Coronavirus: la fin de l’exception africaine
Après le Nigeria, le coronavirus a été importé au Sénégal. Jusque-là épargnée, l’Afrique peut-elle faire face à ce nouveau virus?
Un second cas de Covid-19 a été confirmé mardi au Sénégal, une semaine après l’arrivée du coronavirus au Nigeria. Dans les deux pays, ce sont des Européens qui ont apporté la maladie. Au Sénégal, le patient zéro est un Français installé à Dakar, qui revenait de vacances de neige dans le Massif central, au Nigeria un Italien travaillant à Lagos. Avant cela, l’Egypte a aussi signalé deux cas, l’Algérie cinq. Le Maroc vient de confirmer également un malade, tout comme la Tunisie. Aucun décès n’est à déplorer dans les six pays africains touchés.
Ces chiffres sont toutefois à relativiser par rapport aux dizaines de milliers de cas en Chine, l’épicentre de l’épidémie, mais aussi aux milliers de malades en Europe. Il est d’ailleurs frappant que le coronavirus ait été importé en Afrique non pas depuis la Chine, malgré ses nombreux liens avec le continent, mais depuis l’Europe, le foyer secondaire de l’épidémie.
Des cas ont-ils été passés sous silence afin de ménager la superpuissance chinoise, omniprésente sur le continent? «Dans des pays où le coronavirus fait partie d’une longue liste d’urgences sanitaires auxquelles les systèmes de santé n’arrivent pas à répondre, on peut légitimement douter des chiffres fournis. La circulation des personnes entre la Chine et l’Afrique reste toutefois encore moins importante que celle en provenance d’Europe», tempère Antoine Kernen, maître d’enseignement à l’Université de Lausanne et spécialiste de la Chinafrique.
«Je n’exclus pas qu’il y ait une sous-estimation des cas en Afrique, mais plutôt parce que les symptômes du Covid-19 sont difficiles à repérer et se confondent avec d’autres maladies», répond pour sa part Karl Blanchet, directeur du Centre d’enseignement et de recherche en étude humanitaire de Genève (CERAH).
«Signal d’alarme»
Malgré le peu de cas enregistrés en Afrique, les craintes sont vives quant à une propagation de la maladie dans des pays aux systèmes de santé beaucoup plus fragiles qu’en Asie ou en Europe. Les récents cas en Algérie et au Nigeria «devraient être un signal d’alarme pour les gouvernements africains», alertait mardi Matshidiso Rebecca Moeti, directrice régionale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Afrique. Si l’épidémie devait devenir hors de contrôle, l’OMS met en garde que les hôpitaux du continent pourraient être «submergés».
Nous n’en sommes pas là, mais l’inquiétude monte. Le Sénégal vient d’annuler un festival et le parlement nigérian a suspendu ses travaux pour deux semaines. Comme en Europe, les Nigérians se ruent sur les désinfectants et les masques, au point de faire flamber les prix.
La leçon d’Ebola
Avec ses 190 millions d’habitants, pays le plus peuplé d’Afrique, le Nigeria apparaît vulnérable mais il est loin d’être démuni. Il y a cinq ans, ce mastodonte avait circonscrit avec succès un virus autrement plus létal: l’Ebola. Commencée en Guinée avant de gagner le Liberia puis la Sierra Leone, l’épidémie avait atteint le Nigeria en juillet 2014, créant la panique. Seulement 20 cas avaient finalement été déplorés et en octobre de la même année le gouvernement pouvait déclarer la victoire sur Ebola. La République démocratique du Congo (RDC) vient d’ailleurs de laisser rentrer chez lui le dernier patient d’Ebola après sa guérison. Il faudra encore attendre 42 jours sans aucun nouveau cas pour célébrer la fin de l’épidémie, commencée en août 2018.
«Notre chance fut qu’Ebola est arrivé à Lagos, où le système de santé est le plus robuste. Cette épidémie a convaincu nos dirigeants d’investir dans la préparation et d’avoir un système de surveillance unifié», se souvient Folasade Ogunsola, professeure de microbiologie à l’Université de Lagos, dans une tribune publiée sur le site The Conversation. Les autorités et le centre de contrôle des maladies du Nigeria informent le public régulièrement sur cette nouvelle crise pour couper court à l’épidémie de rumeurs.
Le Nigeria et le Sénégal ne sont toutefois pas les pays qui ont le plus de risques d’être débordés. «Je m’inquiète plus pour le Mali ou le Burkina Faso, secoués par les violences, et encore davantage pour la Guinée, le Liberia, la Sierra Leone et la RDC, qui avaient eu de la peine à faire face à l’épidémie d’Ebola, souligne le professeur Karl Blanchet. De manière générale, l’Afrique risque de faire face à une pénurie de masques ou de tests. Ces pays ont moins de capacité de faire des stocks et le continent viendra après les commandes faites par l’Asie et l’Europe. Pour éviter une nouvelle vague de contamination depuis l’Afrique une fois que l’épidémie aura été endiguée dans le reste du monde, il faut absolument donner un coup de pouce aux pays africains.»
Pourquoi l’Afrique
Le Temps a décidé de couvrir davantage l’Afrique, depuis trop longtemps négligée dans notre couverture. Car nous croyons au potentiel du continent malgré les immenses défis qu’il doit relever.
Nous sommes persuadés qu’il est temps de parler de l’Afrique autrement pour dépasser les clichés qui collent au continent. Notre engagement est de mettre en avant les thèmes cruciaux pour l’avenir de l’Afrique, comme la santé, la démographie, l’environnement, l’innovation ou les enjeux culturels.
Pour cela, nous sommes convaincus que la Suisse, en particulier romande car elle partage la langue française avec une bonne part du continent, offre un point de vue unique sur l’actualité africaine. Nous avons aussi l’ambition de devenir un lieu de débat incontournable sur le place de la Suisse en Afrique.
Nous avons fait le choix de laisser les contenus liés à l’Afrique en libre accès et dépourvus de publicité. Un choix rendu possible par le soutien de nos fidèles et nouveaux lecteurs. Pour continuer à travailler en totale indépendance éditoriale, Le Temps compte sur vous.
letemps