CISSE Nana Aïcha, Coordinatrice régionale de la plateforme des femmes du G5 sahel : « Nous œuvrons pour qu’on dépasse les discours, on a assez parlé pendant des dizaines d’années, on ne fait que parler… »
ommes engagées à appuyer le G5 Sahel à atteindre ses objectifs de sécurité, de développement dans le sahel. Mais nos cibles principales sont les femmes qui vivent dans les zones des conflits et dans les zones transfrontalières », martèle cette femme à la main de fer dans un gant de velours. Rendez-vous compte. Interview !
Le Républicain : Pouvez-vous nous présenter votre organisation qu’est la plateforme des femmes du G5 sahel ?
CISSE Nana Aïcha : La plateforme des femmes du G5 sahel est une structure, une faitière, multi-acteurs, c’est-à-dire qu’elle est composée de représentantes du secteur public, notamment le ministère de la promotion de la femme, des organisations féminines, des femmes parlementaires et des femmes rurales. Sa vocation est d’assurer l’intégration du genre et la prise en compte des priorités spécifiques des femmes et des filles dans toutes les initiatives du programme du projet que le G5 Sahel entreprend, aussi bien au niveau du G5 sahel que dans les pays membres.
La plateforme des femmes du G5 sahel est-elle une structure nationale ou internationale ?
Notre structure est régionale, mais dans chaque pays, il ya une stucture nationale qu’on appelle coordination nationale du G5 Sahel, et les 5 pays membres sont le Burkina-Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Ces 5 coordinations nationales sont regroupées en coordination régionale.
Comment la coordination nationale est-elle constituée ?
Pour toutes les coordinations, c’est la même constitution, c’est-à-dire que nous avons des représentantes du ministère de la promotion de la femme, celles des organisations féminines, celles des femmes parlementaires et des représentantes des femmes du monde rurale. C’est la même composition pour chaque pays.
Pour constituer la coordination nationale, comment faites-vous ? C’est un grand congrès ou comment ça se passe?
Non, ce n’est pas comme ça, parce que la plateforme est rattachée aux Etats. Ce sont les ministres de la promotion de la femme qui ont tenu une réunion pour créer la plateforme et on a demandé à chaque pays de mettre en place une coordination nationale. La ministre a donc envoyé les correspondances aux acteurs qui avaient été identifiés au cours de la réunion. Chaque acteur a donné le nom de sa représentante.
Expliquez-nous le mécanisme du fonctionnement de la plateforme?
Dans le pays, la coordination nationale relève du ministère de la promotion de la femme et c’est la ministre qui désigne la coordinatrice nationale. Et pour le fonctionnement, le ministère doit donner un siège, donner un appui pour le fonctionnement. Donc c’est sous le leadership du ministre en charge de la femme que nous exerçons.
Quelles sont les relations de la plateforme avec le G5 Sahel ?
Le G5 Sahel a suivi tous le processus de mise en place de la plateforme, ils ont participé à toutes les grandes réunions qui ont été organisées pendant le processus pour aboutir à la création de cette plateforme. Maintenant quand nous avons élaboré les textes, les statuts et règlements intérieurs, nous les avons présentés aux chefs d’Etats au cours de leur conférence qui s’est tenue à Niamey en février 2018. Ils ont approuvé l’idée et ils ont accepté. Il ya eu la réunion des ministres en charge de la femme qui a adopté les statuts. Dans le texte, la plateforme est rattachée au secrétariat exécutif du G5 Sahel, qui est basé à Nouakchott. Pour clarifier le rôle de chacun, nous avons signé un protocole d’entente.
La coordination va-t-elle avoir un siège au sein du G5 Sahel ?
Non, nous n’avons pas prévu d’aller nous installer là-bas. Pour le moment, la coordination régionale tourne entre les pays pour un mandat de deux ans. Le Burkina Faso a été le premier pays à assurer la coordination, parce que nous avons souhaité suivre l’ordre alphabétique. Je signale que la coordination régionale a été créée au Mali en février 2017, et maintenant c’est le Mali qui assure la présidence. La coordinatrice régionale participe au conseil des ministres du G5 sahel. D’abord avant le conseil des ministres, il y a la réunion des experts pour préparer les documents qui seront adoptés par les ministres. La mission essentielle de la plateforme est l’intégration du genre et les principales préoccupations des femmes et des filles dans tous ce que le G5 Sahel entreprend comme initiative. Donc pour cela, nous œuvrons pour le renforcement des capacités, nous participons aussi à toutes les activités, le secrétariat exécutif nous a associées aux rencontres. Il nous appuie aussi dans les démarches de mobilisation de ressources des partenaires. C’est à cela qu’ils se sont engagés pour renforcer la participation des femmes. Et nous nous sommes engagées à appuyer le G5 Sahel à atteindre ses objectifs de sécurité, de développement dans le sahel. Mais nos cibles principales sont les femmes qui vivent dans les zones de conflits et dans les zones transfrontalières. Nous œuvrons pour qu’on dépasse les discours. On a assez parlé pendant des dizaines d’années, on ne fait que parler. Ces femmes n’ont pas besoin de discours, elles veulent des actions concrètes. Parce qu’elles ont tout perdu, elles ont perdu tout espoir. Donc, il faut les faire revivre. C’est pour cela que nous avons élaboré un plan stratégique et nous avons commencé la mise en œuvre de ce plan stratégique. Actuellement, nous sommes en train de parler de plateforme multifonctionnelle au Niger, au Tchad, au Burkina en Mauritanie. Six plateformes sont déjà fonctionnelles. Et il faut dire que notre plan stratégique a été adopté en décembre 2019 seulement. Donc, c’est de telles actions que nous voulons, des actions d’envergures qui puissent vraiment faire revivre l’espoir chez les populations, à commencer par les femmes. Quand les hommes partent se battre, c’est les femmes qui restent avec les enfants, et il faut les aider.
Quelle est la destination de ces plateformes ?
Dans les communes rurales et les zones frontalières.
En dehors de ces actions, avez-vous initié des projets qui vont être financés ?
Nous avons des projets. Maintenant, vous savez, dans le monde rural, la femme pratique beaucoup le maraichage. Nous sommes en train de chercher des appuis pour aménager les espaces où elles pourront semer ce qui peut leur servir à quelque chose, non seulement nourrir la famille, mais aussi à lui rapporter un peu de revenus. Il faut donc que ça soit des périmètres maraichers, si j’ose le dire, un peu modernes où il y aura des forages, des panneaux solaires pour l’arrosage. Et puis, les plateformes multifonctionnelles aussi peuvent les aider. Car ça donne de l’électricité, et il y a des moulins dessus, on va mettre un congélateur où elles pourront faire des petits commerces de jus, car elles auront de l’électricité à proximité. Nous voulons aller plus loin, car nous voulons qu’à travers les plateformes multifonctionnelles, qu’on fasse des petites adductions d’eau dans la zone. Car l’accès à l’eau est très difficile.
Mme la coordinatrice, vous participez à un atelier d’élaboration de stratégies de protection des civils dans l’espace du G5 Sahel. Comment appréciez-vous cette rencontre ?
Pour moi, cet atelier est le bienvenu. C’est un atelier qui va se passer dans chacun des cinq pays du G5 Sahel. Ecouter les gens, avoir des recommandations pour pouvoir élaborer une bonne stratégie avec laquelle on pourra protéger les civils. Je sais que ça va être très difficile, parce que dans notre contexte, la protection est très difficile. Nous avons à faire à un ennemi que nous ne voyons pas. Donc, pour moi, il faut prendre en compte la participation des communautés elles-mêmes, parce que la plupart du temps la communauté les connaît, mais a peur de les dénoncer. Donc il faut les impliquer pour les protéger. La protection militaire seulement ne suffit pas.
Dernière question, qui n’a pas trait directement au G5, mais qui est une préoccupation des femmes, la pandémie du Covid-19. La pandémie du covid-19 affecte-t-elle les droits de la femme ?
Complètement ! Avec la covid-19, la femme a pratiquement perdu beaucoup de droits, même si ceux-ci existent juridiquement, leur application connait des entorses. Déjà la restriction dans les déplacements ; vous savez que chez nous les gens vivent au jour le jour. Quand tu as une restriction dans les déplacements, comment va-t-on chercher le quotidien pour assurer les besoins ?
La restriction touche aux droits de la femme, parlez nous en?
Oui, je ne parle pas des femmes maliennes seulement, mais ici, on a vécu le couvre-feu et ça a été difficile; il y a eu des manifestations de protestation. Et c’était le couvre-feu seulement chez nous. Dans d’autres pays, les gens ont été empêchés de sortir, même si vous sortez, vous ne pouvez pas aller loin ; les activités sont au ralenti.
Et les femmes sont principalement concernées ?
Quand vous prenez le commerce informel, plus de 70% est occupé par les femmes ; mais les frontières étaient fermées, elles ne pouvaient plus voyager. Il y en a qui ont complètement perdu leur activité. Et puis, pour gérer la gestion des malades dans la famille, c’est également les femmes. L’enfant est malade, le mari est malade, c’est comme si c’est la femme qui est malade. Aussi, beaucoup de programmes, de projets sont arrêtés à cause de la pandémie du Covid-19. Nous avons quatre projets qui sont en attente à cause du covid-19. Nous avons eu le financement, mais c’est arrêté.
Qu’est-ce qu’il faut faire pour que la réponse à la covid-19 puisse impliquer la prise en compte des droits des femmes ?
Il y a beaucoup de rencontres qui ont été initiées à cet effet, beaucoup de forums, beaucoup de plaidoyers qui sont en cours et cela à tous les niveaux. L’Union Africaine en a fait son affaire, les Nations Unies en ont fait leur affaire. Au niveau local aussi, nous nous investissons pour ça.
Les droits qui sont affectés chez les femmes, c’est les droits économiques principalement ?
Les droits économiques et sociaux, parce qu’on vous dit de ne pas vous regrouper plus de tel nombre de personnes, il faut la distanciation, et c’est à cause des besoins quotidiens que les gens n’arrivent pas au Mali, à respecter les mesures barrières.
Propos recueillis par B. Daou
Source: Lerepublicainmali