
Le divorce, source de séparation, de malentendu, de dispersion et de conflits sociaux, est en croissance exponentielle au Mali.
De nos jours, le divorce est très récurrent au Mali, et cela provoque plusieurs questionnements. Le divorce est source de déchirure et même de conflit entre des personnes, des communautés ou des groupes. Il porte préjudice à l’éducation des enfants. Ces derniers souffrent le plus de cette séparation. Des leaders religieux, traditionnalistes, sociologues, conseillères matrimoniales, juristes, entre autres, ont leur opinion sur les causes et conséquences du divorce.
Le divorce est de plus en plus banalisé. En 2024, il a été enregistré 369 divorces dans les six communes du district de Bamako. Selon Ousmane Diarra, imam et président de l’Association des jeunes musulmans du Mali, “l’islam a institué le mariage entre deux personnes. S’il arrive dans certaines situations que la cohabitation devient difficile, que les moyens proposés par l’islam notamment la médiation, les échanges entre les deux parties ; alors, l’islam propose le divorce. L’islam a prévu des mesures et un certain nombre d’éléments qui doivent être pris en compte afin que l’impact du divorce ne soit pas très grand entre les deux parties”.
A en croire l’imam Diarra, cette séparation doit être faite de la meilleure des manières et ce dans le respect, sans violence ni mépris, ni injures grossières. La femme a l’obligation de garder les enfants mineurs jusqu’à un certain âge et l’homme a également l’obligation d’assurer les moyens à cette femme pour l’entretien de ces enfants.
L’islam préconise certaines mesures pour gérer les enfants car ils sont innocents.
Abbe Felix Coulibaly, Aumônier de L’UCAO-UUBA :
“Que l’Homme ne sépare pas ce que Dieu a uni”
Abbe Felix Coulibaly
Pour l’Abbé Félix Coulibaly, aumônier de l’Ucao-UUBa, la Bible ne donne pas deux solutions : “On demanda à Jésus s’il était permis à un homme de renvoyer sa femme. Il répondit : N’avez-vous pas lu ceci ? Dès le commencement, le Créateur les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Alors que l’Homme ne sépare pas ce que Dieu a uni” !
Le lien qui unit l’homme et la femme dans le mariage est un lien sacré qui ne doit souffrir d’aucun divorce.
Moussa Kôrêdjo Doumbia, Traditionaliste
“Le mariage est un lien entre deux familles”
Le traditionnaliste Moussa Kôrôdjo Doumbia pense que le mariage n’est pas seulement le lien entre un homme et une femme, mais une union entre deux familles, entre deux clans. A ses dires, le mariage est perçu chez nous comme une entité vivante c’est pour cela dans la langue Bambara, on ne prononce pas le mot divorce. Mais, on dit que le mariage est mort car il s’agit d’une entité vivante, respectée par tous.
La mort dans toute chose est extrêmement mauvaise et dangereuse dont tout le monde a peur. C’est pourquoi dans la tradition africaine, on faisait tout pour que le mariage ne meure pas. Elle peut tomber malade comme une personne, blessée quand il y’a des conflits au sein du couple, mais faire mourir le mariage est très grave. C’est comme une transgression sociale. C’est pour cette raison que nos ancêtres avaient fixé des conditions pour faire mourir le mariage. En ce sens que le divorce n’existe pas chez nous en Afrique, au Mali particulièrement.
Une fois que le mariage était scellé, il n’était plus possible de prononcer le divorce sauf sous trois conditions. C’est pourquoi le mariage s’appelle union éternelle que même la mort ne peut dénouer.
La première condition c’est quand l’homme ne jouit pas de ses facultés mentales. Dans ce cas la femme peut divorcer. Deuxièmement quand l’homme tombe dans l’impuissance sexuelle n’arrivant plus à satisfaire les besoins conjugaux de sa femme, ni son rôle de reproduction ou de pérennisation de la vie. Si après de nombreuses années il n’est toujours pas guéri et que la femme se plaint toujours de son mari, dans ce cas-là on autorise la mort du mariage.
En troisième lieu, c’est quand l’homme profère des injures grossières à l’endroit de ses beaux-parents ou de sa belle-famille. Ce qu’on appelle “le fouet de l’insolence”. Insulter grossièrement les parents de sa femme est cause de la mort du mariage. Ce se sont ces trois conditions ou facteurs qui justifient la mort du mariage dans la société traditionnelle que l’on appelle aujourd’hui divorce. La décision finale vient de la femme soit de retenir ou de faire mourir son mariage.
En cas de procédure de divorce, les deux familles se retrouvent en dehors du village, sous un arbre pour soit régler le contentieux ou prononcer sur place la mort du mariage. L’arbre sous lequel le divorce avait été prononcé était considéré comme maléfique.
Les conséquences sociales du divorce
De l’avis de Moussa Kôrôdjo Doumbia, quand on divorçait sans respecter l’une des trois conditions, le transgresseur était très mal vu dans la société. Un homme ayant divorcé sans respecter ces trois conditions dans la société était considéré comme un homme irresponsable et immature. Il ne pouvait plus diriger une association, un groupement d’hommes et ne pouvait plus exercer la fonction de chef à part la fonction de chef du village qui est une fonction naturelle dictée par l’âge. Sinon les autres fonctions sociales lui étaient retirées. Car qui n’a pas pu gérer une femme, ne peut jamais gérer un groupe d’hommes.
La même chose pour une femme qui a divorcé sans avoir respecté les trois conditions. Elle était rejetée par les autres femmes refusant même de la tresser. Ensuite, elle n’avait pas le droit de porter en elle un enfant pour ne pas transmettre les charges et énergies négatives au bébé. Elle ne pouvait pas non plus diriger d’association des femmes.
En résumé, la mort du mariage était considérée comme un évènement très grave dans notre société traditionnelle. C’est pour cela qu’on avait mis beaucoup de garde-fou pour que les conflits entre les conjoints n’aboutissent jamais au divorce.
Ces garde-fous sont très nombreux. On peut citer entre autres “nimôkôya” ? C’est-à-dire une personne (généralement petit frère ou petite sœur de l’époux) avec lequel tu as la liberté de parler, plaisanter taquiner, critiquer et reprocher indirectement des choses. Il y avait cette liberté de parole pour que les conjoints déversent leur frustration en communiquant avec leur “nimôkôny”.
Issa Toure, élève magistrat :
“Les deux mécanismes de dissolution du mariage”
Issa Touré élève-magistrat affirme qu’en droit, le mariage se dissous par deux mécanismes à savoir par le décès d’un des époux ou par le divorce. Le divorce est la rupture du lien conjugal décidée par les parties et prononcée par le juge.
Selon lui, les causes du divorce, qui sont d’ordre sociologiques peuvent découler du fait que les deux parties ne s’entendent plus. “En droit, il y a trois causes de divorce parmi lesquelles des sous causes : il peut être prononcé par consentement mutuel, il peut être prononcé par rupture de vie commune ou pour faute”.
Dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel, les époux se rendent auprès des juges sans rentrer dans les détails et divorcent sans évoquer les motifs. Le divorce est prononcé pour “rupture commune” si les deux conjoints sont éloignés l’un de l’autre. Enfin, la forme la plus répandue est le divorce par faute. Ces fautes peuvent être nombreuses.
L’une des conséquences du divorce est la rupture de la vie commune des conjoints. La question de la garde des enfants sera tranchée par le juge. Elle se fait soit à l’amiable ou en vertu d’une décision judiciaire.
Sadio Sow, Sociologue :
“Il faut des raisons valables”
Sadio Sow, sociologue de formation, définit le divorce comme la séparation de corps entre deux personnes mariées de sexes différents et vivant sous le même toit ou l’arrêt de liens conjugaux, suite à des problèmes, des conflits ou à des malentendus.
Les raisons valables pour qu’une femme divorce, est quand l’homme ne garantit pas sa sécurité, son logement, sa nourriture, son habillement, sa protection et ses désirs sexuels. Le divorce sera alors prononcé.
L’homme peut également demander le divorce si sa femme est infidèle ou qu’elle ne s’occupe pas de son foyer. Mais pour que le divorce ait lieu, selon la loi, il faut qu’il il y ait des raisons valables.
Mariam Koné, conseillère conjugale :
“La conséquence de l’incompréhension”
Mariam Koné, conseillère conjugale à Kalabancoura Adékène estime que le divorce est la conséquence de l’incompréhension entre les conjoints en premier lieu. Si les conjoints n’arrivent pas à se comprendre cela peut entrainer le divorce. Les causes du divorce sont nombreuses et peuvent venir également des deux côtés. Soit de l’homme soit de la femme. Mais dans la plupart des cas, ce sont les femmes qui sont à l’origine.
L’une des conséquences, selon elle, est que les enfants deviennent des orphelins de père mais ayant leur père en vie. Ce qui peut influer négativement sur leur éducation. Leur avenir peut être gâché. C’est une très mauvaise chose.
“Pour nous, les conseillères matrimoniales, les femmes ne jouent plus leur rôle. Elles ont perdu leur place dans le mariage, car elles sont devenues des lionnes et refusent l’endurance et la soumission auprès de leurs maris. Les hommes lions et les femmes lionnes ne pourraient jamais cohabiter ! Autrefois, les mariées écoutaient attentivement les conseils et les appliquaient à la lettre. Mais de nos jours, les mariées n’écoutent rien et s’en fichent éperdument. Les réseaux sociaux ont détruit beaucoup de couples. Beaucoup de femmes se croient supérieures et intouchables dans le mariage”, dit-elle.
Mariam Koné d’enchainer : “Certaines femmes sont mieux dehors que dans le mariage. Elles manquent d’hygiène, de savoir-faire et de savoir-être. D’autres refusent d’accomplir leurs devoirs conjugaux par l’extrême arrogance. Certaines catégories ne s’avent ni quand demander l’argent, ni quand faire leurs toilettes et comment approcher leur époux. Tout cela peut amener l’homme à détester sa femme et peut le faire fuir”.
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M C., femme divorcée :
“J’ai quitté mon mari pour violences”
Victime de violence conjugale, MC a divorcé. Ici elle revient sur les raisons et la vie après le foyer, avec des enfants sur le bras.
Mali Tribune : Qu’est-ce qui vous a poussé à divorcer ?
MC. : La raison principale est que mon mari me battait. C’est une personne extrêmement violente qui ne faisait que me battre pour tout et n’importe quoi sans raison valable. C’est suite à ces violences que j’ai décidé de le quitter.
Mali Tribune : Comment vivez-vous votre divorce ?
M C. : Aujourd’hui, par la grâce de Dieu, je tiens bon même si c’est très dure de m’occuper seule des enfants ainsi que de jouer le rôle de père et de mère en même temps. Un véritable défi quotidien. Mais je m’en remets au Dieu de la miséricorde et de la bonté divine.
Mali Tribune : Le retour à la famille est comment, quels types de relation avez-vous avec vos proches ?
M. C. : Cette une question est un peu gênante car se marier à la mairie et à la fois à l’église en tant que chrétienne après plusieurs années et retourner chez tes parents avec des enfants est une épreuve très difficile que personne ne souhaite. Mais la situation ne m’a pas laissé le choix. C’était une question de vie ou de mort.
Mali Tribune : Parvenez-vous à joindre les deux bouts avec les enfants à charges ?
M C. : Au début, ce n’était pas du tout facile. Mes enfants ont eu du mal à s’adapter réclamant parfois leur père. Certains de ma famille pensaient que c’était par purs caprices cette idée de divorce et ne voulaient rien comprendre. D’autres pensaient que c’était une humiliation pour la famille. Mais par la grâce de Dieu, ma mère m’a été d’un grand soutien moral et émotionnel m’accueillant à bras ouverts et m’a aidée à surmonter cette épreuve. Et maintenant, je rends grâce à Dieu car tous ont compris maintenant les moments difficiles par lesquels je passais. Les enfants commencent à grandir et à comprendre.
Mali Tribune : Les associations vous soutiennent-elles ?
M C. : Non, je ne reçois aucune aide venant d’une association quelconque. Je me débrouille seule en tant que battante pour gérer mes problèmes.
Dossier réalisé par
Fanta Traoré
(stagiaire)
Mali Tribune