Cette contribution de Madani Tall sur la question du Fcfa a été publiée dans le quotidien gouvernemental sénégalais, le Soleil, du 28 décembre 2022. Une année après, le débat sur le maintien du Fcfa dans nos pays ressurgit à la faveur de la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Ce qui nous pousse à publier ladite contribution afin d’éclairer la lanterne de nos lecteurs.
Grâce au Cfa, alors que le reste de l’Afrique en plus de la crise économique subit une crise monétaire des plus violentes, les zones Uemoa et Cemac sont protégées de la hausse du dollar qui déstabilise des pays comme le Nigéria, le Kenya et l’Éthiopie.
Le Ghana est en cessation de paiements. Depuis une semaine, le Fmi est à son chevet, l’inflation y est de 50% et le taux d’intérêt pour un prêt de 27%, l’argent y a perdu la moitié de sa valeur, le prix de l’essence s’est multiplié par deux et les réserves de change ont fondu comme neige au soleil.
Pourtant les Ghanéens ne sont pas moins bons gestionnaires que nous, au contraire, mais simplement le Cédi n’est pas protégé comme le Cfa contre la hausse du dollar. Résultat : le Ghana ne peut payer sa dette et prévoit de troquer son or contre du pétrole.
Au risque de désillusionner les partisans de la souveraineté monétaire, le Cédi ghanéen est imprimé par la société anglaise DeLaRue, qui imprime l’argent d’une centaine de pays. Ainsi, il était ironique d’entendre Kadhafi parler de souveraineté monétaire alors que lui-même a toujours fait imprimer son dinar par DeLaRue.
La monnaie, une question de bon sens
En 1975, le Rwanda a quitté DeLaRue, non pour produire sa propre monnaie, mais pour l’allemand Giesecke. Même la France ou l’Allemagne n’ont pas de souveraineté monétaire, qui est le privilège d’un seul pays au monde : les États-Unis d’Amérique, dont la banque centrale décide ce que vaudront les devises du reste du monde en jouant simplement avec son taux directeur.
Ce qui interpelle chez la plupart des génies parlant du Cfa, c’est le manque de connaissance économique. Cela conduit à considérer la monnaie comme une affaire de cœur alors qu’il s’agit d’une question de bon sens.
Ainsi, on entend « oui, mais nos réserves de change sont en Europe », comme si les réserves du Ghana n’étaient pas à la Banque fédérale de New York. Tous les pays ont l’obligation de garder des réserves de change pour financer leurs importations. Exemple : le Mali exporte du coton pour 500 milliards, on le paye en dollar. Le Mali importe du pétrole pour 600 milliards, il le paye en dollar.
Alors, pour ne pas perdre en changeant son argent trois fois, le Mali laisse une partie de la vente du coton en dollar pour payer le pétrole en dollar. Et comme le Mali importe plus qu’il n’exporte, qui compense ? Dieu merci, nous sommes dans la Bceao et la Côte d’Ivoire qui, elle, exporte plus qu’elle n’importe compense notre couverture grâce au Cfa puisque nous avons une caisse commune…
S’instruire avant d’être expert
Alors, commençons d’abord par produire ce que l’on consomme. Le pays est suffisamment dur comme ça, heureusement que l’on n’a pas en plus une dévaluation monétaire comme nos frères ghanéens. Dieu veille. Lorsqu’il est conseillé de s’instruire avant d’être expert, les gens se fâchent. Résultat, nous avons des savants parlant de choses qui n’existent pas.
Ainsi, beaucoup de commentateurs du FCfa affirment encore sans rire : « ce qui me dérange, c’est le système du compte des opérations », alors qu’ils ne savent même pas ce que c’est. Et surtout, ils ignorent que ce compte n’existe plus.
La Bceao ne dispose plus de compte d’opérations auprès du Trésor français depuis janvier 2020. Ensuite, ils affirment doctement « nous sommes obligés de garder 50% de nos réserves en devises au trésor français ». Cela aussi est faux, puisque depuis 2019, la zone Uemoa place ses réserves de change où elle veut. Ou en se fâchant « pourquoi doit-on accepter un administrateur français à la Bceao » ? Or, les administrateurs français à la Bceao et à la Commission bancaire de l’Uemoa sont partis depuis 2020. En nouchi on dit : « tu es fâché contre un gars qui a béou depuis 2020 ».
Ainsi, beaucoup discutent sans prendre la peine de s’informer. Il y a eu toutes ces réformes, ils ne sont pas informés et continuent à s’agiter. Ils ignorent surtout ce que ces réformes nous ont coûté. Le retrait de nos devises du Trésor français, nous fait perdre environ 60 milliards par an, incluant les intérêts que nous versait la France (pour elle, c’est bon débarras).
Au lieu, comme avec ou sans la France nous sommes obligés par les règles de la finance internationale de maintenir des réserves de changes, nous devons maintenant payer des frais à des prestataires privés pour placer nos réserves sur des emprunts émis en devises internationales, des prêts à l’Amérique à l’Europe ou aux institutions internationales, sans compter les pertes que nous ne manquerons de subir dans ces transactions…
Garantir notre monnaie avec l’or du Mali
Le reste est déposé dans des banques commerciales internationales. Au Japon, on appelle cela Hara-Kiri ou Seppuku. Aujourd’hui, la seule aide que la France continue à accorder est la garantie de convertibilité illimitée de la monnaie qui permet d’échanger des Cfa en euros ou en or, quelle que soit la situation. Les champions de littérature devenus économistes peuvent dire que cela aussi nous n’en voulons plus. Ainsi, nous irons garantir notre monnaie avec l’or du Mali à la Banque d’Angleterre, de Russie ou ailleurs…
La France n’attend que cela pour ne plus avoir à se porter caution solidaire de notre monnaie. Bienvenue dans le monde réel. Pour conclure sur le nom de la monnaie, nous pouvons l’appeler Uem ou Uemoa pour ne plus être traumatisés par le mot Cfa. Car, comme l’a dit Deng Xiaoping : « Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape la souris, c’est un bon chat ». Dieu veille.
Madani TALL
NB : le chapeau et les surtitres sont de la Rédaction.
Le Wagadu