissement son autorité en démantelant les conditions formelles d’un conseil de discipline et ses procédures d’appel, qui favorisent les élèves perturbateurs et/ou harceleurs, et les parents de mauvaise foi? A-t-il réformé les programmes? A-t-il fait le ménage dans l’Inspection générale, acquise idéologiquement au pédagogisme? À toutes ces questions, on ne peut répondre que par la négative.
Certes, Gabriel Attal semble plus ferme, dans le discours, que Pap Ndiaye sur la question laïque. Mais en matière d’école, nous avons appris à attendre que les actes suivent les discours. Enfin, la proposition de donner au chef d’établissement la possibilité de recruter ses équipes fait clairement partie de son logiciel, censé plaire à la fois aux libéraux-managériaux et aux pédagogistes. Donner un tel pouvoir à des principaux de collège et à des proviseurs de lycée, formés aux méthodes qui ont échoué depuis la loi Jospin de 89, et dire que cela aboutira à faire autre chose que du pédagogisme, c’est un contresens intellectuel complet. À moins qu’il ne s’agisse simplement d’un enfumage destiné à brouiller la vue des lecteurs du Point…