Ce 13 février marque le 90e anniversaire de l’actuel président camerounais, Paul Biya. Il a passé près de la moitié de sa vie à la tête du pays, soit 41 ans au pouvoir.
M. Biya fait partie des cinq chefs d’Etat africains qui ont dépassé le seuil des 40 années au pouvoir. Il est le deuxième chef d’Etat vivant qui a passé le plus de temps à la tête de son pays, juste derrière le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema.
Ayant accédé au fauteuil présidentiel à la suite de la démission de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, Paul Biya règne sans discontinuer à la tête du Cameroun depuis 1982.
La BBC s’entretient avec plusieurs personnalités dont des acteurs de la scène politique camerounaise afin de mieux comprendre les raisons de ce long magistère.
Une connaissance de l’appareil d’Etat
Avant d’accéder au pouvoir, l’appareil d’Etat n’était pas un système qui lui était étranger. En effet, Paul Biya occupe plusieurs portefeuilles sous le président Ahidjo. Il est d’abord chargé de mission, secrétaire général adjoint et secrétaire général, directeur du cabinet civil avant d’être nommé Premier ministre par Ahmadou Ahidjo. Il succède à ce dernier qui a démissionné pour des raisons de santé.
« Il a fait toutes les étapes dans une structure présidentielle, ce qui lui a permis de maîtriser les dossiers qui aboutissent à la présidence, mais aussi de maîtriser l’appareil de l’État, » affirme Garga Haman Adji, ancien ministre et président du parti l’Alliance pour la démocratie et le développement (ADD).
Cette maîtrise de l’appareil d’Etat lui permet, selon l’universitaire et politologue Stéphane Akoa, de se présenter comme « celui qui pouvait garantir la paix face aux tumultes. »
« Dans l’histoire du Cameroun, des événements traumatisants ont conduit les Camerounais à considérer que ce qui était le plus précieux, c’était la paix. Et monsieur Biya leur a vendu l’image d’un homme de paix », renchérit-il.
Paul Biya accède au pouvoir, selon M. Akoa, à une période où son prédécesseur a réussi à pacifier le pays au lendemain des troubles dites du maquis. Une période qui correspond à l’affrontement qui opposait le nouvel Etat du Cameroun aux combattants de l’Union des Populations du Cameroun (UPC).
L’UPC dont l’un des leaders les plus charismatiques est Ruben Um Nyobé, est un parti créé en 1948 pour obtenir l’indépendance du Cameroun. L’Union des Populations du Cameroun est entré dans la clandestinité parce qu’elle a été interdite en 1955 par le pouvoir colonial. Le parti a continué à s’opposer au régime du président Ahidjo qu’il soupçonnait d’être acquis à la France que l’UPC combattait.
Selon le professeur Stéphane Akoa, « c’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’expression ‘Cameroun, havre de paix’ est revenu très souvent dans ses discours lors des dix, quinze premières années. »
Un mode de scrutin favorable
Le président de la République du Cameroun est élu au scrutin uninominal majoritaire à un tour pour sept ans, sans limitation de mandat.
Ceci signifie que le vainqueur n’a pas besoin d’obtenir 50 % des voix pour remporter une élection. Une majorité relative suffit.
C’est ce cas de figure qui s’est posé en 1992, quand l’anglophone John Fru Ndri a fait vaciller le régime Biya. L’opposant est arrivé deuxième avec 35,9 % des voix contre 39,9 % des voix pour Paul Biya et 19,2 % pour Maïgari Bello Bouba, arrivé troisième.
John Fru Ndri avait crié à la fraude, dénonçant les résultats officiels.
« La longévité de monsieur Biya tient principalement à ce mode d’élection taillé à sa mesure depuis 1992 pour sa perpétuité au pouvoir », estime l’opposant camerounais Cabral Libii.
Malgré les propositions de réforme du code électoral, le système reste inchangé.
Dans un système à deux tours, « une majorité relative, généralement, se dégage et donc les autres partis ont la possibilité de s’allier, de faire alliance et ça donne plus de chances », analyse le journaliste Georges Alain Boyomo.
Une analyse que partage M. Adji qui pense que « le scrutin majoritaire à un tour est une démocratie bancale, sauf si nous sommes dans un système bipartisan comme aux Etats Unis. »
Une opposition désunie
Si beaucoup d’opposants s’étaient ralliés à John Fru Ndri en 1992, ceux-ci paraissent dispersés lors des dernières élections. Cela favorise un émiettement des voix face à Biya.
Cependant, pour M. Libii, c’est le système électoral qu’il faut réformer.
« C’est difficile d’imaginer l’opposition derrière un candidat. C’est faux de penser que tous les partis politiques qui ne sont pas le parti au pouvoir sont des partis d’opposition. Il y a plusieurs partis politiques qui sont, soit liés au parti au pouvoir, soit créés, éventuellement, pour la cause du pouvoir », explique M. Libii.
Des arguments que partage M. Adji : « Logiquement, des partis politiques qui ont des programmes divergents ne peuvent se regrouper que quand ils trahissent leur idéologie de départ. »
Cependant, selon le professeur Akoa, il manque à l’opposition « un projet politique qui aurait pour objectif de convaincre la classe moyenne. »
Cette classe moyenne a besoin selon lui d’un discours qui sécurise ses intérêts, présente des possibilités de changement. Des réformes et modifications dans la gouvernance mais qui ne touchent pas de manière frontale et complète à ce qu’ils ont réussi à accumuler au cours de ces années.
La gestion socio-politique
Le Cameroun, pays de l’Afrique centrale, compte plus de 200 langues régionales et deux langues officielles : l’anglais et le français. Le nord du pays est majoritairement musulman et le sud principalement chrétien.
C’est est un pays « très diversifié et extrêmement complexe », selon Garga Haman Adji. Et pour lui, « il faut connaître les hommes pour une bonne gestion de l’équilibre régional. Paul Biya est chrétien du Sud, catholique et ayant travaillé avec un musulman du Nord. Ce qui lui a permis mieux étoffer sa formation socio-politique. »
Cette connaissance, selon certains observateurs, permet à M. Biya de mieux cerner, non seulement son électorat, mais également les hommes politiques.
Le journaliste Georges Alain Boyomo, définit pour sa part les équilibres régionaux comme une « discrimination positive qui permet que toutes les composantes sociologiques puissent être représentées. »
« Il s’est gouverner avec des ministres ou des représentants, notamment de la société civile, qui allaient au contact des populations, rassurer les mécontents et ainsi limiter la portée des crises en évitant des débordements », analyse le Pr Akoa.
« Biya, lui, se présente comme étant celui qui a su choisir dans les groupes et dans les communautés autour du système central des représentants de qualité », poursuit-il
Cependant, ce mode de gestion commence à montrer ses limites comme en témoigne le conflit actuel dans les régions anglophones du pays.
« Aujourd’hui, c’est un équilibre, je dirais brinquebalant qui ne tient plus à grand-chose parce que très souvent, on nomme des personnes, issues certes des différentes régions, mais qui ne sont pas assez représentatives », déclare M. Boyomo à la BBC.