Djibrilla Ariaboncana Maïga, directeur général de l’Agence nationale de la météorologie : « La saison de pluies 2019 sera globalement bonne »
La météorologie est aujourd’hui, un outil fondamental du développement, mais peu de gens le savent. Dans une interview exclusive accordée à L’Essor, le directeur général de l’Agence nationale de la météorologie, Djibrilla Ariaboncana Maïga, souligne toute l’importance de l’information météorologique pour le développement socio-économique du pays. En outre, il évoque les prévisions pour l’hivernage 2019, avant de faire le point des activités de sa structure y compris les résultats des pluies provoquées ainsi que ses perspectives de développement.
L’Essor : Nous sommes en plein hivernage. Quelles sont les prévisions météorologiques pour l’hivernage 2019 ?
Djibrilla Ariaboncana Maïga : Effectivement, nous sommes en plein hivernage. S’agissant des prévisions, déjà, en fin avril – début mai, nous avons élaboré une prévision des caractéristiques agro-hydrométéorologiques de la saison des pluies 2019. Il ressort de cette analyse que d’une manière générale, la pluviométrie sera de normale à excédentaire sur l’ensemble du pays, en dehors des parties nord des régions de Kayes et de Koulikoro, où elle sera déficitaire à normale. Il a aussi été établi que la saison pluvieuse va démarrer de façon précoce à normale. Les fins de la saison, de leur côté, seront tardives à normales. Mais, une longue pause sèche sera observée au cours de cet hivernage et ensuite les pluies reprendront. Il faut souligner aussi que ces séquences sèches n’auront pas d’impact sur les cultures. En fait, l’agriculture n’a pas besoin de grosses quantités de pluies, mais de leur régularité. Les fréquences sont suffisantes, mais faibles. Une analyse relative aux cours d’eau a également été faite. Ainsi, il est attendu des niveaux d’eau normaux à excédentaires sur le fleuve Niger et le bassin du Sénégal.
Globalement, nous estimons que la saison des pluies sera normale. Aujourd’hui, on a l’impression de ne pas être dans une saison pluvieuse normale pour un mois d’août, parce que les quantités d’eau recueillies sont de niveau faible. Mais en réalité, la répartition des pluies est plus ou moins normale. Si on prend le cumul des pluies du 1er mai à aujourd’hui, il est normal à excédentaire. Les prévisions se sont avérées justes et nous pensons que la saison va être globalement bonne. Il n’est pas exclu de voir des poches d’assèchement comme on le voit présentement vers Kayes et Koulikoro.
L’Essor : La pluviométrie est-elle normale à Bamako?
D.AM. : Bamako est dans la zone où il pleut de normal à excédentaire. En termes de répartition, il ne pleut pas régulièrement comme cela devait être en août. Si l’on tient compte du cumul et des faibles quantités de pluie qui tombent, on se retrouve à normal. Au mois de mai, par exemple, il y a eu de grosses pluies. Globalement, la situation est la même sauf dans les régions de Mopti, Tombouctou et Gao, où il pleut abondamment avec des inondations à Ménaka, Kidal et dans la région de Mopti. En dépit de cela, la répartition dans l’ensemble est bonne. Sur le plan agricole, ce n’est pas mauvais. Par contre, pour l’énergie ou la navigation fluviale, cela pose problème parce que ces secteurs ont besoin de beaucoup d’eau pour remplir le fleuve.
L’Essor : Le commun des Maliens ne connaît, généralement, de la météo que les prévisions de temps qu’on montre après le journal télévisé. Pouvez-vous expliquer ce que c’est que la météo et son utilité ?
D.A.M. : La météorologie, c’est la science qui étudie les phénomènes atmosphériques tels que les nuages, le vent, les précipitations et autres dans le but de comprendre comment ils se forment et évoluent en vue de pouvoir faire des prévisions. Au tout début, la météo observait et décrivait. Cela a commencé par la navigation maritime. Pour observer, on a besoin d’un réseau d’observation météorologique. C’est-à-dire un ensemble cohérent de stations (pluviomètres, petites cases aménagées pour mesurer la température, l’humidité, le vent) qui sont installées un peu partout dans le monde comme au Mali. On suit le mouvement des vents, des nuages etc. Purement descriptive à l’origine, la météorologie est devenue, aujourd’hui un outil multidisciplinaire qui a des applications importantes. C’est ainsi qu’est née la météo agricole, la biométéorologie appliquée dans le domaine de la santé, de l’énergie. La météorologie a un impact sur tous les secteurs de développement. Comment ? Certains l’utilisent pour rentabiliser certaines activités, d’autres, pour protéger leur outil de travail, d’autres encore pour la conception des ouvrages. Par exemple, pour la construction d’un pont, on a obligatoirement besoin d’infos météorologiques. Les transports routier, maritime et aérien ont tous besoin de nos informations.
L’Essor : A quoi consiste votre travail ?
D.A.M : La base de notre travail, c’est le réseau d’observation. Aujourd’hui, nous disposons de plus de 100 stations classiques dont certaines mesurent toutes les trois heures sans arrêt. Elles sont gérées par des personnes qui transmettent l’information à Bamako qui, à son tour, retransmet à Dakar et Dakar, à Washington et Londres parce qu’il y a les centres mondiaux de collecte de données. Le monde entier envoie des données dans ces centres dans le but de créer des modèles robots de prévisions, c’est-à-dire les grands schémas du monde dans lesquelles on prévoit les évènements. En retour, chaque pays prend cette information globale pour l’adapter à ses réalités, à une zone bien déterminée. Ce sont des informations exactes, précises et localisées. C’est vraiment utile. Nous collectons les infos, les traitons et en fonction de la spécificité de chaque secteur, nous concevons l’information. Pour le transport, la visibilité est importante, l’agriculture, la date des semis, etc. L’aspect le plus important de notre travail, c’est mettre l’information à la disposition des usagers, parce que quand une information n’arrive pas à destination, elle n’a pas de valeur. Les services météorologiques et climatologiques sont donc produits à travers une chaîne de valeur allant de l’observation, à la modélisation, aux prévisions et aux services. Les services peuvent être adaptés et spécialisés pour être utilisés dans les prises de décisions stratégiques, opérationnelles et tactiques.
Au Mali, nous fournissons des informations météorologiques toutes les 48h ou 78 heures pour la protection des personnes et des biens, contribuer au développement socio- économique et optimiser les investissements en donnant des informations très précises qui répondent aux besoins des utilisateurs. Les stations synoptiques mesurent toutes les 3h, mais maintenant, nous nous tournons de plus en plus vers les stations automatisées surtout que la Convention de Minamata interdit l’utilisation du mercure avec lequel travaillent les services de météo. Les pluviomètres, quant à eux, sont faciles à utiliser. Nous formons les paysans, leur confions ce genre d’instrument ou les confions à l’administration et aux enseignants qui font les observations et nous les envoient. D’ailleurs, nous avons conçu le pluviomètre paysan qui ne coûte que 3000 Fcfa.
L’Essor : Est-ce que l’information est transmise à temps ?
D.A.M. Pour les prévisions, ils envoient immédiatement à Bamako au Centre de Bamako – Senou, mais pour les besoins climatologiques, ils attendent la fin du mois pour envoyer. Les infos climatologiques servent à faire des études ou d’autres recherches.
L’Essor : Quelle est la contribution de la météo au développement du pays ?
D.A.M : Les services météo sont un élément fondamental du développement économique. Selon les études, au Mali, la formation du PIB est liée à la pluviométrie. Une étude financée par la Suisse a montré que les producteurs qui suivent les conseils des infos météo, ont augmenté leurs rendements de 20 à 30% et dans certaines zones jusqu’à 40% par rapport à ce qui ne le font pas. Tous les grands travaux aujourd’hui, se réfèrent à l’information météorologique qui est un véritable outil de développement. Il faut aussi noter que le financement de la production des infos météo sert à augmenter la production ou à éviter les pertes, les dommages causés sur les routes ou autres. L’investissement est minime par rapport au bénéfice. Les études ont également montré que les services météo produisent des avantages économiques nets. L’enquête socio-économique effectuée par la SNED en mai 1989, indique une augmentation de 25 à 30% du rendement des céréales sèches dans le secteur de Bancoumana (Sud) et de 40 à 60% dans le secteur de Banamba (Nord) avec un rapport coût/bénéfice de 1/7.Tous les grands travaux effectués au Mali ont utilisé le cadre de leur conception et dimension avec le changement climatique.
L’ESSOR : Depuis 2006, notre pays a recours aux pluies provoquées. Quel est le bilan de ces interventions ?
D.A.M. : Effectivement, le programme d’ensemencement des nuages a été lancé depuis 2006. Son objectif est de contribuer à réduire l’impact des déficits pluviométriques sur les productions agropastorales et hydroélectriques à travers un apport d’eau aux cultures, pâturages, barrages et retenus d’eau, pour faire face à des déficits hydriques. Une étude d’évaluation a été faite et présentée au conseil des ministres en juin dernier. Globalement, les résultats sont jugés satisfaisants. Le Programme de pluies provoquées a mis en évidence un taux d’augmentation des pluies variant de 15 à 20% et le rapport bénéfices/coûts serait d’au moins 1/4. Dans le secteur des productions animales, les enquêtes qualitatives ont montré que le programme a contribué à l’augmentation du disponible fourrager entraînant une augmentation significative des effectifs du cheptel de bovins, d’ovins et de caprins. Par ailleurs, la contribution du programme à la formation du PIB de l’ensemble des filières agricoles étudiées s’est accrue de 49% entre les périodes 2004/2005 et 2015/2016. Cette contribution est passée en moyenne de 430 à 642 milliards de Fcfa par an. L’analyse financière dégage un taux de rentabilité interne de 24% calculé avec la production agricole uniquement. Nous estimons que l’augmentation de la production est liée, entre autres, aux pluies provoquées et à d’autres facteurs comme les subventions à l’agriculture, accordées par les autorités. Notons qu’en 2007, nous avons même payé deux avions. Les 5 radars dont j’ai parlé ci-dessus ont été eux aussi acquis dans le cadre de ce programme. Cette année, de fin juin à maintenant, nous avons fait une vingtaine d’interventions.
L’Essor : A quelles difficultés est confrontée l’Agence nationale de la météorologie ?
D.A.M : Nos difficultés sont d’ordres techniques et financiers. A cela, il faut ajouter l’insuffisance de ressources humaines qualifiées. Le pays est vaste et il faut couvrir l’ensemble du territoire alors que les ressources sont faibles, et plus le réseau d’observation est dense, plus les infos sont fiables. Au nord, par exemple, nous n’avons aucune donnée, nous utilisons les données satellitaires. Avec le changement climatique, l’info météorologique est devenue très importante. Or, pour la produire, il faut des ressources humaines bien qualifiées. Une grosse difficulté concerne aussi la communication. Par exemple, comment communiquer l’info à quelqu’un qui est à Taoudéni et qui a besoin de savoir où est-ce qu’il y a les points d’eau, même si on a cette info par satellite ?
L’Essor : Quelles sont les perspectives de développement ?
D.A.M. : Notre ambition aujourd’hui, c’est de moderniser le service de la météorologie et d’en faire une référence capable de fournir des appuis techniques fiables et adaptés afin de contribuer significativement au développement socio-économique du pays d’ici à l’horizon 2027. A cet effet, nous avons élaboré un plan stratégique de développement 2018-2027 et son plan d’actions 2018-2022. Ce plan prévoit le renforcement des capacités humaines, techniques et organisationnelles ; la mise en place de mécanismes de financement innovants et le renforcement du système de communication et de relations avec les usagers. Il s’agit surtout de développer des services météorologiques et climatologiques répondant aux besoins des politiques de prévention des risques de catastrophes et d’adaptation à la variabilité et au changement climatique des secteurs climato sensibles. Les actions proposées pour les cinq prochaines années visent aussi à tirer un meilleur parti des progrès scientifiques et technologiques en vue d’améliorer significativement la fourniture de services fiables.
Propos recueillis par
Fatoumata Maïga
Source: L’Essor-Mali