Dr Aly Tounkara : «La demande de retrait de la Minusma est bien réfléchie»
Meguetan Infos
Quelles sont les raisons qui ont conduit le gouvernement à demander le retrait de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) ? à quel scénario pourrait-on assister après cette demande de la part du Conseil de sécurité ?
Est-ce une manière pour les autorités maliennes d’imposer la prise en compte de leurs requêtes maintes fois exprimées en vain sur le mandat de la Mission ? Combien de temps prendrait ce retrait ? Voilà autant de questions que Dr Aly Tounkara, expert défense et sécurité au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) aborde dans les lignes qui suivent.
L’expert explique que cette demande du gouvernement de la Transition intervient à la suite d’une succession d’évènements qui n’ont pas été bien appréciés par l’élite militaire au pouvoir. Selon Dr Aly Tounkara, lorsqu’on se réfère aux différents rapports produits par les experts des Nations unies sur le futur de la Minusma, l’État du Mali n’y a pas pris part. Mieux, il dira qu’en s’intéressant aux différents scenarios proposés pour la suite de la Mission, on se rend compte aussi que l’État malien n’est pas associé. Et ces décisions sont apprises par les autorités maliennes à travers les medias ou à travers ces mêmes experts mandatés par les Nations unies. Un autre fait que le directeur du CE3S a souligné est que lorsqu’on se réfère à la sortie récente du secrétaire général Antonio Guterres sur le redimensionnement de la Mission au Mali, toutes ses déclarations se font sans une implication réelle de l’État malien. C’est pourquoi, il estime que cette demande de retrait de la Minusma par l’État du Mali est tout à fait compréhensible au regard de ces évènements qui se sont succédé.
Le chercheur ajoute à ces évènements, le rapport produit sur les supposées violations des droits de l’Homme par les éléments des Forces de défense et de sécurité lors des opérations militaires à Moura. D’après lui, toutes ces raisons ont amené Bamako à s’interroger sérieusement sur la manière dont la Minusma agit au Mali. Mais surtout, sur toutes ces questions relatives à l’épistémologie et même à l’éthique de la Mission. Pour Bamako, dira le chercheur, ces questions sont tenues à l’écart par les Nations unies. Et ce sont, entre autres, ces raisons qui expliqueraient pourquoi aujourd’hui, les autorités maliennes demandent que la Mission mette un terme à sa présence sur le sol malien dans un bref délai.
TENTATIVES DE NÉGOCIATIONS- Pour Dr Tounkara, à ce stade, il est un peu difficile de savoir concrètement ce que le Conseil de sécurité des Nations unies va faire face à cette décision du Mali. à coup sûr, dans les coulisses, il soutient que des tentatives de négociations pour que le Mali revienne sur sa décision, sont des hypothèses soutenables. Mais au regard du rapport tendu entre le Mali et un certain nombre de pays du Conseil de sécurité, le chercheur pense qu’il est fort probable que les Nations unies se conforment à la décision du gouvernement. Toutefois, selon le chercheur, ce que l’on pourrait demander à l’État du Mali, c’est de revoir son agenda du retrait afin que les troupes et toutes les dimensions logistiques puissent quitter le territoire malien en bon ordre et dans un intervalle relativement long que celui du communiqué du gouvernement.
Pour l’expert défense et sécurité du CE3S, il n’est pas aisé à ce stade de soutenir la thèse selon laquelle, le gouvernement malien chercherait à ce que ses différentes requêtes soient prises en compte en cas de renouvellement du mandat de la Minusma. Aly Tounkara dira à cet effet que la mission dont le Mali a réellement besoin aujourd’hui, c’est une mission de lutte anti-terroriste. Or, selon lui, les Nations unies, à travers les pays contributeurs, n’accepteraient aucunement l’effectivité d’une telle mission dans le contexte malien. « Même si demain, cette mission venait à voir le jour, il serait difficile de trouver et mobiliser des pays contributeurs y compris ceux de la sous-région », analyse le chercheur pour qui, cette décision du gouvernement du Mali est tout à fait réfléchie. Pour lui, elle couronne aussi les différents soulèvements auxquels l’on a assisté çà et là contre le maintien des casques bleus dans le contexte malien en dépit des autres avantages qu’on pourrait procurer de cette Mission notamment les questions de développement, d’employabilité des jeunes, d’une présence dissuasive vis-à-vis des groupes terroristes. D’après le chercheur, tout ceci est aujourd’hui estimé par l’État du Mali comme peu efficace, peu pertinent pour une lutte contre la nébuleuse terroriste.
NON CONFORMITÉ AVEC LES ATTENTES- Parlant du temps que pourrait prendre le retrait, Aly Tounkara prévient que cela nécessite un temps relativement long à cause du nombre d’hommes et de femmes présents aujourd’hui au nom de cette Mission. Mais aussi à cause de tous les aspects logistiques qui vont avec. Pour lui, il faudrait en moyenne un an voire deux ans pour qu’on assiste à un retrait définitif de l’ensemble des troupes et des équipements du sol malien. Le chercheur soutient que de toutes les façons, conformément aux textes, on ne peut exiger le retrait en moins d’une année. Et les Nations unies, à coup sûr, pourraient aller au-delà d’un an prévu statutairement.
Au-delà du Mali, Dr Aly Tounkara explique que les différentes Missions des Nations unies sont perçues à travers le monde comme des missions d’interférence des puissances militaires en l’occurrence les États permanents au Conseil de sécurité. Ce qui fait qu’on soit au Soudan, au Congo, en République centrafricaine ou même en Palestine, en Libye, partout où ces missions sont présentes, ce sont des compétitions entre les puissances pour le contrôle sur le pays assisté. Ce sont aussi des compétitions entre les puissances militaires et économiques en termes d’influence politique, d’extraction de ressources naturelles. Pour le chercheur, toutes ces raisons font que les gens ont du mal à s’accommoder avec ces missions.
L’autre élément qui expliquerait ces contestations récurrentes que l’expert défense et sécurité a évoqué, est la non-conformité de ces différentes missions onusiennes avec les attentes des populations éprouvées par des conflits ou des catastrophes naturelles. Une situation que le spécialiste du CE3S a soulignée dans son analyse est que très souvent, les règles d’engagement des contingents au sein des différentes missions sont strictes et rigides. Toutefois, il fera remarquer qu’au-delà de ces règles générales d’engagement auxquelles tous les pays contributeurs sont censés se conformer, chaque État a aussi des spécificités en termes de présence de sa troupe ou de ses hommes dans les pays hôtes. Tout cela fait qu’il est difficile qu’une mission onusienne impacte positivement sur la situation sécuritaire ou sur l’existant, a analysé Dr Tounkara, qui a pris l’exemple sur le Mali. D’après lui, si l’on prend le Bangladesh, le Sénégal, le Burkina Faso, l’Égypte, chaque contingent, en fonction des modalités d’engagement de son pays, est tenu d’observer un certain nombre de règles.
Dieudonné DIAMA
L’Essor