Dr. Madou Cissé, enseignant- chercheur, sur l’avenir du FCFA : « Il faut rompre »
Meguetan Infos
Doit-on quitter la zone Franc ? Au moment où la question sur l’avenir du F CFA attise les échanges au Mali, l’enseignant chercheur à la Faculté des Sciences économiques et de Gestion de Bamako (FSEG). Dr. Madou Cissé, dans cette interview ci-dessous, dit-oui mais, cependant, y met un bémol. L’auteur des ouvrages microéconomie I et II porte également son regard sur le système monétaire ouest africain, la place de la monnaie dans une économie, les avantages et les inconvénients du F CFA et sur la monnaie unique régionale, Eco.
Mali-Tribune : Quel est le système monétaire ouest africain ?
Dr. Madou Cissé : Le système ouest africain, comme tous les autres systèmes d’ailleurs, est bâti autour de deux éléments. Dans le cas de l’Afrique de l’ouest, c’est l’Uémoa. Cette zone a comme banque centrale la Bcéao. Elle a en sa disposition au moins 152 banques de second rang et d’établissements financiers avec leurs succursales qui s’occupent maintenant de la gestion monétaire.
La banque centrale chapote tout ce qui est émission de banque, sécurisation et vérification des moyens de payement. Les banques de second rang mettent en place la création monétaire.
Mali-Tribune : En combien de temps peut-on battre notre monnaie ?
Dr. M. C. : Battre sa propre monnaie n’est pas hyper compliqué dans la mesure où il y a déjà des pays à travers le monde qui ont leur monnaie locale. Mais on doit comprendre que la monnaie est avant tout politique. Ce sont les politiques qui doivent décider de cette question.
Si, par exemple, le Mali décide de mettre en place sa propre monnaie, il faudrait que l’exécutif émette cette idée et que le CNT, la représentation nationale, la valide.
Il faut un peu de temps pour échanger les F CFA en circulation par la nouvelle monnaie. Nous n’allons pas nous mettre dans la dynamique d’abord de créer sa propre imprimerie parce que ça demande beaucoup de temps, de technicité et de ressources.
On peut commencer déjà à battre monnaie et la faire fabriquer ailleurs comme la Guinée le fait en Angleterre, la Mauritanie en Allemagne…
C’est la mise en place de l’imprimerie qui pose problème, sinon battre monnaie ne prend pas assez de temps. Il suffit d’une volonté politique accompagnée d’une productivité en termes de travail des citoyens.
Mali-Tribune : Quelle est la place de la monnaie dans une économie ?
Dr. M. C. : La monnaie remplit 3 fonctions principales édictées par Aristote au moins 300 ans avant Jésus-Christ.
La monnaie est unité de compte parce qu’elle permet d’établir les ordres de grandeur entre les biens et les services. Elle sert de moyens d’échange et enfin de valeur de réserve. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’elle est considérée par certains chercheurs comme la plus grande invention de l’humanité.
Mali-Tribune : Quels sont les avantages et les inconvénients du F CFA ?
Dr. M. C. : Les avantages et les inconvénients d’une monnaie dépendent surtout de ses politiques de mise en œuvre.
Le F CFA a un avantage intrinsèque. Le F CFA, dans sa mise en œuvre, est dans une situation de parité fixe. Le fait que nous avons opté pour une parité fixe du F CFA vis-à-vis d’une monnaie internationale qui est convertible à savoir le l’Euro, rend les activités commerciales certaines. C’est-à-dire que les commerçants maliens et étrangers sont mis à l’abri de l’incertitude. C’est vraiment l’avantage incontournable du F CFA.
L’inconvénient majeur aussi de cet avantage est que le F CFA, à travers sa politique de gestion, ne permet pas de l’utiliser comme un outil de politique de relance économique.
Mali-Tribune : La question revient le plus souvent au cours des discussions. Pourquoi le F CFA est-il imprimé en France ?
Dr. M. C. : C’est l’historique. Après la seconde guerre mondiale, il y a eu l’instauration du dollar comme l’étalon principal des échanges à travers le monde parce qu’avant 1944, il y avait la parité fixe orientée vers l’or. A la création des institutions de Breton Wood en 1944, le Dollar a joué ce rôle de supra monnaie sur le plan international indexé à l’or.
A partir de là, les Etats d’Afrique de l’ouest n’étaient pas indépendants, donc utilisaient le F CFA, sous un autre nom. C’est le 26 décembre 1945 que la France a instauré le F CFA sous l’appellation Franc des Colonies d’Afrique. Le F CFA était une monnaie de la France. Le pays a une banque centrale qui a des imprimeries et c’est elle qui imprimait.
Donc après les indépendances, par des accords, l’appellation a été changée, mais les Africains de l’ouest n’ont pas voulu changer d’imprimeur. C’est tout.
Mais on peut changer d’imprimeur et aller en Allemagne, Angleterre ou Suisse. C’est une question de coût bénéfice qu’il faudrait voir peut être.
Mali-Tribune : A son accession à l’indépendance, le Mali avait pourtant créé sa propre monnaie. Pourquoi le pays a réintégré la zone franc sous le régime du général Moussa Traoré ?
Dr. M. C. : Le Mali a réintégré le F CFA bien avant la chute du président Modibo Keita même si, on avait le F CFA. C’est la conversion totale, enlever le Franc malien et ramener le F CFA, a été vraiment faite sous Moussa Traoré.
Le Mali a réintégré le F CFA parce que l’économie était mourante. Quand on détient sa monnaie, il y a une incitation très forte à faire jouer la planche à billet.
Comme il n’y a pas de garantie dernière, une fois que l’exécutif est coincé, il peut fabriquer autant de monnaie qu’il veut et le mettre en circulation. Lorsqu’il y a une théorie assez puissante qui existe et dit que quand vous continuez à fabriquer de la monnaie et qu’il y ait un déséquilibre entre la quantité de la monnaie fabriquée et la quantité des biens et services qui sont vendus, ça va amener une inflation et l’hyper inflation, si possible.
Une fois que les prix montent et atteignent un certain niveau, il y a trois conséquences majeures : les salaires ne vont pas avoir assez de poids. Le deuxième problème, les biens et services vont également perdre la valeur parce que le rapport entre les biens et services vont changer. Le troisième problème c’est que les capitaux aussi n’auront pas assez de valeur.
Ce sont ces éléments qui ont fait que comme il y avait beaucoup de Franc malien à cette époque en circulation et qu’on n’arrivait pas à gérer notre monnaie, ça fait basculer l’économie.
N’oublions pas aussi qu’il y avait des ennemies du Mali qui fabriquaient aussi les faux billets maliens pour les mettre en circulation afin de faire monter la monnaie en circulation, exploser la masse monétaire.
Tous ces éléments ont plombé le Franc malien et poussé le Mali vers la porte de sortie. On a été obligé d’intégrer la zone Franc où, la gestion était collégiale et pilotée quelque part par la France. Ça fait qu’il avait plus de stabilité là-bas.
Mali-Tribune : Doit-on quitter la zone Franc ?
Dr. M. C. : En économie, il y a deux types de questions. Le premier type, ce sont des questions relevant de l’économie positive.
L’économie positive, c’est toutes les questions économiques qui poussent les économistes à faire soit une description, soit une prévision. Généralement, les économistes n’ont pas de problème et vous remarquerez qu’ils convergent tous vers la même direction.
Si vous voyez que votre question pose beaucoup de problèmes et attise les passions en Afrique de l’ouest parce qu’en réalité c’est une question d’économie normative.
Quand la question est d’ordre économie normative, il n’y a pas de bonne réponse. C’est pour cela vous verrez des grands économistes qui soutiennent qu’il faut rester dans la zone franc et d’autres vous disent qu’il faut en sortir. Parce que tout simplement c’est une question qui les pousse à prescrire.
Mali-Tribune : Quelle est votre disposition sur la question ?
Dr. M. C. : En tant qu’économiste malien et africain, ma réponse c’est un grand oui avec un petit non.
Le oui. Pourquoi ? Parce que le bon sens souhaite que toute nation gère sa propre monnaie. Sortir de la zone, le Mali en tant que tel, il ne faut pas l’envisager. Mais abandonner le F CFA en tant que communauté et créer sa propre monnaie, c’est là où je dis un grand oui. Le petit non, à condition que nous ayons notre propre imprimerie. Si nous devons sortir de la zone Franc pour aller imprimer notre monnaie ailleurs, ce n’est pas intéressant.
Si vous regardez les 15 pays de la Cédéao, 8 pays de l’Uémoa ont une monnaie commune. Les sept autres ont tous leur monnaie.
Quand vous prenez les chiffres économiques, les grands indicateurs, ces pays ne font pas mieux que les pays de l’Uémoa. Presqu’on fait plus de croissance que beaucoup de ces pays. On finance plus notre économie que certains. Le bon sens nous exige que nous abandonnions soit le F CFA, soit que nous fassions sortir la France du Franc F CFA.
Mali-Tribune : Etes-vous d’avis pour remplacer le F CFA par la monnaie unique de la Cédéao, l’Eco ?
Dr. M. C. : Il faudrait qu’on sorte d’abord de la zone Franc. Tout compte fait, il faut rompre avec le fonctionnement du F CFA tel qu’il est fait sous le contrôle direct ou indirect de la France. Il faut aller vers l’indépendance monétaire mais, en groupe. C’est une question de bons sens. A mon avis, ce bon sens pareil plus important, utile et plus judicieux pour nous que de rester dans le FCFA.
Recueillis par
Kadiatou Mouyi Doumbia
Mali Tribune