Dialogue national inclusif : Dans le vif du sujet
Après l’ouverture solennelle samedi, les travaux ont repris dimanche au CICB au sein de trois commissions thématiques. Les participants ne sont pas avares en propositions et suggestions.
Commission Paix, sécurité et cohésion sociale
Cette commission regroupe des gouverneurs, des anciens ministres, des ambassadeurs, des membres de mouvements armés. Le facilitateur, Pr Baba Akhib Haïdara a précisé d’entrée que les documents mis à disposition ne visent nullement à « imposer un point de vue », mais plutôt à faciliter les échanges.
La présidence des travaux est revenue au Pr Younouss Hamèye Dicko qui a comme vice-présidente Alwata Ichata Sahi.
Le rapporteur est Moussa Makan Camara. Pour que tout le monde soit au même niveau d’information, l’expert Baba Dakono a brossé l’évolution de la crise, insistant sur ses manifestations, la multiplicité des acteurs et les limites des mécanismes mis en place pour sa gestion. Il a aussi présenté quelques recommandations devant servir à nourrir les réflexions.
Le décor ainsi planté, place aux débats. Karamoko Niaré a donné le ton, en dénonçant le statut de Kidal qui constitue pour lui le nœud de la crise. Tant que l’État n’aura pas repris pied dans cette ville, estime-t-il, la situation ne s’améliorera jamais. Et à Salif Diabaté, président des jeunes volontaires pour une vraie démocratie, d’enfoncer le clou : «La cause de tous nos malheurs est l’absence de l’armée à Kidal. Surtout, il faut désarmer la CMA ».
Ces points de vue sont partagés par le Pr Diola Bagayoko qui représente les Maliens établis aux États-Unis.
L’universitaire ajoute l’impérieuse nécessité de revoir l’Accord pour la paix, en y enlevant tout ce qui a trait aux ethnies. Aussi, Diola Bagayoko écarte toute idée de relecture de la Constitution, tant qu’il est porté atteinte à l’intégrité territoriale du pays. Quant à Fatoumata Touré, présidente du Conseil national des victimes de la crise, elle souhaite surtout que l’État prenne toutes ses responsabilités, en mettant les victimes dans leurs droits.
D’autres intervenants ont plaidé pour le retour du service militaire obligatoire, la restauration des chefferies de canton et le renforcement du rôle des autorités traditionnelles dans la gestion des crises.
Aussi, les conditions de recrutement dans l’armée ont été dénoncées. Selon Salif Diabaté, « 80% de nos porteurs d’uniforme sont des fils ou des protégés de hauts gradés. C’est pourquoi, ils fuient au premier coup de feu».
Issa Dembélé
Commission Gouvernance et Social
Au niveau de la commission regroupant les thématiques 3 (Gouvernance) et 4 (Social), la facilitation est assurée par l’ancien Premier ministre Ousmane Issoufi Maïga. La matinée a été consacrée à la thématique de la Gouvernance.
L’introduction de la question par les experts Nouhoum Sankaré et Mahamadou Konaté a permis d’éclairer davantage la lanterne des participants et de camper le décor. Essentiellement, il ressort de leurs exposés que la gouvernance de notre pays reste marquée par la persistance des phénomènes de corruption, de laxisme, de prédation, de népotisme et d’impunité qui limitent la portée des efforts de développement. Ces fléaux, selon eux, détériorent la qualité des services publics de base et expliquent dans une large mesure leur inexistence, notamment dans plusieurs régions en proie à l’insécurité.
Et pourtant, rappelleront les concepteurs des notes techniques et autres documents, le Mali a signé et ratifié plusieurs textes internationaux dont la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption du 11 juillet 2003. De même, depuis 2002, un ensemble de réformes a été engagé et des initiatives lancées pour préserver les deniers publics.
Après la présentation faite par les experts, beaucoup d’intervenants ont confirmé que les problèmes de gouvernance impactent négativement sur les projets de développement de notre pays. Au chapitre des pistes de solutions, l’ancien ministre Nancoman Kéïta a proposé l’élimination du principe de prescription dans la lutte contre la corruption ; l’audit de toutes les privatisations et des contrats plans ; la mise en place d’une administration professionnelle différentes de la gestion des partis politiques. Quant au chef de cabinet du président de la République, Boubacar Touré, il a suggéré d’accélérer la loi de programmation de la justice ; de mettre les revendications d’ordre financier dans un moratoire.
Pour sa part, Ali Khalil Ascofaré de l’association IR Ganda a soutenu que dans l’échelle des problèmes de gouvernance au Mali, il faut mettre en tête l’insécurité. Il a déploré que dans de nombreuses localités du Septentrion, il y a moins de policiers, moins de juges et d’enseignants.
Pour plusieurs intervenants, l’impunité, le manque de patriotisme, l’incivisme et l’injustice sont aussi des problèmes de gouvernance. Sur ce registre, la prise en compte de la lutte contre l’esclavage au niveau du chapitre consacré aux droits de l’Homme du Dialogue est la préoccupation majeure de Mohamed Dicko, membre de la communauté Kel tamasheq. Selon lui, il est impératif de trouver des instruments juridiques pour juguler ce fléau. De son côté, Boubacar Mohamed Samaké de la Centrale démocratique des travailleurs du Mali (CDTM) a proposé d’aller vers la dématérialisation de l’administration en optant pour une gouvernance électronique adossée à un contrôle rigoureux.
Massa SIDIBÉ
Commission économie et finances, culture, jeunesse et sport
Au niveau de la commission III, Aminata Dramane Traoré est la facilitatrice. La présidence des travaux est assurée par Dr Ibrahim Bocar Bah. La vice-présidente est Mme Seye Mariam Traoré et les rapporteurs sont Dr Sidiki N’fa Konaté et Sékou Niamè Bathily.
Ouvrant les travaux, Aminata Dramane Traoré a invité les participants à parler de l’économie sous l’angle de la sortie de crise et à faire des propositions concrètes. Les experts mandatés par la commission nationale d’organisation ont fait une présentation succincte de la note technique élaborée sur la thématique « économie et finances ».
Selon l’expert Cheickna Bounajim Cissé, le document s’articule autour de quatre parties : les forces et opportunités de l’économie malienne, ses faiblesses et contraintes, les enjeux socio-économiques et les scenarii pour une économie inclusive, durable et résiliente.
Il a cité quelques atouts de l’économie malienne entre autres, ses secteurs agricoles et ses potentialités minières. Cheickna Bounajim Cissé a dénoncé la forte dépendance de l’économie de deux produits (or et coton) dont les cours sont fixés à l’étranger. Il a déploré la faiblesse du financement par le système bancaire national. Selon l’expert, l’économie malienne est trop dépendante de l’aide extérieure, obligeant les pouvoirs publics à tenir compte des exigences des partenaires financiers. Il propose de revoir la stratégie de financement de l’économie par les banques, la finance islamique et la création d’une banque publique d’investissement au Mali. Au cours des débats, l’ancienne ministre Pr Assetou Founè Samaké Migan a soutenu que le premier potentiel d’un pays est humain. Mais très généralement, a-t-elle déploré, notre tort est de reprendre les analyses faites ailleurs. Boubacar Bougoudogo, lui pense que si notre pays parvient à développer une politique volontariste d’industrialisation, cela peut booster son économie avec la création d’emplois, la transformation agricole. Mahamadou Sanogo propose de promouvoir la diplomatie économique avec des acteurs économiques. Il a évoqué la finance islamique comme solution. Au lieu que l’État finance les grands projets sur le budget national, il propose qu’il le fasse à travers le Partenariat public-privé.
Cheick Hamala Simpara pense qu’on ne peut pas parler de développer l’économie sans améliorer les segments qui la portent. Il a proposé la construction de centrales thermodynamiques et la promotion de l’énergie solaire pour lutter contre le manque d’énergie. Sékou Koné, ancien président de l’Assemblée permanente des chambres de métiers du Mali (APCM) trouve que l’artisanat est le départ de l’industrie et doit bénéficier d’une allocation financière comme l’agriculture.
Fabou Kanté, jeune chef d’entreprise, dira que l’économie malienne repose sur les Petites et moyennes entreprises. Il propose donc la création d’une banque dédiée à leur financement. Karim Goïta conseille la relecture du code minier pour permettre au Mali de mieux tirer profit de son secteur minier. D’autres propositions ont concerné la fin du monopole d’Énergie du Mali et la libéralisation du secteur de l’énergie, le développement du tourisme domestique, la lutte contre l’évasion fiscale et la corruption, la formalisation du secteur informel au niveau commercial, etc…
Dieudonné DIAMA
Source: Journal l’Essor-Mali