Par Valérie Ganne
« Il est tellement charmant », « Elle est si délicieuse »… Pas toujours facile de vivre avec un irréductible séducteur qui, sans aller jusqu’à l’adultère, passe son temps à essayer de plaire aux autres… Que cache le besoin de séduire ? Enquête et conseils pour protéger son couple.
« Je vis en couple avec François depuis quinze ans, raconte Nathalie, 52 ans. Il a beau avoir 60 ans, dès qu’il croise une femme, il la suit des yeux et essaie de capter son attention. C’est plus fort que lui. Hier encore, je l’ai surpris en train de prendre son ton le plus dragueur au téléphone pour parler à une employée de mairie ! » Nous rencontrons tous les jours des hommes ou des femmes qui aiment charmer, susciter un intérêt, se faire regarder et attirer l’attention. Les séducteurs réveillent les dîners d’amis, embobinent les fâcheux, négocient avec brio les baisses de tarif chez le garagiste et les rapports parfois compliqués avec parents et beaux-parents. Mais, au fond, qu’est-ce qui caractérise ce type de comportement ? Selon la psychanalyste et universitaire Gisèle Harrus-Révidi, la séduction est une façon d’être au monde, face aux autres. Il s’agit d’essayer de plaire à l’autre quel que soit mon sentiment profond vis-à-vis de lui ou d’elle ». Nathalie ne s’inquiète d’ailleurs pas. Elle est convaincue que son compagnon se montre « gentil et attentif, pour être agréable aux autres et être regardé. Il ne cherche pas à obtenir autre chose ».
Le séducteur, toujours en quête de reconnaissance
La plupart des séducteurs ne sont en quête ni du grand frisson ni de la passion, mais de reconnaissance. Ils ont besoin du regard de l’autre, besoin d’être rassurés, et souffrent souvent d’un manque de confiance en soi bien dissimulé. « La volonté effrénée de plaire repose sur une faille narcissique, une dépendance insatiable au regard de l’autre, assure le psychanalyste Jean-Pierre Winter. C’est l’appel de l’enfant qui fait ses premiers exploits et cherche l’assentiment de sa mère. » Emprisonnés dans les yeux d’autrui, fragilisés face au temps qui passe (les acteurs en savent quelque chose), ils peuvent se perdre dans une quête insatiable de reconnaissance et en devenir esclaves.
Pour celui ou celle qui partage la vie de ce partenaire toujours tourné vers l’extérieur, construire un couple qui dure n’a rien d’évident. Car « l’un des grands arts de la séduction est de savoir interrompre la relation avant qu’elle ne perde, tant pour l’autre que pour soi-même, son mystère », explique Gisèle Harrus-Révidi. Les séducteurs donnent donc souvent l’impression – pas forcément fausse – de vouloir s’échapper, plongeant ainsi l’autre dans la frustration. À ce sentiment vient parfois s’ajouter la souffrance de se sentir traité comme tous les autres, de n’être finalement qu’un parmi une multitude. Selon Lili Ruggieri, thérapeute systémicienne, « quand nous nous apercevons que la séduction à laquelle nous avons été sensible au départ finit par s’exercer sur d’autres, cela peut être douloureux ».
Pour aller plus loin
Un conjoint en recherche d’insatisfaction
Un jeu de pouvoir, et parfois même des rapports teintés de sadomasochisme, peuvent se mettre en place lorsque l’un des deux utilise son charme pour faire souffrir l’autre, l’affaiblir, le fragiliser. Au bout de plusieurs années, Éva, 37 ans s’est aperçue que son compagnon l’avait totalement vampirisée et dépossédée de son existence : « La phase du début était gaie et valorisante, se souvient-elle. Mon mari restait séducteur avec moi et, pendant longtemps, nous avons vécu une vraie passion. Mais un jour, je me suis rendu compte que j’étais seule et isolée, que je n’avais plus d’amis, que je l’avais laissé me mettre entièrement sous sa coupe. Il m’avait éloignée de tout mon entourage en exigeant que mon existence entière tourne autour de sa petite personne, sans qu’évidemment il y ait réciprocité. Il avait gagné, m’avait à sa disposition et donc me négligeait pour briller auprès d’autres. Il n’était pas avec moi. »
Ce qui n’exclut pas que le séducteur change quand il tient profondément à celle ou celui qui partage sa vie. Colette, 32 ans, a, elle, renoncé à papillonner pour sauver son couple et préserver son compagnon : « J’étais très séductrice. Étienne le supportait de moins en moins. Il devenait agressif, désagréable, froid avec moi, alors que ce qui m’avait plu en lui, c’était précisément ses attentions, sa douceur, le désir qu’il manifestait de passer des soirées en tête à tête avec moi. Au début de notre histoire, il incarnait vraiment ce que j’espérais d’un homme, une présence aimante et rassurante. Il était l’exact opposé de mon père, un homme tendre mais fuyant, toujours occupé à l’extérieur et que j’ai attendu pendant toute mon enfance. J’avais l’impression de basculer petit à petit dans l’enfer conjugal, mais un jour, une amie à qui je me plaignais m’a dit : “Tu ne vois pas qu’Étienne ne supporte pas tes oeillades à droite, à gauche ? C’est humiliant et rude pour lui.” C’était comme si un piano m’était tombé sur la tête. J’ai eu mal pour lui et je me suis demandé ce que j’éprouverais si je le voyais faire la même chose. J’ai stoppé mes petits numéros du jour au lendemain pour retrouver à la maison ce que je passais mon temps à chercher à l’extérieur. »
Jean-Pierre Winter, lui, est convaincu que « pour vivre avec un séducteur, il faut accepter non seulement d’être insatisfait, mais comprendre aussi que l’on recherche inconsciemment l’insatisfaction ». Ainsi, si un séducteur cherche souvent à combler une faille narcissique, celui ou celle qui vit avec lui cultive plutôt le manque et l’opacité de l’autre, observe Gisèle Harrus-Révidi : « Il s’agit de préserver ainsi le mystère de celui que j’aime, sans aller toutefois jusqu‘à le laisser mener une double vie ! »
Et si c’était une chance ?
Une attitude qui demande une certaine confiance en soi et en l’autre. Marion, 38 ans, a toujours aimé s’entourer de séducteurs. Sa meilleure amie est une séductrice de choc, son précédent partenaire l’était, tout comme Loïc, son compagnon actuel, avec qui elle vit depuis douze ans et a une fille de 3 ans. « Avec Marc, mon amoureux précédent, je souffrais parce qu’il refusait de reconnaître son côté charmeur. Pourtant, son entourage le lui faisait aussi remarquer. Mais comme il ne cessait de le nier, j’ai fini par perdre confiance. Avec Loïc, qui séduit tous ceux qu’il croise, ça n’a pas toujours été facile non plus. J’avais l’impression qu’il fallait toujours me battre pour prendre ma place par rapport aux autres. Et j’étais jalouse, bien sûr. Ce qui nous a sauvés, c’est d’en avoir parlé. Sincèrement, il n’en était pas conscient mais il a su reconnaître son attitude et faire un pas vers moi : il m’a rassurée, redonné confiance en moi et a fait davantage attention à son attitude. Ce dialogue était la reconnaissance de notre engagement l’un pour l’autre et tout a changé. »
L’exercice est subtil. Mais quand le contrat est clair et accepté de part et d’autre, la séduction peut jouer un rôle moteur dans le désir. D’après Lili Ruggieri, les séducteurs sont souvent « très créatifs, ils peuvent déployer de grands efforts pour entretenir la flamme ». Et vivre avec l’un d’entre eux peut paradoxalement permettre de cultiver son estime de soi : « C’est au fond plutôt valorisant pour moi de sentir que François continue d’apprécier et d’être apprécié des femmes qui nous entourent, alors que je reste la seule à le connaître sous son vrai jour et à vivre avec lui, estime Nathalie. Mais je ferai mes valises à la première infidélité. »
« C’est mon mode de communication, j’ai envie de plaire et d’être aimée »
Myriam, 40 ans, en couple avec Antoine depuis vingt ans
« À 20 ans, je n’étais pas du tout dans la séduction. Dans ma famille, j’avais le sentiment d’être moins aimée que mes soeurs. Mal dans ma peau, complexée, je me trouvais laide, grosse, et je compensais par un appétit de culture, la lecture, la musique et les films. J’étais totalement inhibée et je passais mes soirées enfermée dans ma chambre. Et puis, j’ai rencontré Antoine. Au début, je n’avais même pas vu qu’il s’intéressait à moi. Il a fallu qu’il soit très clair et insistant pour que je comprenne ! Ensuite, il m’a donné confiance en moi. Même s’il est avare de compliments, je me suis sentie valorisée dans son regard : “Si cet homme m’aime, je suis donc désirable”, me suis-je dit. J’ai commencé imperceptiblement à me transformer physiquement, à m’apercevoir que, parfois, des hommes me regardaient. J’en étais la première surprise.
Aujourd’hui, j’ai une attitude séductrice envers les hommes comme envers les femmes : c’est comme s’il fallait que je rattrape le temps perdu. J’ai développé une séduction par la parole, la gaieté, l’enjouement : j’aime les rencontres, nouer des relations avec les gens, j’organise des dîners, des vacances. C’est mon mode de communication : j’ai envie de plaire et d’être aimée. Mais dès qu’un événement difficile, un souvenir douloureux, me renvoie une image de moi-même dégradée, je me replie. Antoine, c’est un séducteur, mais uniquement au boulot. Et ça me plaît qu’il soit valorisé socialement. Mais lui, de son côté, peut être énervé quand il me voit draguer des lampadaires. Il sait que mon attitude peut avoir davantage de retentissements sur notre vie affective, qu’elle est plus risquée que la sienne. Nous formons au fond un couple plutôt traditionnel : il a besoin de reconnaissance professionnelle et moi de reconnaissance affective. Nous avons trouvé notre équilibre comme ça. »
Propos recueillis par V.Ga.