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Convalescence au Maroc : Ali Bongo, la présidence à distance

Dans les formes, les apparences sont sauves. Pour se conformer à l’exigence constitutionnelle de voir les membres du gouvernement prêter serment devant le président de la République, Ali Bongo avait fait le déplacement à Libreville. Vingt quatre heures plus tard, le chef de l’Etat gabonais est retourné à Rabat pour ses séances de rééducation dans le cadre de sa convalescence. Un mode de gouvernance à distance qui interroge.

A Libreville, beaucoup commençaient à croire que la cérémonie de prestation de serment des membres du gouvernement gabonais n’était en fait qu’un film. Sans journalistes extérieurs, sans images instantanées disponibles, c’est un président gabonais en fauteuil roulant qui a présidé la cérémonie d’allégeance des trente-sept membres du gouvernement. Une audience solennelle au cours de laquelle il n’aura prononcé que les formules d’ouverture et de clôture.

Couper court aux rumeurs
Pour enrayer l’engrenage de la machine à rumeurs, dont certaines faisaient état d’une cérémonie ayant eu pour cadre Rabat, la télévision publique a fini par diffuser,une vidéo de 28 minutes, en différé et coupée au montage, de la cérémonie à la salle des fêtes du Palais du bord mer de Libreville. En politique, c’est le symbole qui gouverne.

En plus de constituer un défi logistique et financier dans un pays à la diète, la charge allusive d’une prestation de serment gouvernemental dans la capitale marocaine aurait sans doute renforcé les doutes sur les capacités physiques et facultés psychiques du président à tenir les rênes du pays. Le patient présidentiel s’est donc déplacé lui-même à Libreville pour donner définitivement des preuves de viabilité et de capacité à gouverner. Sans véritablement convaincre.

«Faire le voyage pour cette circonstance indique qu’il exerce toujours l’autorité politique. Bien entendu c’est aussi une tentative de prouver qu’il est en meilleure santé et capable de voyager. Ce n’est malheureusement pas assez. Cet aller-retour express est comme le vent au feu. S’il peut éteindre les petites inquiétudes, il attise en revanche les grandes», analyse Olivia Nloga,experte en communication politique.

Le lendemain de ce déplacement express, Ali Bongo a repris les airs pour retourner au  Maroc, sa terre d’exil médical où il devrait continuer sa rééducation après l’AVC qui l’a frappé le 24 octobre dernier en Arabie Saoudite.
Gouvernance à distance
Dans le confort de sa résidence de Rabat, Ali Bongo donne ses instructions, reçoit ses collaborateurs les plus proches envoyés en missi dominici à Libreville quand il n’arbitre pas les contentieux ou donne son aval -ou sa désapprobation- dans les dossiers les plus urgents. «Nous assistons à une phase inédite de gouvernance à distance ou par substitution au Gabon même si nous avons des situations similaires au Cameroun ou en Algérie», résume Régis Hounkpè, le directeur exécutif d’InterGlobe Conseils, spécialisé en géopolitique, coopération internationale et stratégie d’influence.

Pour seule réponse à cette gouvernance par l’absence, les communicants du Palais du bord de mer ont composé une rengaine chantée en chœur par tous les haut-responsables soucieux de conserver leur poste: «Les institutions de la République fonctionnent normalement». En clair, le président peut rester à Rabat autant qu’il le souhaite et laisser la gestion des affaires internes à ses collaborateurs. «Circulez, il n’y a rien à voir!»

Pourtant, le malaise est beaucoup plus profond. A la primature comme au perchoir de l’Assemblée nationale, l’arrivée de Julien Nkoghe Bekalé et Faustin Boukoubi, caciques de la dynastie Bongo, laisse présager d’une stratégie de resserrement dans l’entourage présidentiel dont on perçoit les premières lignes de fissures. En l’absence d’Ali Bongo, des clans se sont formés. Même s’ils maintiennent une unité de façade, ils se jugent, se jaugent, s’accusent de complots.

«Délocaliser une partie du cœur battant du Palais à Rabat est sujet à caution. Peut-il continuer à assumer ses charges suprêmes et demeurer le titulaire de la souveraineté nationale du Gabon, en étant très diminué et manifestement ballotté entre les guerres d’influence de ses partisans?», s’interroge Régis Hounkpè.
Communication parcimonieuse, brouillard de spéculations
Pendant ce temps, le pays trinque dans l’attente d’un retour encore incertain du patient présidentiel à Libreville. Si la nature a horreur du vide, la gestion d’un pays tolère moins l’absence de celui censé l’animer.«La situation du président gabonais est complexe: qu’il se fasse discret on lui demandera de se montrer, qu’il se montre on lui demandera de parler, qu’il parle on lui demandera de marcher», relève encore Olivia Nloga.

«Et cela ne suffira toujours pas à ceux des Gabonais qui nourrissent la polémique sur son état de santé car au fond leur revendication profonde n’est pas qu’Ali Bongo soit en état de gouverner mais qu’il quitte le pouvoir. C’est bien plus qu’un problème de communication, c’est une dispute politique».

Au final, ce n’est pas tant l’absence d’Ali Bongo qui dérange. Comme tout être humain, il peut arriver à un président, même africain, de tomber malade. Sous d’autres cieux, le cas des Français François Mitterand, Georges Pompidou, du Vitetnamien Tran Dai Quang ou encore du Vénézuélien Hugo Chavez sont assez emblématiques pour nous le rappeler. Ce que l’on tolère moins, c’est l’absence d’une communication régulière sur  le bulletin de santé d’un patient pas comme les autres.

Pour le cas d’Ali Bongo, «la question de la réalité du pouvoir, fait remarquer Régis Hounkpè, est de savoir s’il continue d’être exercé par le grand convalescent de Rabat, ou soumis à l’incertitude la plus opaque». Pour l’heure, ce n’est pas la communication parcimonieuse du Palais qui va apporter une réponse qui dissipera le brouillard de spéculations.

Source: latribune

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