ACTUALITÉSEconomie

Coronavirus: la chaîne d’approvisionnement des médicaments remise en cause

Des employés travaillent sur la chaîne de production d’un antipaludéen dans une entreprise pharmaceutique à Nantong, province du Jiangsu en Chine, le 27 février 2020. China Daily via REUTERS
Texte par :
Pauline Gleize
La crise du coronavirus a mis en lumière les limites de la mondialisation et la dépendance de certains produits pourtant parfois primordiaux comme les médicaments dont les composants sont en grande partie fabriqués par la Chine et l’Inde. Focus sur l’itinéraire et le processus de fabrication d’un médicament avant d’arriver dans nos officines.

PUBLICITÉ

Lieux et processus dépendent du type de molécule, mais en schématisant, pour faire un médicament, il faut un principe actif : c’est l’essentiel, la substance qui soigne. Ce principe actif est ensuite associé à des excipients et mis sous la forme souhaitée : un cachet, un sirop, par exemple. Or selon, l’Académie française de pharmacie, 80% des principes actifs consommés en Europe sont produits en Chine, en Inde et en Asie du Sud-Est. Les « façonniers » qui donnent leur forme et mettent en boîte se trouvent eux davantage dans les pays occidentaux et développés.

« Un problème mondial »

Mais cette dépendance ne vaut pas que pour l’Europe, souligne Nathalie Coutinet, enseignante-chercheuse à l’Université Sorbonne-Paris Nord et co-auteur de l’Économie du Médicament.

« Le problème est mondial, souligne-t-elle. D’ailleurs, les États-Unis ont déjà signalé une pénurie liée à l’arrêt de production en Chine en raison de ce virus. En général, on considère que les pays où les médicaments sont les plus chers sont moins touchés. Mais, on voit là que ce n’est pas le cas parce que les médicaments sont beaucoup plus chers aux États-Unis que partout ailleurs. »

En Europe, pour l’instant pas de pénurie recensée par l’Agence des médicaments. En France, par exemple, les industriels sont tenus d’avoir un stock de sécurité et la reprise graduelle de l’activité en Chine rassure le gouvernement.

Un risque identifié avant le coronavirus

Cela dit tous les médicaments ne sont pas logés à la même enseigne. La production des génériques serait davantage délocalisée, tout comme le paracétamol ou encore une trentaine de molécules contre le cancer. Mais, il n’est pas facile d’avoir une vue d’ensemble, explique Bruno Bonnemain de l’Académie nationale de pharmacie :

« On n’a pas de base de données que l’on peut interroger rapidement pour savoir quels sont les produits concernés et surtout si plusieurs entreprises se fournissent à la même source. »

L’académie réclame de longue date cet outil, car le risque de rupture de stock n’est pas exclusivement provoqué par le Coronavirus.

« On estime, relate Nathalie Coutinet, que depuis dix ans les ruptures en France ont été multipliées par dix. C’est un phénomène qui va croissant et qui est lié au fait que les entreprises ont de plus en plus délocalisé. Ce n’est pas la seule raison. Une autre raison souvent invoquée par les firmes, c’est l’augmentation de la demande mondiale en médicaments. »

► À lire aussi : Le coronavirus va-t-il entrainer une pénurie de médicaments ?

« Ce n’est pas un problème de rentabilité, mais de profit »

Face à ces difficultés croissantes, il y a plus d’un an, l’Union européenne a mis en place une Task force, un groupe de travail chargé de surveiller et de prévenir les tensions sur le marché.

Mais comment faire pour relocaliser ? Bruno Bonnemain a une idée claire, pour la France du moins : « On augmente régulièrement depuis des années les contraintes règlementaires alors que l’on continue à baisser les prix. À un moment donné, cela ne peut plus tenir. »

En France, le gouvernement affiche sa volonté de relocalisation dans la filière. Cela entre dans le cadre du « pacte productif » annoncé en octobre. Une politique fiscale plus attractive fait partie des pistes de réflexion. Nathalie Coutinet est partagée face aux revendications de hausse de prix ou de politique fiscale.

« Il est vraisemblable que cela fonctionnerait, note la chercheuse. Mais cela paraît injuste. Les industries pharmaceutiques n’ont absolument pas de difficulté de rentabilité. Au contraire. Ce n’est pas un problème de rentabilité, c’est un problème de profit. »

Une société dédiée aux principes actifs en Europe

Quoi qu’il en soit une éventuelle relocalisation prendra du temps. Un temps qu’il faudra compter en années. Un groupe pharmaceutique a déjà fait une annonce en pleine crise du Coronavirus. Sanofi a décidé de créer une filiale dédiée aux principes actifs implantée en Europe.

« Six des onze usines de principes actifs que nous avons en Europe produisent majoritairement pour d’autres laboratoires », explique Philippe Luscan, directeur industriel de Sanofi. « Et on a vu au cours des dernières années, cette part des autres laboratoires croître au fur et à mesure de politiques de relocalisation. On pense donc qu’en créant cette société en dehors de Sanofi, mais dont Sanofi sera actionnaire prioritaire, nous pouvons doubler la croissance de cette société. D’autre part, nous pensons pouvoir être la locomotive d’un train européen de production de principes actifs. »

Le groupe français assure que ses principes actifs ne sont fabriqués qu’à hauteur de 5% en Chine entre autres, car le groupe pense depuis longtemps que les coûts asiatiques finiront par remonter. Le groupe achète aussi 20% des matières premières en Chine. Difficile d’échapper complètement à l’Empire du milieu.

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page
Open

X