Cheick Mohamed Chérif Koné, Président de l’Association Malienne des Procureurs et Poursuivants : «Toute la responsabilité du retard dans la tenue du procès d’Amadou Haya incombe au seul gouvernement du Mali»
Le peuple et l’ensemble de la communauté internationale attendent avec impatience le jugement du dossier contre Amadou Haya Sanogo et autres, considéré comme un dossier brûlant pour les acteurs de la justice. Des voix s’élèvent de plus en plus pour attribuer à la justice, notamment aux procureurs, le retard dans la tenue du procès. Assumez-vous cela en tant que membre de l’Association internationale des Procureurs et Poursuivants?
Je dirais que la justice assiste impuissamment à une démonstration de force de la part des autres pouvoirs. Ce que je ne trouve pas logique dans la mesure où ils n’ont pas pu résister à la pression internationale pour l’ouverture des poursuites.
Si ce dossier est brûlant, il ne l’est que pour le politique, mais non pas pour les magistrats. C’est un dossier criminel comme tout autre que la justice est tenue de traiter sous le seul angle du droit et non en fonction des considérations politiques ou partisanes, auxquelles d’ailleurs les magistrats sont étrangers. Les faits visés dans les actes de poursuite et d’accusation restent des infractions relevant de la seule connaissance des juridictions de l’ordre judiciaire.
L’AMPP n’a jamais été indifférente à la souffrance de cette procédure. Dans les Etats où des associations similaires sont reconnues et libres d’exercer leurs activités, elles apportent leurs conseils, expertises et assistance aux pouvoirs publics dans l’amélioration du système de justice pénale, conformément aux principes reconnus universellement, comme garantissant au mieux les droits de l’Homme tels que définis par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Plus habitués aux associations de subsistances, manipulables à souhait, les pouvoirs publics semblent encore sous le coup de «la peur de l’inconnue», dans ses rapports avec l’AMPP, en dépit de toutes les garanties données par l’AIPP, le ministère français de la Justice et l’OIF sur la pertinence et la justesse des objectifs poursuivis qui sont des plus positifs et constructifs.
Dans le cadre du partenariat de principe, se fondant sur le principe du délai raisonnable dont le respect s’impose à tous, l’association n’a cessé d’attirer l’attention du département de la Justice sur les enjeux et les conséquences liés au retard injustifié dans l’organisation de ce procès, le dossier étant en état d’être jugé.
La voix des défenseurs des droits de l’Homme et la pression internationale aidant, le gouvernement décidait d’organiser une session spéciale d’assises délocalisée à Sikasso. La cause a été renvoyée contre toute attente, pour des raisons diversement appréciées.
Après une longue attente et suite au constat d’un endormissement du dossier, l’association a encore attiré l’attention du Médiateur de la République, sur cet état de fait assimilable à des atteintes aux droits fondamentaux des justiciables. Cela à travers des contributions écrites versées à l’EID.
À présent, le dossier est dans les secrets du gouvernement qui entretient un silence accusateur des magistrats qui pourtant sont près à assumer leurs responsabilités.
Où pourrait-on situer les causes du retard dans la tenue du procès d’Amadou Haya Sanogo, que des défenseurs des droits de l’homme qualifient de déni de justice ?
Comme expliqué plus haut, toute la responsabilité du retard dans la tenue du procès d’Amadou Haya et autres, incombe au seul gouvernement de la République du Mali.
Ce dossier brûlant pour le politique n’a rien de spécial ou de «sorcier» pour les magistrats. Il aurait dû connaître un dénouement rapide et salutaire si la volonté du gouvernement y était. C’est à lui d’en assumer la responsabilité, devant l’opinion publique nationale et internationale et non à la justice d’y répondre.
Les ressentiments d’impatience, d’impuissance et de désapprobation à l’endroit des acteurs de la justice ne sont autres que les conséquences de l’implication de l’exécutif dans l’affaire.
Certes la Justice est indépendante. Toutefois, c’est au Pouvoir exécutif, détenteur de tous les moyens de l’Etat, de la mettre dans les conditions nécessaires à son fonctionnement, dans le cas présent, à la tenue de ce procès très attendu. Les procureurs, encore moins les magistrats du pays, ne sont comptables de cette situation qui se passe de commentaires.
Les poursuites ont été diligentées ; l’information judiciaire ouverte a été conduite jusqu’à terme ; l’arrêt de renvoi devant la cour d’assises est effectif ; les magistrats du siège sont prêts pour l’instruction définitive du dossier. Le hic : le politique qui n’a aucun rôle à jouer dans la conduite du procès, n’est pas encore prêt. Quoiqu’il en soit, les magistrats devraient trouver le courage et la force nécessaire pour vaincre cette résistance en faisant entendre le respect du principe de la séparation des pouvoirs.
Quels seraient les obstacles juridiques pour la tenue de ce procès tant attendu ?
Les obstacles résideraient dans l’imaginaire du politique. Là aussi, je ne vois pas de raisons dans la mesure où les dirigeants actuels n’étaient pas aux commandes du pays au moment des faits. Il n’y a pas d’obstacles juridiques. Toute la difficulté tient de la politisation de cette affaire qui, à tout point, reste strictement judiciaire.
L’Etat étant bien en place avec toutes les institutions républicaines fonctionnelles, et bénéficiant en plus de l’accompagnement de la communauté internationale, les conditions sont réunies pour permettre la tenue de ce procès. Il appartient à chaque institution de prendre ses responsabilités face à l’histoire et dans l’intérêt du peuple, dans le respect de la séparation des pouvoirs.
Des sources proches du gouvernement, le dossier n’était pas en état pour être jugé lors de la session de Sikasso. Qu’en dites-vous ?
Il n’appartient pas à un gouvernement de se prononcer sur l’état d’être jugé d’un dossier judiciaire, dans le cadre d’une démocratie fondée sur la séparation des pouvoirs. Les assises de Sikasso ne seraient pas programmées si les magistrats avaient estimé que le dossier n’était pas en état d’être jugé.
Les faits visés se rapportent aux meurtres prémédités. Les rapports des organisations internationales de défense des droits de l’homme et de la lutte contre l’impunité parlent d’exécutions sommaires, de disparitions forcées précédées d’actes de barbarie, de traitements, cruels, inhumains et dégradants. Ces rapports ont été établis sur la base des documents fournis par l’Association Malienne des Droits de l’Homme et des enquêtes menées sur le terrain. Dans pareille procédure, l’identification des victimes importe peu et n’a aucune incidence sur la marche de l’action publique répressive.
Il suffit que la preuve soit scientifiquement établie que les victimes étaient des personnes vivantes au moment des faits, dans le cas d’espèce, que les ossements découverts dans les charniers sont des ossements humains.
Ces étapes étant franchies, il s’agit de situer maintenant les parts de responsabilités, à travers un procès équilibré, devant une juridiction compétente régulièrement constituée, les accusés restant sous la présomption d’innocence tant que leur culpabilité n’aura pas été établie.
À propos des assises de Sikasso, la réalité est que le gouvernement voulait embarquer la Justice dans une parodie de justice, en vue de se donner une certaine image aux yeux de l’opinion. Le renvoi n’était que la conséquence logique de l’impréparation desdites assises, entres autres : délocalisation brusque du procès sans que des dispositions suffisantes ne soient prises ou même envisagées pour la sérénité et les commodités des acteurs de justice impliqués dans le procès ; des parties civiles et des témoins inquiétés laissés en proie aux menaces des sympathisants des mis en cause ; couverture médiatique de l’évènement autorisée pour les seuls médias d’Etat ; mesures de sécurité insuffisantes, etc.
Dans de telles conditions, pour ne pas cautionner la surprise de sa bonne foi par l’exécutif, la Cour n’avait d’autre choix que d’accéder à la demande de renvoi présenté par le Ministère public. Sans même cette demande, l’examen de la cause serait renvoyé. Le problème se situe à la mise au sommeil du dossier depuis.
Quelles pourraient être les conséquences de ce retard dans la tenue du procès ?
Outre l’image du pays et la démocratie qui sont atteintes, l’intrusion de l’exécutif à un tel point dans la conduite d’une affaire strictement judiciaire, est une atteinte à la séparation des pouvoirs. Par ailleurs, l’on est à la limite de l’entrave au bon fonctionnement de la justice.
Aussi, ce sont les droits fondamentaux de l’Homme qui en souffrent en ce sens que le droit à la justice est fondamental, de même que le respect du délai raisonnable qui lie les magistrats et le gouvernement. Il est fort dommage que nous soyons dans un Etat de droit où des violations les plus graves des droits se passent sous silence, sans que leurs auteurs en répondent.
L’implication du politique dans ce dossier a donné, à plus d’un, l’impression d’une démarche visant à étouffer les victimes, en les faisant jouer à l’usure. La démarche ne sert pas non plus les accusés présumés innocents, lesquels ont intérêt que la cause soit jugée dans un délai raisonnable. Ces excès devraient, à mon sens, faire appel à l’intervention de la Cour constitutionnelle.
Au cas où le Mali ne serait pas en mesure d’organiser ce procès pour diverses raisons, que se passerait-il ?
Au vu de l’état très avancé de la procédure et dans le contexte qui est le nôtre, un tel postulat, qu’il convient de considérer comme une hypothèse d’école, n’est plus envisageable. La volonté affichée par le peuple à tous les niveaux est la tenue du procès. Le gouvernement a déjà donné l’assurance à la communauté internationale intéressée par les faits, que le pays dispose d’un système solide de justice pénale performant.
Toutes les conditions étant réunies pour y aller, il n’y a pas lieu de nourrir des craintes ou des inquiétudes à l’organiser dans les conditions de sécurité et de transparence requises.
C’est dire que cette affaire est très suivie pour ne pas être jugée. L’ensemble de la communauté internationale, les organisations internationales des procureurs, la Cour pénale internationale, veillent à cela aux côtés du peuple malien. Les rapports de l’AMPP sont jugés édifiants.
Le gouvernement doit s’y atteler en se détachant d’abord de ce dossier judiciaire pour permettre à la justice d’accomplir sa mission au nom du peuple et dans l’intérêt de toutes les parties. Le salut étant à ce prix, l’AMPP y veillera et s’assumera conformément aux directives de ses partenaires.
Propos recueillis par Sinaly KEITA