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Décès d’Ousmane Sow : Les rideaux tirés la carrière exceptionnelle du précurseur du théâtre engagé au Mali

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Il est l’un des précurseurs de la liberté d’expression artistique vers la fin des années 80, donc de l’avènement de la démocratie en mars 1990. Comédien, auteur et célèbre metteur en scène, Ousmane Sow a tiré sa révérence le 19 septembre 2024 des suites d’une longue maladie. Le samedi 21 septembre, en une matinée très pluvieuse, il a été accompagné à sa dernière demeure au cimetière de Lafiabougou par une foule de proches, de professionnels du théâtre, d’acteurs de la culture, d’admirateurs et d’anonymes. Le dernier acte pour celui qui est considéré à juste titre comme le précurseur du théâtre engagé au Mali.

«Wari» ! Telle une grenade dégoupillée lancée pour ouvrir le chemin au commando (acteurs du mouvement démocratique), c’est une pièce de théâtre qui a indiscutablement ouvert une brèche dans la forteresse de la dictature qui a régné sur le Mali pendant 23 ans (19 novembre 1968-26 mars 1991). Ce qui fait que cette œuvre est à jamais gravée dans la mémoire du peuple malien comme une création artistique qui, à l’époque, a beaucoup contribué à l’éveil des consciences. Elle incarne surtout le courage de l’auteur, du metteur en scène et des interprètes.

En effet, comme l’a une fois écrit un confrère, «personne ne pouvait penser à l’heure de la dictature oser écrire une telle pièce théâtrale. Encore moins imaginer l’interpréter sur scène» et de surcroît devant le président de la République qui voyait ainsi les côtés sombres de son régime. Mais, ils ont pris le risque mesuré «d’étaler avec les mots des maux de la dictature régnante devant le Général président et tout le pays» ! Ce courage et cette audace exceptionnelle caractérisent à jamais toute l’œuvre ainsi que la vie d’Ousmane Sow, ce monstre sacré du théâtre qui s’est éclipsé de la scène de la vie le 19 septembre 2024 des suites d’une longue maladie.

«Quand on a joué Wari, cela a constitué une révolution. Certains disent même que c’est Wari qui a fait partir le Général Moussa Traoré (qu’il repose en paix). Et cela d’autant plus que dans ce théâtre, le public comprenait ce qu’on voulait dire à l’époque. Tous les méfaits de la politique, de la dictature sur la société ont été dénoncés dans ce théâtre. On ne pouvait pas mieux faire que ça», a-t-il confié à un confrère dans un entretien en 2015.

«C’est quand j’ai joué Wari que j’ai reconnu mon expérience pédagogique. Wari était une pièce dans laquelle on trouvait des langages propres à notre société. Il y avait des poèmes en bamanan qui étaient très évocateurs. C’est autour de ces poèmes que j’ai construit cette pièce. J’ai écrit la charpente, il y avait des poèmes très évocateurs que j’ai glissés dedans», a révélé le metteur en scène dans l’interview évoquée plus haut. On retiendra surtout à jamais que, dans les années 1980, un groupe de comédiens s’est distingué par une atypique adaptation du traditionnel kotéba aux exigences de la scène moderne. Jadis, c’est une forme traditionnelle de la satire sociale jouée sur le mode burlesque dans les villages de l’aire mandingue avec une part importante d’improvisation.

Un mouvement artistique qui a ouvert la brèche de l’avènement de la démocratie au Mali

Mais, sous la conduite et l’ingénieuse inspiration d’Ousmane Sow, ces jeunes et très ambitieux comédiens ont lancé un mouvement artistique  qui a joué un grand rôle dans la conscientisation du Mali de l’époque. «Mon ambition était d’écrire une pièce pour le poissonnier, pour le menuisier… pour celui qui ne comprend rien en français, donc une pièce adaptée à la réalité de notre société. Quand il n’y a pas une transmission de message clair dans un théâtre, la pièce ne joue pas son rôle», avait précisé l’éminent et regretté homme de culture.

Directeur du Kotéba national du Mali, Ousmane Sow restera célèbre à jamais pour ses mises en scène. Même s’il tenait à ce que cela n’éclipse pas sa carrière de comédien. «Auteur, metteur en scène, oui je le suis. Mais, même si on le souligne rarement, je fus comédien parce que sorti de l’Institut national des arts (INA)», rappelait souvent l’illustre disparu dans ses entretiens avec la presse. On comprend aisément que ce soit sa carrière d’auteur et de metteur en scène qui retient toujours l’attention du public et des critiques parce que ses œuvres ont toujours marqué leur époque. Qui ne se souvient pas en effet de «Tiètemalo», «Bogodjeninen kan», «Dougouba», «Féréké Niamibougou», «Le Grin», «Badjenè» surtout «Bougouniéré» et «Wari» ?

Des œuvres qui ont le plus souvent rencontré un succès phénoménal conférant une grande notoriété à celui qui ne se prenait pas pour une «référence» malgré le temps vécu sur la planche. A l’écouter souvent, c’est le hasard qui l’a conduit vers le théâtre qui n’était pas forcément sa passion. «Je pense que j’ai été choisi par le théâtre car, à aucun moment de ma vie, je n’avais pensé que je serai un homme de théâtre. C’est par le hasard que je suis arrivé à l’INA que je n’ai d’ailleurs même pas choisi après le DEF», a-t-il souvent avoué dans ses entretiens.

Il sera pourtant celui qui va révolutionner le 6e art au Mali en devenant le précurseur du théâtre engagé à l’image du kotéba traditionnel. Avant cette révolution, le théâtre était véhiculé par la langue française, donc presque réservé à une élite. «C’est comme ça qu’on a rencontré sur notre chemin le kotéba, un théâtre traditionnel qui gisait dans le tréfonds de notre culture. Et le kotéba a fait revenir le public qui, pour une fois, comprenait ce que nous disions. C’était un succès, les salles étaient pleines», a confié O. Sow à un confrère de «Le Reporter» lors d’une interview (mai 2015).

Un illustre artiste qui se révèle dans «Quarante petites années de théâtre» !

«Avec le kotéba, la danse, le chant et la musique sont congénitalement liés au texte. Ce qu’on ne verra pas dans le théâtre occidental», poursuit le célèbre metteur en scène en s’empressant d’y apporter un bémol. «Par la suite, il (kotéba) n’a pas répondu aux aspirations des créateurs, dont je suis, parce que la langue qui est le bambara a attiré des apprentis sorciers, des gens qui ne sont pas du théâtre», a-t-il confié à nos confrères de «Le Reporte» en mai 2015. Et de poursuivre, «on n’avait pas pris la langue comme un matériau dramaturgique. On n’a pas découvert que le kotéba pouvait dépasser la langue pour aller à la métalangue, à l’écriture, à la métaphore qui sont quand même le propre de notre langue. C’est ce qui a fait que des années après, quand le kotéba est resté lui-même du village à la scène contemporaine voire quand le kotéba a ignoré le nouveau public, il est tombé en désuétude».

Comme tout immense talent, Ousmane Sow n’aimait pas parler de lui-même. Modestie et humilité obligent. «Quand il s’agit de parler de moi-même, je perds toujours la faconde par humilité ou par modestie… Je suis le premier surpris par le succès que mes pièces peuvent avoir. Même si je prends du recul par rapport à mes œuvres, il m’est difficile de les encenser. Je laisse donc le public les apprécier, dire ce qu’il en pense». Autrement, le monstre sacré du théâtre ne pourrait pas dire, «je suis un Grand» ! Il a humblement laissé ce choix au public, aux critiques… qui ont une «certaine idée de mon travail, de mon œuvre». Pour cet homme de conviction, «un créateur ne sait pas ce qu’il est, ce qu’il vaut».

Évitant le plus souvent de parler de lui-même, du succès de ses œuvres théâtrales, le regretté Ousmane Sow s’est littéralement livré dans son livre, «Quarante petites années de théâtre» de Ousmane Sow (2020/La Sahélienne). «Les années passent… Je n’étais plus le débutant que le destin avait précipité dans les bras du théâtre, dans la gueule du monstre j’allais dire. Le théâtre et ma vie fusionnaient, ne faisaient plus qu’un. Je tenais bon. Je pliais, mais ne rompais pas. Je ne reculais plus. J’avais atteint le point de non-retour. J’avançai et me hissai sur le piédestal, scruta avec condescendance l’environnement hostile à mon métier», peut-on lire dans ce bouquin. Cela est assez révélateur du message véhiculé par l’auteur à travers cet ouvrage dans lequel il décrit surtout le mariage difficile d’un homme avec un métier pour lequel il ne gardait «aucun amour».

«Ce livre est d’abord la restitution de l’histoire du théâtre malien qui a connu beaucoup de soubresauts, de péripéties… Ce théâtre ne s’est pas forgé en un jour. Il y a eu beaucoup d’étapes. D’abord, la compagnie du théâtre national qui a été créée par Abdoulaye Diarra en 1970. Un acteur qui, après sa sortie de l’INA, a su regrouper autour de lui tous ses amis pour mettre en place la compagnie du théâtre national. Un théâtre d’expression française», a-t-il rappelé. Et de poursuivre, «le groupe dramatique vient après la compagnie malienne. C’est à la création du théâtre national qu’il y a eu des formations comme le Ballet national, l’Ensemble instrumental national, le BADEMA national et le Groupe dramatique qui s’occupait uniquement du théâtre d’expression française».

L’unanime reconnaissance des pairs et du public

«Le kotéba est venu après le Groupe dramatique dont la première pièce était Tiètemalo. Le kotéba parlait des artistes, des acteurs comme si c’était un art mineur. L’acteur était considéré comme quelqu’un qui jouait du théâtre dans le langage courant. C’est à partir de cette époque qu’on a eu la conscience qu’on s’ouvrait vraiment au public alors que jusque-là, on avait que des étudiants, des lettrés, comme public. Après Tiètemalo , on a vu l’enthousiasme du public et on a commencé à monter des pièces en bamanan», a-t-il précisé dans un entretien sur son livre.

Depuis l’annonce de la disparition de ce «Monument de l’écriture», les témoignages de ses confrères fusent de partout. Le Ministre de l’Artisanat, de la Culture, de l’Ind. Hôtelière et du Tourisme a rendu hommage à l’Officier de l’Ordre national comme «une icône du cinéma et du théâtre maliens» qui a contribué à la formation de plusieurs grandes figures des 6e et 7e arts dans notre pays. «Promouvoir un théâtre d’expression malienne a été le combat de toute sa vie… Les lignes qu’il a tracées et ses oeuvres de grande valeur continueront d’inspirer des générations entières», a témoigné le ministre Andogoly Guindo.

«Témoin du travail que tu as fait pour montrer au public les richesses du patrimoine culturel malien et africain, je te décerne ce témoignage de satisfaction à titre posthume pour services rendus à la nation pour la défense de notre bien le plus précieux : notre culture», a témoigné Boubacar Sidibé qui a eu la chance de réaliser les 40 épisodes de la comédie «Badjènè» écrite par le maestro Ousmane Sow. Un témoignage qui résume en partie les hommages rendus à Ousmane Sow depuis ce fatidique 19 septembre 2024.

Pour avoir tout donné à la scène artistique au Mali et révolutionné le théâtre malien, Ousmane n’a pas vécu inutile. Il a été un acteur important de l’histoire de l’art malien. L’illustre disparu restera à jamais un «Grand» artiste engagé de par ses pièces théâtrales et dont le talent a «fait de nos vies ordinaires une grande fresque sociale». A ses héritiers comme Adama Traoré, Habib Dembélé «Guimba National», Alioune Ifra Ndiaye… de ne rien ménager pour que le flambeau reste hissé très haut.

Va en paix Maestro !

Moussa Bolly

Le Matinal

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