
« En cas de poursuite pour diffamation ou injure, le journaliste ne peut être placé sous mandat de dépôt ». D’après cette disposition de la Loi portant régime de la presse et délit de presse en vigueur au Mali, notre confère Alfousseyni Togo, Directeur de Publication de Le Canard de la Venise, accusé « d’atteinte au crédit de la Justice », devait être simplement poursuivi sans être mis sous mandat de dépôt. En d’autres termes, il devait rester libre jusqu’à son éventuelle condamnation après un procès. Pourquoi le Procureur du Pôle de lutte contre la cybercriminalité près le Tribunal de Grande Instance de la CVI ne lui a-t-il pas fait bénéficier cette disposition légale ? Sa mise sous dépôt, aussitôt après son audition marathon, doit-elle être comprise comme une sommation à l’endroit des Hommes de Presse afin qu’ils se taisent à jamais sur d’éventuels dysfonctionnements de l’appareil judiciaire de notre pays ? En somme, la presse malienne doit-elle strictement obéir à la censure de la Justice ?
Une chose est certaine, nous Hommes et Femmes de Presse, nous ne pourrions jamais avoir la prétention d’affirmer que tous les écrits ou propos publiés ou diffusés par des journalistes dans l’exercice de leur profession sont avérés. Puisque, à l’instar de toute profession, les journalistes commettent aussi des erreurs voire des fautes. C’est pourquoi la Section 2 : Délits contre l’autorité et la chose publique de la Loi 00-046 AN RM du 07 juillet 2000 portant Régime de la presse et délit de presse, stipule en son Article 37 : « La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, sera punie d’un emprisonnement de onze jours à six mois et d’une amende de 50.000 à 150.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement ».
Dès lors, il s’avère évident que tous faits de diffamations ou d’injures proférés par voie de presse contre une autorité publique, en l’occurrence la magistrature sont punissables. Pour autant, il existe une autre voie plus souple (extra judiciaire) de traiter cette affaire de diffamation qualifiée comme « une atteinte au crédit de la Justice » : Le Droit de Réponse. Le substitut du Procureur du Pôle de lutte contre la cybercriminalité, au lieu de mettre immédiatement sous mandat de dépôt notre confrère Togo, pouvait simplement lui signifier sa mise en cause puis lui imposer la publication d’un Droit de réponse provenant de l’appareil judiciaire. Cette procédure pédagogique et extrajudiciaire permettrait au citoyen lambda d’être édifié de façon transparente.
Oui l’on pouvait bel et bien, à travers le Droit de réponse, solder cette affaire « d’atteinte au crédit de la Justice » ! D’autant que la Section 2 : Du droit de réponse de la Loi portant Régime de la presse et délit de presse, en son Article 30, stipule que : « Toute personne physique ou morale citée ou mise en cause dans un organe médiatique dispose du droit de réponse dans les mêmes conditions fixées à la section 1. La réponse doit être diffusée ou publiée dans les conditions techniques équivalentes à celles dans lesquelles a été diffusé ou publié le message contenant l’imputation invoquée ». Mais l’on voit bien que le Procureur a préféré la voie de la sanction en faisant emprisonner notre confrère. Alors que la prison doit être une option exceptionnelle.
De toute façon, le métier de journaliste a principalement pour rôle de servir de sentinelle et d’alerte face à toutes éventuelles dérives au sein des Institutions de l’Etat mais aussi de simples citoyens. Pour ce faire, le journaliste engagé et indépendant ne pourra jamais se taire et il ne se lassera jamais d’aller crever l’abcès là où il peut se trouver. Bien sûr, en respectant l’éthique et la déontologie de notre métier mais aussi et surtout les dispositions constitutionnelles et légales de notre pays. Que cela soit donc clair, on n’abandonnera à aucun prix l’espace d’expression dont on dispose. Car, celui-ci représente pour nous, la quintessence même de notre existence au plan national.
Gaoussou Madani Traoré
Le Pélican