Cheick Oumar Sissoko rend hommage à Victor Sy : « La vie de combat de Victor Sy se trouve banalisée par les actes des Autorités de cette Transition »
Meguetan Infos
L’ancien ministre Cheick Oumar Sissoko a rendu un hommage à Victor Sy, décédé le 21 mars 2023, à l’âge de 87 ans. Selon lui, la vie de combat de Victor Sy se trouve banalisée par les actes des Autorités de cette Transition.
Victor Sy nous a quittés ce mardi 21 mars 2023 à la veille de l’anniversaire de I’historique 26 mars. Est-ce un message ?
Le 26 mars a couronné le long combat de cet homme contre Moussa Traoré et son régime qu’il abhorrait. Victor Sy a combattu cet homme et ses compagnons du CMLN dès les premières heures de leur pouvoir dictatorial. Il les a bravés à visage découvert, fustigeant en tout lieu et en toute heure, leur politique, leurs actes. La peur s’installait dans tout le pays. Victor lui n’avait pas peur. Professeur de sciences physiques/ chimie au Lycée de Badalabougou, il aimait disserter avec ses élèves sur la situation politique nationale et internationale, les enjeux en cours, les raisons du coup d’état contre Modibo Kéita dont il était un ardent défenseur.
Membre de la JUSRDA, il n’a jamais accepté cet acte de forfaiture qu’il dénonçait violemment partout, à tel enseigne qu’il était appréhendé par la police à chaque mouvement de contestation. Un tract était-il lancé ? Une marche était-elle faite ? Des propos ou des critiques étaient-ils tenus contre le CMLN ?
Victor était le premier à en faire les frais. Il était aussitôt recherché, arrêté, battu, torturé, envoyé au camp des parachutistes de Djicoroni ou loin dans les prisons du désert saharien. Rien n’y fait. L’homme ne s’est jamais tu. II ne s’est jamais caché, il n’a jamais tenté de s’enfuir. Une fois libéré, il récidivait dans des dénonciations d’actes posés par ses tortionnaires et ce, en face d’eux. Victor Sy avait accepté le sacrifice de soi-même pour l’éveil de conscience des Maliens qu’il voulait voir s’assumer, prendre leur destin en main et se battre.
Son combat était pour la démocratie et la souveraineté du peuple. Dommage qu’il n’ait pas accepté de prendre le leadership d’un mouvement. Il a choisi d’être un électron libre depuis ce coup d’Etat du 19 novembre 1968. Malgré le fait de la Transition en cours de s’être émancipée en 2021-2022 de l’état impérialiste français, chose que Victor a toujours revendiquée et qu’il a saluée, il est amer de constater que toute sa vie de combat se trouve aujourd’hui banalisée, flétrie par les actes des Autorités de cette même Transition : elles accaparent le pouvoir, prennent en otage le peuple, mettent en place un régime militaire comme en 1968 et reconduisent le système de corruption, de forfaiture combattu par l’insurrection populaire de 2020 avec la trahison et la complicité de quelques dirigeants du M5 RFP qui ont fait le choix de leurs intérêts personnels.
C’est Victor qui méritait le qualificatif d’imperturbable, de patriote sincère et convaincu, de guide, de guerrier… Il s’est assumé et il a marqué son temps, ne demandant jamais une faveur. C’est une légende qui nous quitte. Mais comme toute légende populaire, elle demeurera éternelle, nous rappelant à son souvenir dans les moments troubles de pouvoir ou de domination inacceptable qu’il n’y a pas d’autre issue que de se battre.
J’ai rencontré pour la première fois Victor Sy que je connaissais bien évidemment de nom, le Vendredi 9 janvier 1988 à Dakar. C’était au cours d’un diner que j’avais fait organiser dans un restaurant par mon ami Malick Bathily. Je me rappelle tous les détails de cette soirée à cause des enseignements politiques, organisationnels livrés par l’homme à qui j’apportais le travail de la société civile au pays et, bien sûr, de l’organisation clandestine à laquelle j’appartenais. Nous étions dans la phase de rapprochement avec le FNDP ou, en cas d’échec, de création d’une association politique de lutte pour la démocratie. C’est ce qui donna finalement naissance, 2 ans plus tard, au CNID.
Dans son exil forcé au Sénégal, Victor ne vivait, ne pensait que pour le Mali. Ce soir du 9 janvier 1988, il nous mit en garde contre certaines dérives, certaines alliances pour éviter des échecs douloureux à la lutte de notre peuple. Ces craintes hélas se sont avérées justes. Elles expliquent le dérapage que nous connaissons depuis 30 ans ! Merci Victor pour cette voie de dignité, d’amour pour la patrie, de courage qui a éclairé, façonné ta vie, tes relations et qui a donné un sens à l’existence individuelle et collective de tant de jeunes, de tant de Maliens !
A ton épouse Aminata Konaté Sy notre camarade et ma collaboratrice au ministère de la Culture, à tes enfants, à ta famille, à tes nombreux amis, je présente au nom de Espoir Mali Koura, EMK, nos condoléances. Que la terre te soit légère !
Cheick Oumar Sissoko
21 mars 2023
Le Challenger