Economie : La résilience du Mali à l’épreuve de la crise du Covid-19
Le Mali, depuis 2012, ne cesse de vivre les corolaires des déséquilibres sociaux : crise sécuritaire, les crises humanitaires et identitaires mettant en péril les fondamentaux d’un pays déjà éprouvé dans ses fonctions régaliennes. Les attaques contre les forces de sécurité et les conflits entre les communautés des mêmes localités se démultiplient. Cette expansion exécrable de l’insécurité couplée des aléas climatiques qui poussent de nombreuses populations à quitter leurs localités de vie et d’activités pour d’autres font qu’aujourd’hui, plus de 207 751 déplacées internes sont constatées à la date du 31 décembre 2019, d’après le dernier rapport de la Commission Mouvement de Population (CMP).
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De ces problèmes épineux, il devient évident que le Mali était déjà un pays à risque en termes de perspectives économiques avec comme défi, gérer trois crises (sécuritaire, identitaire et humanitaire) qui de surcroit, s’impliquent et s’entretiennent mutuellement augmentant les facteurs de risque de vie sur la population et ayant causé de graves problèmes de sécurité alimentaire. D’après le rapport du bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) du 28 janvier 2020) dont le rôle est d’œuvrer au renforcement de la réponse de l’ONU aux crises et catastrophes naturelles), près de 4,3 millions de personnes ont besoin d’assistance humanitaire en 2020 avec une prévision de 1,1 million de personnes qui seront en insécurité alimentaire «sévère» dans le pays durant la période de soudure (Juin à Aout 2020). Dans cette situation d’insécurité soutenue, les évolutions conjoncturelles économiques du Mali n’ont jamais été aussi alarmantes et font planer l’incertitude chez les investisseurs principalement et autres acteurs économiques. L’investissement, variable macroéconomique qui dynamise et stimule la création de richesse, de l’emploi et donc de la croissance est plus que jamais au ralenti.
C’est dans ce climat cataclysmique que le monde entier vit depuis près de trois mois en raison de la crise sanitaire la plus grave à la fois énorme et hors norme de la deuxième décennie du 21e siècle. Parti de la chine, la mondialisation, l’interdépendance, l’interconnexion des secteurs économiques et des économies des pays font que le Covid-19 n’épargne personne de pays à revenu élevé, moyen ou faible, tout y passe !
Depuis le 25 Mars 2020, le Mali comptabilise ses cas confirmés.
Nous le savons bien, quand l’activité économique ralentit, loin des élucubrations théoriques, l’intervention de l’Etat est une problématique qui relève du bon sens : il faut sauver des emplois, et donc la vie des familles. Le gouvernement du Mali, déjà dans la récession puisque les perspectives de croissance économique de 4,9 pc en 2020 sont revues en baisse (la baisse est confirmée, mais l’ampleur n’est pas encore proportionnée puisque que la crise n’est qu’à son début) n’a d’autres choix que d’intervenir. La plupart des chefs d’Etats, en cette période pandémique, ont annoncé des mesures sociales d’accompagnement. Le discours du président de la république du 10 Avril était attendu. Toute la problématique, c’est de savoir quels fondements stratégiques pour les mesures annoncées ? Au-delà, sont-elles réalistes et suffisantes ?
Nous avons trop attendu. La gouvernance trouve son efficacité dans la pro activité, dans l’anticipation. Quand bien même, mieux vaut tard que jamais. Nous avons des mesures, oui, mais pour quelles fins ? Rappelons les plus essentielles, surtout, pour les couches «dites fragiles» :
Un fonds spécial de 100 milliards de nos francs pour les familles les plus vulnérables sera mis en place à l’échelle des 703 communes du Mali ;
La distribution gratuite de cinquante-six mille tonnes de céréales et de seize mille tonnes d’aliments bétail aux populations vulnérables touchées par le COVID 19 ;
La diminution pendant 3 mois de la base taxable au cordon douanier des produits de première nécessité, notamment le riz et le lait ;
La prise en charge, pour les mois d’avril et de mai 2020, des factures d’électricité et d’eau des catégories relevant des tranches dites sociales, c’est-à-dire les plus démunies ;
L’exonération de la Taxe sur la Valeur Ajoutée sur les factures d’électricité et d’eau de tous les consommateurs, pour les mois d’avril, mai et juin 2020 ;
Le gouvernement, pour ce faire, a décidé plusieurs mesures sociales qui coûteront à l’Etat près de 500 milliards de nos francs dans les hypothèses basses.
Pour les entreprises, nous retenons :
Les crédits de toutes les entreprises sinistrées suite au COVID 19 seront restructurés et des orientations seront données aux banques, afin que les entreprises maliennes puissent bénéficier des concessions accordées par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest ;
Dans le cadre du programme «Un malien, un masque» 20 millions de masques lavables seront livrés à Bamako dans le courant de la semaine prochaine en mobilisant les tailleurs compétents qui peuvent en fabriquer.
Par ailleurs, le gouvernement s’engage à :
revoir toutes les allocations budgétaires. La révision commencera par le sommet de l’Etat ;
payer une prime spéciale au personnel de santé mobilisé ainsi qu’aux éléments des forces de sécurité et de défense affectés à la surveillance du couvre-feu et des lieux d’attroupements éventuels ;
renoncer à un mois de salaire pour l’effort de guerre requis contre le COVID-19 ;
Le Président de la République renonce à trois mois de salaire, et le Premier ministre, deux mois.
De ces mesures, il ressort :
…Une volonté de relance de l’économie par une politique budgétaire :
En effet, il transparait une volonté d’application d’une politique budgétaire de relance, donc augmentation des dépenses budgétaires à travers la renonciation pour la période concernée des recettes relatives à certains produits de première nécessité, ce qui va permettre aux prix de baisser si les vendeurs jouent le jeu et la politique de régulation des prix et de la concurrence appliquée efficacement.
Mais, toujours est-il que depuis 2019, le gouvernement, persiste et signe que la situation des finances publiques est critique : «l’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus de plumes avec moins de cris». Pour rappel, nous n’étions qu’à la moitié (50 à 55pc) des prélèvements des recettes devant se faire courant 2019 pour soutenir les dépenses en Novembre 2019, quand certaines sociétés, notamment dans l’hydrocarbure, ont même effectué des avances sur les trois premiers trimestres 2020 pour permettre à l’Etat de faire face à certains engagements.
Au-delà des dons qui restent des «dons», en finance publique les miracles existent peu : ce sont les recettes qui financent les dépenses. A défaut, il faut creuser le déficit, ce qui augmentera la dette et pose la problématique de la soutenabilité. Le déficit en soi n’est pas un problème en économie. Mais il faut qu’il serve à quelque chose, notamment, créer de la richesse au profit du bien-être de la population : la problématique de l’efficacité découvre toute sa raison d’être ici.
Le Président, dans son allocution insiste sur la «réorientation de certaines allocations budgétaires en commençant par le sommet de l’Etat» pour faire face à cette dépense, cela pose un réel souci en termes de stratégie de coût d’opportunité (avantage-coût) dans un pays où tout est prioritaire (santé, éducation, sécurité…). Il convient alors que la stratégique de réorientation s’effectue dans une optique d’amélioration du bien-être collectif plutôt qu’au profit de quelques privilégiés de la République. Par exemple, le paiement des arriérés de salaires des enseignants même par fait de grèves aurait pu, au-delà de décrisper ce front social, être perçu comme une mesure plus juste et plus équitable en faveur des populations de toutes les couches sociales. Et qu’à cela ne tienne, le discours sur la rationalisation du budget de l’Etat a toujours été tenu par les même autorités depuis des lustres, mais en ne prenant que la gouvernance sur la période 2013-2018, les dépenses ont subi une augmentation moyenne de plus de 13pc, passant de 1433 milliards en 2013 à 2330 milliards en 2018. Nonobstant, la situation globale du pays ne fait que s’aggraver.
En dépassant le scepticisme sur le caractère soutenable et efficace de ces mesures, une grosse difficulté se pose quant à leur suffisance. Cette crise, au-delà de son aspect conjoncturel, pose, de la façon la plus évidente, un autre problème plus épineux d’ordre structurel. En effet, nos services sanitaires sont dans une situation exécrable, voire dans l’abime. Le personnel soignant, en plus de son nombre limité, vit un problème de déficit de qualification. Les matériels de soin limités voire inexistants dans certains hôpitaux. C’est le moment de réfléchir et de concevoir un plan d’investissement de grande envergure pour le secteur sanitaire, allant de la formation, en passant par des recrutements, de la construction des hôpitaux jusqu’à la disponibilité des matériels. C’est en cela que la crise actuelle devient une opportunité pour le Mali de redresser sa gouvernance, relever la tête pour le bien-être des populations.
En effet, la crise actuelle constitue une opportunité pour notre pays afin de créer des chaines de valeurs dans les secteurs ou nous détenons des avantages comparatifs en vue de soutenir la croissance économique au profit du bien-être collectif. Cela doit passer par le fait de repenser nos politiques industrielles à travers la mise en place et l’exécution d’une vision stratégique à l’échelle nationale tenant compte des potentialités de chaque région qui aura comme fil conducteur, un secteur industriel diversifié, soutenu par les matières premières du secteur primaire. Mais aussi, les politiques d’éducation doivent s’adapter à ce contexte évolutif et incertain. L’industrie a, comme moteur de fonctionnement, le capital humain (ensemble de compétences, d’atouts, d’expériences, de connaissances, d’aptitudes, de qualifications qu’un individu peut avoir). La gouvernance institutionnelle se doit d’être de bonne qualité et les capacités de coordination des politiques publiques à la hauteur. Le gaspillage des ressources publiques, la privatisation de l’appareil étatique au profit d’une bande organisée entre copains, l’irresponsabilité de certains agents de l’Etat doivent cesser pour laisser place à «une gouvernance plus vertueuse».
…Quid de cette notion de couche dite «fragile» qui devrait plus bénéficier de ces mesures ?
Le Mali est un pays à revenu moyen faible, 770 dollars par habitant et par an, soit 463 540 FCFA par an et par habitant (Statistique Banque Mondiale). Dans une situation de cherté de vie aggravée par la situation de la crise, combien de famille peut vivre dans toute l’année avec 463 540 FCFA, soit 38 628 FCFA par mois avec un taux de fécondité de 6 enfants par femme en moyenne ? Cela, à ne pas compter sur les inégalités de revenu et la pauvreté. L’indice de développement humain du PNUD qui évalue le développement qualitatif (instruction, santé…) d’un pays, en 2019, classait le Mali 48ème au niveau du continent africain et 182ème au niveau mondial sur un total de 189 pays (soit le septième dernier sur l’échelle mondiale). Comment, dans cette situation de vulnérabilité et d’inégalité de revenu généralisées doublée d’une pandémie qui ralentit toute activité économique, reconnaitre la couche la plus fragile ? Tous les emplois sont menacés, et même les salaires des fonctionnaires de l’Etat.
En effet, une récession longue se traduisant par une dépression met tout Etat en faillite économique, et donc incapable de s’acquitter de ses engagements salariaux. Nous avons connu ce cas dans certains pays comme le Tchad pour des crises moins graves que celle que nous vivions aujourd’hui lorsque le prix du baril du pétrole avait commencé sa chute, il y a deux ans, impactant négativement les recettes d’exportation tchadienne, et donc sa capacité de financement des dépenses salariales. Si plusieurs couches existent, elles sont toutes dans ce contexte pandémique, «fragiles, voire vulnérables». Loin des discours politiques, le pragmatisme économique voudrait une vision stratégique de mesures aptes à accompagner l’ensemble des couches aujourd’hui vulnérables.
Par ailleurs, rappelons que le Mali, comme la majorité des pays africains, importent plus de 90 pc de son médicament. Dans une situation d’urgence pandémique comme celle de COVID 19, où tous les pays, notamment exportateurs de médicament favorisent d’abord la satisfaction de la demande intérieure, cela augmente le risque sanitaire, donc de mortalité dans le pays importateur. Plus que jamais, un plan de développement de l’industrie pharmaceutique doit être conçu et appliqué pour assurer à la nation une certaine souveraineté de ce point de vue.
Très importante, la crise que nous vivions a amplement démontré les insuffisances de la mondialisation des économies industrielles. Les exportations et les importations de toutes les grandes économies ont montré des signaux de détresse. Une balance commerciale qui se détériore engendre illico presto une baisse du PIB et par effet de causalité la croissance économique. C’est à cette baisse de croissance à laquelle nous assistons dans tous les pays du monde. Le moment est venu, pour des pays comme le Mali, de moins dépendre des dépenses publiques, des recettes d’exportation et donc de la balance commerciale afin d’amorcer la construction d’un secteur industriel axé sur la réponse de la demande intérieure, laquelle demande intérieure se doit d’être stimulée par des emplois stables et la mise en place des filets de sécurité efficaces.
…Le COVID 19 : une crise qui met à l’épreuve le secteur informel :
La grande particularité de cette crise sanitaire est qu’elle impose un critère de distanciation sociale, allant d’un mètre jusqu’au confinement le plus strict. Or, l’activité économique dans notre pays comme partout ailleurs étant, par essence, une activité mobile, dynamique qui implique interaction permanente entre agents économiques. Cette interaction se démultiplie lorsqu’il s’agit d’entreprises évoluant dans le secteur informel. Sous cet angle, l’informel, un des poumons de l’économie malienne devient un des facteurs aggravant de la crise sanitaire. On entend par secteur informel, ces d’entreprises où on constate toute absence de tenue de registre du commerce, de l’existence d’un statut, de texte juridique, d’immatriculation et de capital social (OHADA). Au Mali, il représente près de 70 pc de l’activité économique où le taux d’analphabétisme dépasse les 65 pc (UNESCO).
Devant l’agriculture réglementée, l’informel est le premier secteur pourvoyeur d’emploi sur l’ensemble du territoire national avec plus de 60pc du Produit Intérieur brut, 99pc des entreprises maliennes qui y opèrent et 95pc des emplois créés (rapport API Mali, juin 2017). Dans cette précarité économique caractérisée par l’informel, la grande majorité des agents économiques au Mali vivent au jour le jour. C’est pourquoi, les mesures de restriction présentées comme l’une des solutions les plus efficaces pour ralentir la chaine de transmission sans mesures d’accompagnement comprises et partagées par les agents économiques, sont une «chimère au Mali» : entre le risque d’attraper la maladie à COVID-19 et la survie, le choix est vite fait. D’où la nécessité de l’intervention de l’Etat. Comme pour paraphraser Ibrahim Hassan Mayaki, le secrétaire exécutif du NEPAD, «On ne peut pas confiner la pauvreté». Pourtant, au-delà de la fermeture des frontières avec les autres pays, le président de la république n’exclut pas cette mesure qui envisage dans son discours à la Nation du 10 avril 2020 la fermeture de Bamako dans un premier temps où vivent près de 3 millions de maliens. Au-delà du fait que le confinement fait planer de l’incertitude sur les prévisions de consommation et de production, quelles peuvent en être les conséquences sur l’économie domestique ?
…De la fermeture des frontières aux ruptures des stocks ?
Le secteur tertiaire, principalement, dominé par le commerce, l’activité administrative et les autres services est le plus dynamique et contribuait déjà à hauteur de 37,55% du PIB en 2019 (l’Agence UMOA-Titres), avec une balance commerciale fortement déficitaire. Or, il est de notoriété publique, que l’économie malienne reste structurellement très peu industrialisée avec un secteur manufacturier qui peine à se développer. Cette situation explique en partie le fort besoin du pays en importations et un déficit du compte courant qui s’élevait à 5,4 % du PIB en 2019. A cela, il faut ajouter une mobilisation des recettes fiscales structurellement faible (14,3 % du PIB), en dessous de la norme de l’UEMOA de 20 %.
La brutalité avec laquelle le virus se propage depuis plus d’un mois a poussé le Mali à l’instar de ses Etats voisins à fermer leurs frontières afin de réduire les mouvements. Cette fermeture, à termes, provoquera une diminution des mobilités des personnes, mais aussi et surtout, des biens, des services et des capitaux. Le Mali vivant en grande partie de l’importation de biens et de services donc dépendant du reste du monde, verra à long termes, son stock de produit alimentaire diminué. « La rareté d’un bien, ou d’un service faisant sa valeur », cette diminution présentera une opportunité d’augmenter les prix pour les vendeurs. L’inflation qui en sera issu se traduira par une baisse du pouvoir d’achat des ménages, et donc de la consommation domestique. Une autre cause de rupture de stock peut se découvrir dans la volonté des ménages de se prémunir contre une évolution brusque du virus en procédant à des achats leur permettant de faire des surstocks chez eux. Dans l’un comme dans l’autre cas, il convient que les politiques publiques d’approvisionnement soient exécutées pour éviter des ruptures de stocks, source de perte de pouvoir d’achat. Ce qui ne semble pas avoir été fait avant l’annonce de ces mesures restrictives. La grande question reste donc de savoir comment les autorités compte gérer une potentielle rupture de stock ?
Il fallait un discours, et le discours a eu lieu. Au-delà des mesures annoncées pour sortir de la crise, il faut une vision stratégique qui, non seulement permettra de faire sortir le pays de cette ornière, mais apte à faire face à d’éventuelle crise de la même envergure, rien ne garantit que nous n’assisterons pas à un phénomène pareil dans 10 ans. Cela passe par la transformation structurelle de l’économie, la rationalisation des dépenses publiques exorbitantes, la réorientation du système productif national sur la demande intérieure, la stimulation des emplois stables et durables avec des filets de sécurité efficaces, la coordination des politiques publiques assurant une continuité des mesures et le sens de responsabilité et du patriotisme dans la gestion des affaires de la nation. En un mot, une nation existe pour durer, le plan dont il est question doit bâtir le Mali pour le long terme !
Plus que gérer l’Urgence en permanence avec des « mesurretes », les discours doivent à présent servir à reprendre notre en main.
[18/04 à 13:08] Mon MTL: La résilience du Mali à l’épreuve de la crise du COVID-19 :Le Mali, depuis 2012, ne cesse de vivre les corolaires des déséquilibres sociaux : crise sécuritaire, les crises humanitaires et identitaires mettant en péril les fondamentaux d’un pays déjà éprouvé dans ses fonctions régaliennes. Les attaques contre les forces de sécurité et les conflits entre les communautés des mêmes localités se démultiplient. Cette expansion exécrable de l’insécurité couplée des aléas climatiques qui poussent de nombreuses populations à quitter leurs localités de vie et d’activités pour d’autres font qu’aujourd’hui, plus de 207 751 déplacées internes sont constatées à la date du 31 décembre 2019, d’après le dernier rapport de la Commission Mouvement de Population (CMP).
De ces problèmes épineux, il devient évident que le Mali était déjà un pays à risque en termes de perspectives économiques avec comme défi, gérer trois crises (sécuritaire, identitaire et humanitaire) qui de surcroit, s’impliquent et s’entretiennent mutuellement augmentant les facteurs de risque de vie sur la population et ayant causé de graves problèmes de sécurité alimentaire. D’après le rapport du bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) du 28 janvier 2020) dont le rôle est d’œuvrer au renforcement de la réponse de l’ONU aux crises et catastrophes naturelles), près de 4,3 millions de personnes ont besoin d’assistance humanitaire en 2020 avec une prévision de 1,1 million de personnes qui seront en insécurité alimentaire «sévère» dans le pays durant la période de soudure (Juin à Aout 2020). Dans cette situation d’insécurité soutenue, les évolutions conjoncturelles économiques du Mali n’ont jamais été aussi alarmantes et font planer l’incertitude chez les investisseurs principalement et autres acteurs économiques. L’investissement, variable macroéconomique qui dynamise et stimule la création de richesse, de l’emploi et donc de la croissance est plus que jamais au ralenti.
C’est dans ce climat cataclysmique que le monde entier vit depuis près de trois mois en raison de la crise sanitaire la plus grave à la fois énorme et hors norme de la deuxième décennie du 21e siècle. Parti de la chine, la mondialisation, l’interdépendance, l’interconnexion des secteurs économiques et des économies des pays font que le COVID-19 n’épargne personne de pays à revenu élevé, moyen ou faible, tout y passe !
Depuis le 25 Mars 2020, le Mali comptabilise ses cas confirmés.
Nous le savons bien, quand l’activité économique ralentit, loin des élucubrations théoriques, l’intervention de l’Etat est une problématique qui relève du bon sens : il faut sauver des emplois, et donc la vie des familles. Le gouvernement du Mali, déjà dans la récession puisque les perspectives de croissance économique de 4,9 pc en 2020 sont revues en baisse (la baisse est confirmée, mais l’ampleur n’est pas encore proportionnée puisque que la crise n’est qu’à son début) n’a d’autres choix que d’intervenir. La plupart des chefs d’Etats, en cette période pandémique, ont annoncé des mesures sociales d’accompagnement. Le discours du président de la République du 10 Avril était attendu. Toute la problématique, c’est de savoir quels fondements stratégiques pour les mesures annoncées ? Au-delà, sont-elles réalistes et suffisantes ?
Nous avons trop attendu. La gouvernance trouve son efficacité dans la pro activité, dans l’anticipation. Quand bien même, mieux vaut tard que jamais. Nous avons des mesures, oui, mais pour quelles fins ? Rappelons les plus essentielles, surtout, pour les couches «dites fragiles» :
Un fonds spécial de 100 milliards de nos francs pour les familles les plus vulnérables sera mis en place à l’échelle des 703 communes du Mali ;
La distribution gratuite de cinquante-six mille tonnes de céréales et de seize mille tonnes d’aliments bétail aux populations vulnérables touchées par le COVID 19 ;
La diminution pendant 3 mois de la base taxable au cordon douanier des produits de première nécessité, notamment le riz et le lait ;
La prise en charge, pour les mois d’avril et de mai 2020, des factures d’électricité et d’eau des catégories relevant des tranches dites sociales, c’est-à-dire les plus démunies ;
L’exonération de la Taxe sur la Valeur Ajoutée sur les factures d’électricité et d’eau de tous les consommateurs, pour les mois d’avril, mai et juin 2020 ;
Le gouvernement, pour ce faire, a décidé plusieurs mesures sociales qui coûteront à l’Etat près de 500 milliards de nos francs dans les hypothèses basses.
Pour les entreprises, nous retenons :
Les crédits de toutes les entreprises sinistrées suite au COVID 19 seront restructurés et des orientations seront données aux banques, afin que les entreprises maliennes puissent bénéficier des aconcessions accordées par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest ;
Dans le cadre du programme «Un malien, un masque» 20 millions de masques lavables seront livrés à Bamako dans le courant de la semaine prochaine en mobilisant les tailleurs compétents qui peuvent en fabriquer.
Par ailleurs, le gouvernement s’engage à :
revoir toutes les allocations budgétaires. La révision commencera par le sommet de l’Etat ;
payer une prime spéciale au personnel de santé mobilisé ainsi qu’aux éléments des forces de sécurité et de défense affectés à la surveillance du couvre-feu et des lieux d’attroupements éventuels ;
renoncer à un mois de salaire pour l’effort de guerre requis contre le COVID-19 ;
Le Président de la République renonce à trois mois de salaire, et le Premier ministre, deux mois.
De ces mesures, il ressort :
…Une volonté de relance de l’économie par une politique budgétaire :
En effet, il transparait une volonté d’application d’une politique budgétaire de relance, donc augmentation des dépenses budgétaires à travers la renonciation pour la période concernée des recettes relatives à certains produits de première nécessité, ce qui va permettre aux prix de baisser si les vendeurs jouent le jeu et la politique de régulation des prix et de la concurrence appliquée efficacement.
Mais, toujours est-il que depuis 2019, le gouvernement, persiste et signe que la situation des finances publiques est critique : « l’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus de plumes avec moins de cris». Pour rappel, nous n’étions qu’à la moitié (50 à 55pc) des prélèvements des recettes devant se faire courant 2019 pour soutenir les dépenses en Novembre 2019, quand certaines sociétés, notamment dans l’hydrocarbure, ont même effectué des avances sur les trois premiers trimestres 2020 pour permettre à l’Etat de faire face à certains engagements.
Au-delà des dons qui restent des «dons», en finance publique les miracles existent peu : ce sont les recettes qui financent les dépenses. A défaut, il faut creuser le déficit, ce qui augmentera la dette et pose la problématique de la soutenabilité. Le déficit en soi n’est pas un problème en économie. Mais il faut qu’il serve à quelque chose, notamment, créer de la richesse au profit du bien-être de la population : la problématique de l’efficacité découvre toute sa raison d’être ici.
Le Président, dans son allocution insiste sur la «réorientation de certaines allocations budgétaires en commençant par le sommet de l’Etat» pour faire face à cette dépense, cela pose un réel souci en termes de stratégie de coût d’opportunité (avantage-coût) dans un pays où tout est prioritaire (santé, éducation, sécurité…). Il convient alors que la stratégique de réorientation s’effectue dans une optique d’amélioration du bien-être collectif plutôt qu’au profit de quelques privilégiés de la République. Par exemple, le paiement des arriérés de salaires des enseignants même par fait de grèves aurait pu, au-delà de décrisper ce front social, être perçu comme une mesure plus juste et plus équitable en faveur des populations de toutes les couches sociales. Et qu’à cela ne tienne, le discours sur la rationalisation du budget de l’Etat a toujours été tenu par les même autorités depuis des lustres, mais en ne prenant que la gouvernance sur la période 2013-2018, les dépenses ont subi une augmentation moyenne de plus de 13pc, passant de 1 433 milliards en 2013 à 2 330 milliards en 2018. Nonobstant, la situation globale du pays ne fait que s’aggraver.
En dépassant le scepticisme sur le caractère soutenable et efficace de ces mesures, une grosse difficulté se pose quant à leur suffisance. Cette crise, au-delà de son aspect conjoncturel, pose, de la façon la plus évidente, un autre problème plus épineux d’ordre structurel. En effet, nos services sanitaires sont dans une situation exécrable, voire dans l’abime. Le personnel soignant, en plus de son nombre limité, vit un problème de déficit de qualification. Les matériels de soin limités voire inexistants dans certains hôpitaux. C’est le moment de réfléchir et de concevoir un plan d’investissement de grande envergure pour le secteur sanitaire, allant de la formation, en passant par des recrutements, de la construction des hôpitaux jusqu’à la disponibilité des matériels. C’est en cela que la crise actuelle devient une opportunité pour le Mali de redresser sa gouvernance, relever la tête pour le bien-être des populations.
En effet, la crise actuelle constitue une opportunité pour notre pays afin de créer des chaines de valeurs dans les secteurs où nous détenons des avantages comparatifs en vue de soutenir la croissance économique au profit du bien-être collectif. Cela doit passer par le fait de repenser nos politiques industrielles à travers la mise en place et l’exécution d’une vision stratégique à l’échelle nationale tenant compte des potentialités de chaque région qui aura comme fil conducteur, un secteur industriel diversifié, soutenu par les matières premières du secteur primaire. Mais aussi, les politiques d’éducation doivent s’adapter à ce contexte évolutif et incertain. L’industrie a, comme moteur de fonctionnement, le capital humain (ensemble de compétences, d’atouts, d’expériences, de connaissances, d’aptitudes, de qualifications qu’un individu peut avoir). La gouvernance institutionnelle se doit d’être de bonne qualité et les capacités de coordination des politiques publiques à la hauteur. Le gaspillage des ressources publiques, la privatisation de l’appareil étatique au profit d’une bande organisée entre copains, l’irresponsabilité de certains agents de l’Etat doivent cesser pour laisser place à «une gouvernance plus vertueuse».
…Quid de cette notion de couche dite «fragile» qui devrait plus bénéficier de ces mesures ?
Le Mali est un pays à revenu moyen faible, 770 dollars par habitant et par an, soit 463 540 F CFA par an et par habitant (Statistique Banque Mondiale). Dans une situation de cherté de vie aggravée par la situation de la crise, combien de famille peut vivre dans toute l’année avec 463 540 FCFA, soit 38 628 FCFA par mois avec un taux de fécondité de 6 enfants par femme en moyenne ? Cela, à ne pas compter sur les inégalités de revenu et la pauvreté. L’indice de développement humain du PNUD qui évalue le développement qualitatif (instruction, santé…) d’un pays, en 2019, classait le Mali 48ème au niveau du continent africain et 182ème au niveau mondial sur un total de 189 pays (soit le septième dernier sur l’échelle mondiale). Comment, dans cette situation de vulnérabilité et d’inégalité de revenu généralisées doublée d’une pandémie qui ralentit toute activité économique, reconnaître la couche la plus fragile ? Tous les emplois sont menacés, et même les salaires des fonctionnaires de l’Etat.
En effet, une récession longue se traduisant par une dépression, met tout Etat en faillite économique, et donc incapable de s’acquitter de ses engagements salariaux. Nous avons connu ce cas dans certains pays comme le Tchad pour des crises moins graves que celle que nous vivons aujourd’hui lorsque le prix du baril du pétrole avait commencé sa chute il y a deux ans, impactant négativement les recettes d’exportation tchadienne, et donc sa capacité de financement des dépenses salariales. Si plusieurs couches existent, elles sont toutes dans ce contexte pandémique, «fragiles, voire vulnérables». Loin des discours politiques, le pragmatisme économique voudrait une vision stratégique de mesures, aptes à accompagner l’ensemble des couches aujourd’hui vulnérables.
Par ailleurs, rappelons que le Mali, comme la majorité des pays africains, importent plus de 90 pc de son médicament. Dans une situation d’urgence pandémique comme celle du COVID-19, où tous les pays, notamment, exportateurs de médicament favorisent d’abord la satisfaction de la demande intérieure, cela augmente le risque sanitaire, donc de mortalité dans le pays importateur. Plus que jamais, un plan de développement de l’industrie pharmaceutique doit être conçu et appliqué pour assurer à la nation une certaine souveraineté de ce point de vue.
Très importante, la crise que nous vivions a amplement démontré les insuffisances de la mondialisation des économies industrielles. Les exportations et les importations de toutes les grandes économies ont montré des signaux de détresse. Une balance commerciale qui se détériore engendre illico presto une baisse du PIB et par effet de causalité, la croissance économique. C’est à cette baisse de croissance à laquelle nous assistons dans tous les pays du monde. Le moment est venu, pour des pays comme le Mali, de moins dépendre les dépenses publiques, des recettes d’exportation et donc de la balance commerciale afin d’amorcer la construction d’un secteur industrielle axée sur la réponse de la demande intérieure, laquelle demande intérieure se doit d’être stimulée par des emplois stables et la mise en place des filets de sécurité efficaces.
…Le COVID 19 : une crise qui met à l’épreuve le secteur informel :
La grande particularité de cette crise sanitaire est qu’elle impose un critère de distanciation sociale, allant d’un mètre jusqu’au confinement le plus strict. Or, l’activité économique dans notre pays comme partout ailleurs étant, par essence, une activité mobile, dynamique qui implique interaction permanente entre agents économiques. Cette interaction se démultiplie lorsqu’il s’agit d’entreprise évoluant dans le secteur informel. Sous cet angle, l’informel, un des poumons de l’économie malienne devient un des facteurs aggravant de la crise sanitaire. On entend par secteur informel, ces d’entreprises où on constate toute absence tenue de registres du commerce, de l’existence d’un statut, de texte juridique, d’immatriculation et de capital social (OHADA). Au Mali, il représente près de 70 pc de l’activité économique où le taux d’analphabétisme dépasse les 65 pc (UNESCO).
Devant l’agriculture réglementée, l’informel est le premier secteur pourvoyeur d’emplois sur l’ensemble du territoire national avec plus de 60pc du Produit Intérieur brut, 99pc des entreprises maliennes qui y opèrent et 95pc des emplois créés (rapport API Mali, juin 2017). Dans cette précarité économique caractérisée par l’informel, la grande majorité des agents économiques, au Mali, vivent au jour le jour. C’est pourquoi, les mesures de restriction, présentées comme l’une des solutions les plus efficaces pour ralentir la chaine de transmission, sans mesures d’accompagnement comprises et partagées par les agents économiques, sont une « chimère au Mali » : entre le risque d’attraper la maladie à COVID-19 et la survie, le choix est vite fait. D’où la nécessité de l’intervention de l’Etat. Comme pour paraphraser Ibrahim Hassan Mayaki, le Secrétaire exécutif du NEPAD, « On ne peut pas confiner la pauvreté ». Pourtant, au-delà de la fermeture des frontières avec les autres pays, le président de la république n’exclut pas cette mesure qui envisage, dans son discours à la Nation du 10 avril 2020, la fermeture de Bamako dans un premier temps où vivent près de 3 millions de maliens. Au-delà du fait que le confinement fait planer de l’incertitude sur les prévisions de consommation et de production, quelles peuvent en être les conséquences sur l’économie domestique ?
…De la fermeture des frontières aux ruptures des stocks ?
Le secteur tertiaire, principalement dominé par le commerce, l’activité administrative et les autres services est le plus dynamique et contribuait déjà à hauteur de 37,55% du PIB en 2019 (l’Agence UMOA-Titres) avec une balance commerciale fortement déficitaire. Or, il est de notoriété publique que l’économie malienne reste structurellement très peu industrialisée avec un secteur manufacturier qui peine à se développer. Cette situation explique, en partie, le fort besoin du pays en importation et un déficit du compte courant qui s’élevait à 5,4% du PIB en 2019. A cela, il faut ajouter une mobilisation des recettes fiscales structurellement faibles (14,3% du PIB), en dessous de la norme de l’UEMOA (20%).
La brutalité avec laquelle le virus se propage depuis plus d’un mois a poussé le Mali à l’instar de ses Etats voisins à fermer leurs frontières afin de réduire les mouvements. Cette fermeture, à terme, provoquera une diminution des mobilités des personnes, mais aussi et surtout, des biens, des services et des capitaux. Le Mali vivant en grande partie de l’importation de biens et de services, donc dépendant du reste du monde, verra à long terme, son stock de produit alimentaire diminué. «La rareté d’un bien ou d’un service faisant sa valeur», cette diminution présentera une opportunité d’augmenter les prix pour les vendeurs. L’inflation qui en sera issu se traduira par une baisse du pouvoir d’achat des ménages, et donc de la consommation domestique. Une autre cause de rupture de stock peut se découvrir dans la volonté des ménages de se prémunir contre une évolution brusque du virus en procédant à des achats leur permettant de faire des surstocks chez eux. Dans l’un comme dans l’autre cas, il convient que les politiques publiques d’approvisionnement soient exécutées pour éviter des ruptures de stocks, source de perte de pouvoir d’achat. Ce qui ne semble pas avoir été fait avant l’annonce de ces mesures restrictives. La grande question reste donc de savoir comment les autorités comptent gérer une potentielle rupture de stock ?
Il fallait un discours et le discours a eu lieu. Au-delà des mesures annoncées pour sortir de la crise, il faut une vision stratégique qui, non seulement, permettra de faire sortir le pays de cette ornière, mais apte à faire face à d’éventuelle crise de la même envergure, rien ne garantit que nous n’assisterions pas à un phénomène pareil dans 10 ans. Cela passe par la transformation structurelle de l’économie, la rationalisation des dépenses publiques exorbitantes, la réorientation du système productif national sur la demande intérieure, la stimulation des emplois stables et durables avec des filets de sécurité efficaces, la coordination des politiques publiques assurant une continuité des mesures et le sens de responsabilité et du patriotisme dans la gestion des affaires de la nation. En un mot, une nation existe pour durer, le plan dont il est question doit bâtir le Mali pour le long terme !
Plus que gérer l’Urgence en permanence avec des « mesurretes», les discours doivent, à présent, servir à reprendre notre pays en main.
Dr Etienne Fakaba Sissoko Chercheur au CRAPES,
Professeur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion –
Email : etienne@crapes.net
Khalid Dembélé, Economiste, Chercheur au
Centre de Recherche et d’Analyse Politique, Economique et Sociale – CRAPES
Email : k.dembele@crapes.net