Camps des déplacés du centre à Bamako : L’enfer sur terre !
Entre partir ou mourir, les Peulhs du centre du Mali ont fait le premier choix laissant derrière eux les débris de leurs maisons, vivres et bétails. Bras ballants et éprouvés par la perte d’êtres chers, ils ont effectué un long voyage dans des conditions très difficiles, pour trouver refuge dans les parcs de bétails aux alentours de la ville de Bamako où ils se couchent et se réveillent au milieu des animaux. Ces déplacés peulhs, majoritairement des vieux, des enfants et des femmes, manquent de tout et souffrent énormément dans une indifférence totale généralisée jusqu’à une date récente . Pour s’imprégner de leurs conditions de vie, notre équipe de reportage s’est rendue sur les camps de Faladié Grabal et Niamana Grabal, le jeudi 28 février 2019.
Le camp des déplacés du centre de Faladié est enfoui dans le parc de bétails du quartier. Pour y accéder, il faut d’abord se faufiler entre les animaux pour joindre le tas d’ordures qui abrite le site. Ici, le visiteur doit avoir un courage de lion pour faire face aux odeurs piquantes du tas des déchets en état de consumation permanente.
Sur place, les déplacés cohabitent avec les animaux dans une insalubrité béante et dans la précarité totale. Bref, malgré la distance qui leur sépare du centre du pays où les armes crépitent, les déplacés ne se sentent toujours pas à l’abri. L’inquiétude est sur tous les visages des occupants en quête d’assurance.
Selon Housseni Moumini Diallo, venu de Bankass, entre Bamako et le centre du Mali, la différence est très petite. « En voulant sauver nos vies des coups de feu des chasseurs traditionnels, nous nous sommes livrés à un autre type de bourreaux (la faim et la maladie) qui risquent de nous emporter tous. Ici, les gens dorment presque dehors au milieu des animaux, des ordures et à même le sol. Nos enfants sont permanemment malades et la faim nous torture au quotidien. C’est vrai que le gouvernement fait de son mieux, mais notre cadre de vie met tous ses efforts à l’eau », signale le sexagénaire qui, après cinq mois de présence à Bamako, porte encore le seul et même boubou ramené de son village natal dans le cercle de Bankass.
Le choix, selon ce vieux, de venir à Bamako situé à 671 km de chez lui plutôt qu’ailleurs a tout son sens. « C’est pour un peu de soulagement et d’assurance auprès des plus hautes autorités du pays. Au-delà, les interpeller à trouver une solution rapide à la crise qui continue d’endeuiller nos familles et d’affamer nos villages », lâche notre interlocuteur, visiblement insatisfait de la réponse des autorités maliennes à ses attentes.
Construits à partir de déchets, des bouts de toiles et des restes de nattes et majoritairement sur une superficie de moins de quatre mètres pour 10 personnes, les dortoirs des déplacés sont à refaire au quotidien pour leur donner un peu de résistance face au vent. Et ce travail est effectué par les quelques rares vieilles personnes parmi les déplacés.
Mieux, explique Fatoumata Diallo, les habitants du camp souffre de manque toilette.
A l’en croire, les quatre toilettes du site sont une propriété privée. « Il faut débourser la somme de 50 F CFA pour y accéder. Vu que tout le monde n’a pas les moyens de payer cette somme à chaque besoin, beaucoup d’entre eux décident d’aller se soulager à l’air libre », regrette notre interlocutrice.
Arrivé, il y a deux mois dans le camp, Sadio Diallo, un vieillard de 72 ans, qui a fui les chasseurs traditionnels avec 20 membres de sa famille en laissant derrière lui ses deux enfants adultes, vit dans l’embarras total entre rester ou repartir mourir sous les balles de l’ennemi.
Depuis son arrivée, le vieux n’a pas les nouvelles de ses deux enfants restés au village pour surveiller les dizaines de têtes de bétails laissées sur place. « Je traverse la période la plus difficile de mon existence. Je suis venu à Bamako pour sauver des vies, celles de mes petits enfants et leurs mères. Mais, vu notre condition de vie ici qui n’a rien à envier à celle d’un chien mourant, je risque de tout perdre. Ma douleur est grande de voir mes petits enfants souffrir de faim et de maladie sans que je puisse faire quelque chose. Je pensais pouvoir les sauver en les amenant à Bamako. Mais, je crains de ne pas pouvoir le faire. Vraiment, je ne sais plus quoi faire. Je suis partagé entre rester et repartir dans mon village pour mourir au moins dans la dignité », dit le vieux avec beaucoup d’amertume et de tristesse.
A notre passage, le site de Faladiè Grabal comptait 483 adultes et 203 enfants de moins de 15 ans. Mais à en croire les agents de la Direction régionale du Développement social, presque chaque semaine, le site accueille de nouveaux déplacés.
Le passage de notre équipe de reportage a coïncidé avec celui de la chanteuse malienne Babani Koné. Accompagnée par son gendre, le rappeur Tal B, elle était venue exprimer sa solidarité aux déplacés. Pour la circonstance, la chanteuse n’est pas venue les mains vides. Au cours de la visite, sa fondation a procédé à une remise des draps et des accessoires sanitaires aux femmes déplacés. Selon l’artiste, c’est un devoir pour tout Malien de se montrer solidaire à l’endroit d’un autre Malien. « La solidarité n’est pas l’affaire des seuls riches. C’est l’affaire de tous, qu’on soit riche ou pauvre. C’est l’intention qui compte. Le Gouvernement a fourni beaucoup d’efforts. Mais, ce n’est pas suffisant. Il faut que chacun contribue à l’élan de solidarité. J’invite tous les Maliens à venir faire un tour sur le site. Cela les aidera à mieux parler avec leur cœur en vue d’entreprendre les actions nécessaires au profit de ces éprouvés de la vie », a lancé Babani Koné.
Contrairement à Faladié, le camp de Niamana est d’apparence un peu plus organisé ; les occupants ont eu droit à des tentes construites par la Direction régionale du Développement social du District de Bamako. Là, le camp est installé à l’entrée du parc des bétails et non au milieu des bêtes comme à Faladiè.
A en croire Issiaka Dicko, agent à la Direction régionale du Développement social du District de Bamako, la prise en charge des 125 occupants du camp (chiffre au moment où nous passions) en eau, aliments et en soins est coordonnée par l’équipe d’assistance de la Direction régionale du Développement social mobilisée quotidiennement sur le terrain. Ces agents ont aussi pour mission le partage des dons venant de l’Etat et des particuliers.
Selon lui, la direction est en train de baliser d’autres espaces pour y installer des tentes.
Dans ce camp, tous les déplacés viennent du même village et partagent une marmite commune. « Jusqu’à ce jour, il n’y a pas de rupture de nourriture. Chacun des 125 déplacés arrive à avoir les trois repas de la journée. Et ici, chaque déplacé est immatriculé au niveau de l’ANAM. Ce qui leur donne droit à un soin gratuit », explique l’agent.
Le seul problème ici est que ses occupants craignent pour leur sort à l’avenir. « Je suis là, il y a plus de deux mois. Je suis venu avec 114 personnes (enfants et femmes). Aujourd’hui, nous sommes au nombre 124 personnes venus tous du cercle de Bankass », informe Aly Traoré qui fait office de porte-parole des déplacés du camp de Niamana.
Le visage toujours crispé, et loin de son Bankass natal (une ville qu’il n’avait jamais quitté), les souvenirs des circonstances qui l’ont contraintes à quitter son village Sadièwro restent toujours intacts. Le voyage vers ce souvenir est toujours douloureux. Il aimerait retourner dans son village, mais à condition que la boite de Pandore soit refermée.
« Bamako est comme une prison pour nous. Ici, nous sommes désœuvrés et nous ne contribuons pas efficacement à la construction de l’édifice national. Nous voulons retourner chez nous même sachant que tout est à refaire. Mais, ce n’est pas ce qui nous fait craindre. Nous craignons pour notre survie et celle de nos familles. Malgré tous les efforts pour nous soulager, nous avons le sentiment d’être à l’aventure », interpelle le vieillard.
Youssouf Z KEITA