Du Général de Gaule à Macron, pourquoi le Mali suscite-t-il autant d’enjeux géostratégiques pour la France ?
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Il n’est pas aisé de répondre à cette interrogation sans faire un bref rappel de quelques faits importants de l’histoire du Mali de la période coloniale et post-coloniale. En effet, dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’appétit des puissances européennes sont attirées par les richesses insoupçonnées de l’Afrique dont le Mali. En 1850, le Mali devient une colonie française sous l’appellation de Soudan français, en dépit des résistances héroïques menées par des rois comme Tiéba et Babemba Traoré du Kénédougou, Amadou Tall de Ségou, Niamodi Sissoko du Khasso et Koumi Diossé Traoré du Bélédougou, etc., dont la lutte a précédé cette occupation.
En effet, depuis au temps des grands empires, le Soudan français est connu pour sa grande richesse en or. A partir des explorations effectuées sur ce territoire, les colonisateurs français découvriront plusieurs autres ressources naturelles énergétiques et minières inexploitées (pétrole, gaz naturel, hydrogène, bauxite, fer, cuivre, nickel, phosphate, manganèse, uranium, lithium, etc.). Au cours de cette époque, pour le contrôle, l’exploitation et l’exportation de ces ressources, la France met en place, d’impressionnants moyens, allant de la mise en place des dispositifs de surveillance et de sécurisation de ses intérêts, à la construction d’infrastructures (chemin de fer, routes, ports, barrages hydro-agricoles, etc.) et à la mise en valeur des milliers d’hectares de terres agricoles, mobilisant des investissements astronomiques.
C’est dans ce contexte qu’intervient par exemple, la construction du barrage de Markala en 1947 afin de développer sur les terres de l’Office du Niger, la culture du coton, du riz et de la canne, destinée à la métropole coloniale. L’occupation et l’exploitation économique du Soudan français vont durer jusqu’à l’indépendance le 22 septembre 1960. La première République vivra de 1960 à 1968 avec le Président Modibo Kéïta. En 1968, la République connait son premier coup d’Etat militaire mené par Moussa Traoré, lui-même renversé par une révolution populaire qui ouvre l’ère de la démocratie au Mali.
De 1992 à 2020, le pays a connu trois présidents à savoir, Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Kéïta. Les régimes de tous ces présidents, sont marqués par la mauvaise gouvernance (corruption, injustice sociale, impunité, etc.), et une instabilité politico-institutionnelle achevée par des coups d’Etat. Ce qui est important de signaler, c’est que malgré cette indépendance acquise au prix du sang des héros et de la détermination des leaders politiques très emblématiques de l’époque dont Modibo Kéïta, Mamadou Konaté, Fily Dabo Sissoko et Hamadoun Dicko, etc., la présence, l’influence et la pression de la France se feront sentir sur tous ces régimes, en raison de ses enjeux géostratégiques importants au Mali.
Par définition, les enjeux géostratégiques en géographie, sont un objet auquel des acteurs (politiques, militaires, etc.), attribuent une valeur. C’est donc, ce qui est en « jeu », c’est-à-dire, une ressource ou un espace géographique tel que le territoire, de même que l’accès ou l’usage de cette ressource de cet espace. C’est là que le terme devient important en politique où il occupe une place de choix. En politique, la géostratégie est l’étude des moyens mis en place par un Etat, une puissance, pour parvenir à établir ses rapports de force et assurer la suprématie à l’échelle régionale et internationale. Il s’agit pour cet Etat, de mettre en œuvre des moyens militaires, politiques et financiers, pour contrôler ses intérêts, s’approprier des ressources que recèle un territoire conquis ou occupé, puis les sécuriser.
Ce qui revient à retenir que là où il y a des intérêts économiques d’un Etat, d’une puissance, il y a aussi des enjeux géostratégiques comme le cas français au Mali. L’accession du Mali à l’indépendance a du coup, freiné la visée expansionniste française et par la suite, l’attrait de son appétit sur les ressources naturelles hautement stratégiques comme le pétrole, le gaz naturel, l’uranium et le lithium, etc., encore non exploitées. Cette situation au goût inachevé va pousser la France à maintenir par tous les moyens jusqu’à ce jour, sa présence et son influence aux plans militaire, politique, économique, financier et culturel sur le Mali, à travers des traités de coopération souvent négociés au détriment du pays.
L’échec de 30 années de pratique démocratique par les acteurs politiques, mettent à nu, les dysfonctionnements des institutions de l’Etat affaibli par la double crise politique et sécuritaire, marquée par les attaques terroristes, la rébellion touarègue et par une série de coups d’Etat qui ont favorisé l’installation des terroristes contre lesquels la France à la demande du Président de la Transition d’alors, Dioncounda Traoré, mobilise en 2013, des milliers de soldats des forces « Serval », puis « Barkhane », avec un arsenal de guerre assez impressionnant, non pas pour sauver ou stabiliser l’Etat du Mali, mais en réalité, pour pouvoir davantage, dominer le territoire, contrôler et sécuriser ses intérêts économiques colossaux en terre malienne.
En dépit de la forte mobilisation des forces françaises, la crise qui a entrainé la mort de plusieurs milliers de civils et de soldats maliens, s’enlise, la fragmentation et l’effondrement de l’État du Mali surviennent, suivi en aout 2020, par un coup d’Etat militaire dirigé par le Colonel Major Assimi Goïta. Après avoir tiré les leçons de l’échec de 9 ans de présence militaire de la communauté internationale venue pour sécuriser et stabiliser le Mali selon la formule officiellement consacrée, les autorités de la Transition décident d’une réorientation et d’une réadaptation de la politique sécuritaire du pays, par la diversification de sa coopération militaire. Morceau choisi, la coopération russe afin de régler définitivement ladite crise qui perdure et qui n’a que trop endeuillé le Mali.
Ce que considère la France, ancienne puissance colonisatrice, comme une ingérence russe dans son pré carré et la fin de son hégémonie après deux siècles de domination sur le Mali. Depuis, le torchon brûle entre Paris et Bamako. C’est le désamour ! Comme si cela ne suffit pas, l’intervention du Premier Ministre du Mali, Choguel Kokalla Maïga à la tribune des Nations-Unies le 25 août 2021, je cite «… plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et les moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome ou avec d’autre partenaires…», est perçue par les autorités françaises dont le Président Emmanuel Macron, ses Ministres des Affaires Etrangères et de la Défense, comme l’effet d’une bombe, voire un affront à la France qui se voit encore au XXIè siècle, en « maîtresse absolue » en terre malienne.
Face à ce discours du Premier Ministre dans lequel beaucoup de maliens se reconnaissent, la passion a pris le pas sur la raison du coeur, laissant entendre de la part du Président Macron, des propos très durs et même injurieux et vexatoires, à l’endroit du Peuple du Mali, pourtant ouvert, vertueux et respectueux. L’opposition de la France contre la volonté des autorités de la Transition à diversifier la coopération militaire avec d’autres partenaires dont la Russie, est vue par le Peuple souverain du Mali, comme une gifle, une audace de trop, dans les intérêts du Mali.
Cette coopération si elle venait à se concrétiser, tout comme le probable contrat du Mali avec le Groupe privé de sécurité russe, qualifié à tort par la France, de mercenaires, permettra de sécuriser dans la durée, un territoire soumis aux menaces terroristes depuis 2012. Aux vues de tout ce malentendu, c’est à la France de faire le bon choix afin d’apaiser les vives tensions crées autour de la coopération russe et le probable contrat avec Wagner. Ces tensions si elles devaient perdurer, ne pourront que nuire davantage, les relations de coopération entre le Mali et la France qui doit comprendre que le temps des intimidations, des injonctions et des sanctions économiques, est révolu.
Voilà pourquoi, le Mali suscite de la période coloniale à celle post-coloniale, des intérêts géostratégiques pour la France. Or, aujourd’hui, le Mali, face à son destin, est en train de réécrire depuis le 24 mai 2021, une nouvelle page de rectification de son histoire et de sa politique à l’échelle nationale et internationale, pour la renaissance d’une République avec des institutions fortes et équilibrées, où la vraie démocratie, celle du Peuple sera désormais la seule boussole qui orientera toutes les actions des nouvelles autorités qui auront la confiance du Peuple.
Mais tout cela ne sera possible que lorsqu’on aura une Transition inclusive, apaisée et réussie qui passe nécessairement par la refondation de l’Etat, d’où le choix fait par les autorités de la Transition d’organiser les Assises Nationales de Refondation (ANR), prévues très prochainement.
Dr. Allaye GARANGO, enseignant chercheur-Ensup/ Bamako
Le Pélican