Dix ans de l’opération Serval ou comment la France a perdu le Sahel
Meguetan Infos
C’était il y a 10 ans, le 11 janvier 2013. Des soldats français bloquent la progression d’une colonne de djihadistes sur une route du centre du Mali. L’armée française en arrêtant ces groupes armés va s’engager dans un des conflits les plus longs de son histoire. Dix ans plus tard, le bilan n’est pas bon. Les djihadistes menacent également les pays du Golfe de Guinée. Et la France a dû quitter le Mali sous la pression d’un pouvoir militaire. Analyse.
Nous sommes le 11 janvier 2013. Il est 14H10, heure française, deux hélicoptères légers Gazelle de l’armée français décollent d’une base française au Burkina Faso. Direction le centre du Mali. Les deux aéronefs des forces spéciales se dirigent vers un rassemblement de pick-up et ouvrent le feu.
La réplique des djihadistes est immédiate. Les tirs touchent les deux hélicoptères. Un officier français est tué sur le coup, le lieutenant Damien Boiteux. À 18 heures, heure française, le président français François Hollande prend la parole et annonce que la France est en guerre avec une triple mission : stopper l’avancée des djihadistes, libérer le nord du pays et empêcher de nuire les terroristes.
Des véhicules blindés de l’armée française sur une route de Bamako remontent vers le centre du Mali ce 15 janvier 2013 lors de l’operation Serval.
Des véhicules blindés de l’armée française sur une route de Bamako remontent vers le centre du Mali ce 15 janvier 2013 lors de l’operation Serval.
AP/ Archives
La veille, le 10 janvier, le président malien, Dioncounda Traoré avait appelé officiellement la France à l’aide à la suite de la prise de la ville de Kona dans le centre par les djihadistes et ceux-ci s’approchent de l’aéroport stratégique de Sévaré.
C’est un gouvernement légitime, démocratique, celui du président malien Dioncounda Traoré qui demandé de l’aide de la France
Seidik Abba, journaliste nigérien, spécialiste des groupes djihadistes.
L’armée française ce 11 janvier 2013 intervient au Mali. L’opération Serval est lancée. Les derniers soldats français, alors dans l’opération Barkhane ne quitteront le sol malien que près de dix ans plus tard, en août 2022. L’armée française mobilise plus de 4000 hommes. La ville de Tombouctou est libérée. Les combats contre les djihadistes mènent les troupes françaises jusque dans le massif des Ifoghas dans le nord du pays, tout près de la frontière algérienne.
L’intervention était-elle légitime et nécessaire ? Une colonne armée de 500 djihadistes pouvait-elle réellement prendre Bamako, une capitale de plusieurs millions d’habitants ?
Selon Seidik Abba, journaliste nigérien, écrivain, spécialiste de l’Afrique et auteur de « Mali-Sahel, notre Afghanistan à nous », le débat ne doit pas être posé en ces termes. « C’est un gouvernement légitime, démocratique, celui du président malien Dioncounda Traoré qui a demandé de l’aide à la France. Une colonne descendait vers le sud du pays. Je ne sais pas si elle aurait pu prendre Bamako mais elle était en mesure de faire beaucoup de dégâts », estime-t-il.
Antoine Glaser, journaliste français, spécialiste des rapports entre la France et l’Afrique abonde dans le même sens.
L’intervention française est alors perçue comme une forme de réparation de ce qu’a fait la France en 2011 en Libye. La chute de Kadhafi a renforcé de fait les groupes djihadistes du nord du Sahel en libérant des stocks d’armes.
Antoine Glaser, journaliste français, spécialiste de la Françafrique.
« Au sein de la population malienne mais aussi au sein de la classe politique malienne, l’intervention française ce 11 janvier 2013 est alors perçue comme une forme de réparation de ce qu’a fait la France en 2011 en Libye. La chute de Kadhafi suite à l’intervention militaire française a renforcé de fait les groupes djihadistes du nord du Sahel en libérant des stocks d’armes. Et la perte du nord du Mali par Bamako face à des groupes djihadistes touaregs composés aussi d’éléments algériens et Sarahouis a été perçue comme une des conséquences du conflit en Libye », estime Antoine Glaser, co-auteur de « Le piège africain de Macron ». « Personne ne pensait effectivement que 200 djihadistes ou 500 djihadistes allaient prendre Bamako, ville de plusieurs millions d’habitants mais il fallait faire cesser la progression de ces groupes armés », ajoute le journaliste.
L’opération Serval a été un succès militaire. Son mandat était clair. Celui de Barkhane était bien plus flou.
Seidik Abba, journaliste nigérien, spécialiste des groupes djihadistes
Selon Seidik Abba, l’opération française Serval avait un surtout un mandat clair et défini. « Serval devait arrêter la poussée djihadiste et libérer les villes du nord du Mali. Ce qui a été fait. Globalement l’opération a été un succès militaire et politique à la fin de l’année 2013. Elle est alors circonscrite essentiellement au Mali », décrit Seidik Abba.
Le point de bascule se situe en 2014. Le pouvoir français sous la présidence de François Hollande décide de maintenir les troupe françaises au Mali. L’opération Serval se transforme en opération Barkhane le 1er août 2014. Selon Seidik Abba, la nature de Barkhane a changé la donne sur la présence militaire française.
Il était impensable de pouvoir contrôler 5 millions de kilomètres carrés avec 5000 hommes. Les Américains ont échoué en Afghanistan avec 100 000 hommes sur 600 000 kilomètres carrés.
Antoine Glaser, journaliste français, spécialiste de la Françafrique.
« Le mandat de Barkhane était devenu assez rapidement flou. Il fallait lutter contre le « terrorisme », une notion assez large, sur un territoire 5 fois plus grand que la France avec seulement 4600 soldats puis ensuite un peu plus de 5000. Le champ d’action des troupes françaises s’est étendu au delà du Mali et à l’ensemble du Sahel », constate Seidik Abba.
« C’était mission impossible. Il était impensable de pouvoir contrôler 5 millions de kilomètres carrés avec 5000 hommes. Les Américains ont échoué en Afghanistan avec 100 000 hommes sur 600 000 kilomètres carrés », abonde dans le même sens le journaliste Antoine Glaser.
« Cette intervention militaire française était totalement anachronique. Les politiques français n’ont pas perçu que cette guerre était avant tout un conflit assylmétrique loin des précédentes interventions en Libye ou en Côte d’Ivoire », constate Antoine Glaser.
Plus de 5000 soldats français sont présents sur le théatre sahélien en 2019 sur un territoire grand comme l’Europe de l’Ouest.
Plus de 5000 soldats français sont présents sur le théatre sahélien en 2019 sur un territoire grand comme l’Europe de l’Ouest.
TV5MONDE
Pourquoi être resté si longtemps dans ces conditions ? « Les militaires ont très vite compris que militairement il était tres compliqué de contrôler une telle zone. Ils estimaient que le conflit avait plusieurs dimensions dont certaines étaient liés à la question du développement et de la gouvernance sur laquelle ils n’avaient pas réellement prise. À quoi cela sert-t-il de tuer 10 djihadistes pour qu’ensuite 150 autres soient recrutés. Beaucoup de jeunes sont recrutés dans ces groupes armées pour 500, voir 200 dollars », précise ainsi Seidik Abba, bon connaisseur des mouvements djihadistes au Sahel. « Pourquoi la France est restée ? L’ivresse du succès a touché surtout les politiques français », estime le journaliste.
Selon le journaliste français Antoine Glaser, les décideurs politiques français, que ce soit sous la présidence de François Hollande ou celle d’Emmanuel Macron ont reproduit de vieux schémas appartenant à la Françafrique.
La France au lendemain des indépendances (dans les années 1960) s’est vu comme le gendarme de l’Afrique face aux Soviétiques. Elle se voyait désormais également comme le gendarme face aux djihadistes.
Antoine Glaser, journaliste français, spécialiste de la Françafrique.
« La France au lendemain des indépendances( dans les années 1960) s’est vu comme le gendarme de l’Afrique face aux Soviétiques. Elle se voyait désormais également comme le gendarme face aux djihadistes. La France a eu le sentiment de vivre chez elle après les indépendances avec des présidents francophiles à la tête de ces États africains. IBK aimait raconter que jeune il s’était rendu à l’Elysée du temps du président Coty (1954-1958). Elle a voulu maintenir cette position et conserver une forme d’influence politique dans ce sens-là. Les pays européens écoutaient la France sur les affaires africaines. Paris avait en charge le Secrétariat général des Nations unies pour les opérations de maintien de la paix par exemple. Les décideurs politiques français n’ont pas compris que l’époque avait changé. On peut même parler d’aveuglement », estime Antoine Glaser.
Le bilan de la lutte contre les groupes armés djihadistes n’est pas bon. « La présence djihadiste est plus forte en 2023 qu’en 2013. Avant l’operation Serval, le djihadisme était un phénomène qui était composé de Touaregs, d’Algériens, de Sarahouis. Il est désormais un phénomène endogène. On a assisté à une indigénisation djihadiste. Amadou Koufa, chef de la Katiba Macina est un Malien, un Peul. Et puis surtout les groupes armés sont de plus en plus puissants, regroupés autour d’Al Qaida et du groupe Etat islamique. Celui-ci a dernièrement fait une démonstration de force dans le sud du Mali sans être menacé. La menace djihadiste touche maintenant un pays comme le Burkina. Deux coups d’État ont eu lieu au Mali et au Burkina Faso mettant fin à des régimes civisl élus. Les pays du Golfe de Guinée sont également désormais menacés par les djihadistes », décrit Seidik Abba.
Lire : démonstration de force de l’État islamique : où en est la situation sécuritaire depuis le départ de Barkhane du Mali ?
La branche sahélienne de l’État islamique a en effet diffusé ce 13 décembre 2022 une vidéo de propagande mettant en scène une cérémonie d’allégeance au nouveau calife du groupe djihadiste. Le groupe armé y met en scène ses capacités militaires avec plusieurs centaines de combattants, quatre mois après le départ du dernier soldat français du Mali.
En novembre 2022, il ne reste plus que 3000 militaires français au Sahel.
En novembre 2022, il ne reste plus que 3000 militaires français au Sahel.
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« Les armées françaises et les politiques se sont concentrées sur les éliminations de chefs des groupes armés par vengeance contre la mort de soldats français mais sans que cela réellement n’influe sur le cours du conflit. Le président français lors du sommet de Pau en 2019 avec les chefs d’Etat des pays du G5 (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) a fermé la porte de toute négociation entre les gouvernements et les groupes armés », déplore Antoine Glaser.
Une réthorique anti-russe
Dix ans après le déclenchement de Serval, la France a perdu de son influence dans cette région concurrencée par d’autre acteurs dont la Russie selon Seidik Abba. « La France est partie du Mali. Et là on voit que les tensions sont vives entre le pouvoir burkinabè et Paris », décrit le journaliste Nigérien. « Paris a essayé de changer d’approche un temps en prônant de n’être plus qu’en second rideau face à la menace djihadiste mais les réflexes de la Françafrique ont repris le dessus face à la menace russe en Afrique. L’ours russe a réveillé le coq français et on est revenu à l’idée d’une défense du pré carré français », estime lui Antoine Glaser. « Paris a repositionné son dispositif sur les pays du Golfe de Guinée et cherche à renforcer ses liens avec des pays comme la côte d’Ivoire ou le Cameroun en tenant un discours sécuritaire. »
abamako.com