Bouréima Allaye Touré, Président du Conseil National de la Société Civile sur la crise sociopolitique : « C’est regrettable ce que nous vivons aujourd’hui, personne ne peut remplacer une vie humaine… »
Le Mali traverse, aujourd’hui, une crise sociopolitique. Le mouvement du 5 juin, qui exige la démission du président de la République, est passé à la vitesse en décrétant la désobéissance civile. Durant le week-end, lors des manifestations, 11 manifestants sont morts. Selon Bouréima Allaye Touré, le président du Conseil National de la Société Civile( CNSC), « c’est regrettable ce que nous vivons aujourd’hui.» « La solution que je préconise et que je préconiserai toujours, c’est le dialogue réellement », a indiqué le président du CNSC, lors d’un entretien qu’il nous a accordé, hier, mardi 14 juillet 2020.
Le Républicain : Que pensez-vous de la situation sociopolitique actuelle du Mali ?
Bouréima Allaye Touré : c’est regrettable ce que nous vivons aujourd’hui. Nous, en tant que société civile, avons tout fait pour qu’on n’en arrive pas là. Les raisons sont simples. Quand on a senti que la situation qui commençait à se corser, nous avons attiré l’attention de toutes les citoyennes et de tous les citoyens en faisant une déclaration, en donnant les constats majeurs qui risquent d’amener à cet embrassement, à savoir les élections législatives, l’arrêt de la Cour constitutionnelle et les revendications sociales, le gouvernement d’ouverture.
Nous avons appelé chaque acteur à plus de dialogue et invité le président de la République à réunir les conditions du dialogue. Suite à cela, nous avons continué à savoir quels sont les points des convergences; les points de divergences; ce qui fait l’objet de rejet, d’acceptation. Nous avons démarché la mouvance présidentielle, le M5-RFP, l’Imam Mahmoud Dicko, le Président de la République, y compris le Premier ministre. Nous sommes arrivés à la conclusion que ce sont ces quatre points qui créent la divergence : la dissolution de la cours constitutionnelle, de l’Assemblée nationale, la satisfaction des revendications sociales et la formation d’un gouvernement d’ouverture. Puisse que nous savons quels sont les points qui risquent de nous amener à cette situation que nous vivons actuellement, nous avons dit qu’il faut travailler, faire des propositions de sortie de crise rapidement, rencontrer tous les acteurs, discuter et les amener autour d’une table. C’est ainsi que nous avons sorti notre communiqué de presse.
Après, nous avons sorti une proposition de sortie de crise en développant chaque point qui peut être l’objet d’accord entre les parties. Nous sommes sûrs, s’ils avaient adhéré à notre proposition, on n’en serait pas là aujourd’hui. Car dans notre accord, nous avons dit d’abord, qu’il faut mettre en place un haut conseil de dialogue composé de 30 membres (10 pour la mouvance, 10 le M5-RFP, 10 pour la société civile) pour se mettre ensemble, discuter point par point, voir ce qui est faisable, ce qui n’est pas faisable, ce qui peut être fait tout de suite, et ce qui peut être à moyen terme pour sortir de cette situation. On a envoyé cette proposition à la mouvance, au M5-RFP, à la communauté internationale (Cedeao, UA, Minusma,etc.), au Premier ministre avec toutes les correspondances qui ont suivie ces envois aux différents partenaires. Nous les avons rencontré aussi un à un pour discuter des propositions.
On voulait aller vite, avant le 10 juillet. Mais les esprits étaient très surchauffés après le renvoi de M5-RFP à la mouvance présidentielle par le président de la République. Donc, l’heure n’était plus au dialogue malgré notre insistance. Ainsi, le 10 juillet est arrivé et nous avons vécu ce que nous avons vécu. C’est regrettable parce qu’on pouvait éviter cela. Personne ne peut remplacer une vie humaine. Un Malien qui meurt en plus de cette insécurité au centre, au Nord, et ce banditisme qui tue les Maliens, c’est des Maliens de plus qui meurent. Là, nous interpellons toutes les parties devant ses responsabilités. Parce que nous avons tout fait pour éviter cette crise. Mais hélas, nous n’avons pas pu. Vous savez, ce que je veux dire, les pacifistes n’ont pas de place au Mali; ils sont très peu écoutés. Nous étions sûrs qu’on risque d’arriver à ça.
On est arrivé à ça, on n’a pas terminé, on est dans un enlisement. Comment sortir de cet enlisement ? Est-ce que la Communauté internationale, qui veut nous aider, pourra le faire? Parce que certaines décisions ne vont pas dans le sens de l’aspiration de la grande masse. Nous n’avons pas basculé d’un camp par ce que notre rôle et notre mission est d’alerter, de veiller, et de faire en sorte qu’on n’arrive pas à ce que nous sommes en train de vivre. Nous sommes une organisation de la société civile pour le bien-être des citoyens. Et aujourd’hui, c’est le citoyen qui est en difficulté, qui ne peut pas aller au marché, et qui ne peut même trouver 100 FCFA journalièrement pour pouvoir se nourrir. Parce que tout est à l’arrêt maintenant. On n’a jamais vécu au Mali, un mois sans gouvernement depuis l’indépendance. C’est la première fois qu’on assiste à cela. Prions tous pour que le bon esprit vaille, pour que les uns et les autres se ressaisissent, pour que nous puissions dépasser cette crise. Mais, le mal est fait. Parce que les morts d’hommes sont là. On ne peut pas effacer ça.
Que pensez-vous de la destruction des édifices publics d’une part, et de la répression meurtrière d’autre part ?
Tout est regrettable. Le saccage des édifices publics n’est pas bon, ils nous appartiennent tous. Il n’y a pas un seul qui n’a pas sa part là-dans. Et si on les détruit, on doit les reconstruire. Et si on doit les reconstruire, ça passe par la contribution des citoyens. L’édifice public est sacré. Mais quand il y a des débordements, le contrôle est très difficile. C’est pour cela que nous avons voulu éviter cela. La brutalité aussi face aux manifestations est à condamner. On dit de maintenir l’ordre. On ne dit pas de brutaliser, ni de tuer. Parce que c’est des Maliens. Ce sont eux qui payent ceux qui doivent maintenir l’ordre. Si tu payes celui qui doit te tuer, c’est inexplicable. Nous devons repenser notre façon d’agir. Nous avons un seul pays : le pays. Il n’y pas deux terres, il n’y a qu’un seul Mali. Essayons de voir autour de nous. Tous nos pays limitrophes sont pratiquement en avance sur nous. Pourquoi ? Pourquoi ? Et pourtant, nous avons les hommes les plus intelligents, les plus courageux, nous avons les richesses qui ne manquent pas. Mais aujourd’hui, nous sommes à la traîne. Parce qu’on ne s’écoute pas, on ne se fait plus confiance, il y a une crise de confiance profonde, nous n’avons pas pu utiliser cette démocratie à bon escient, nous avons privilégié les intérêts personnels, nous n’avons pas privilégié les intérêts publics. Et c’est ça le problème. Il faut qu’on se ressaisisse, il n’est jamais trop tard. Et je suis sûr qu’on y arrivera même si c’est difficile.
Faut-il dialoguer avec tout le monde ?
Il ne faut pas arrêter de dialoguer. L’échange déjà est une bonne chose. Car quand ton prochain ne te comprend pas, essaie de le comprendre. Parle-lui. Et quand vous parler, vous dialoguer, vous aurez toutes les chances de voir des points de convergence et de divergence et de ramener la paix entre vous. Ça, ce sont nos sages qui nous l’ont enseignés. Amadou Hampaté Ba, qu’est-ce qu’il n’a pas dit sur ça ? Le dialogue, je vous assure, c’est de l’or. Si on l’utilise à bon escient, c’est formidable. Si nous avons pu former des empires, des royaumes qui ont résisté autant et qui sont aujourd’hui notre fierté, c’est parce qu’on a accepté le dialogue entre les ethnies, on a formé ce cousinage formidable qui a fait qu’ on est plus soudé qu’aucune autre nation en Afrique. Et c’est ça notre génie. Notre génie est sorti du dialogue. Il est important que les maliens le sache.
Quelle solution de sortie de crise préconisez-vous ?
La solution que je préconise et que je préconiserai toujours, c’est le dialogue réellement. Si elle n’est pas fait, qu’elle le soit rapidement. Il faut vraiment le dialogue entre toutes les parties, qu’on discute des questions sans ambages, qu’on arrive à des solutions consensuelles, des solutions applicables, et pour l’intérêt général et non pas pour l’intérêt individuel. Et les hommes qui peuvent animer ce dialogue sont là, ils n’attendent qu’on les sollicite. Et on doit les solliciter. Et s’ils s’invitent à ce dialogue, on ne doit pas les exclure. Parce qu’ils ont quelque chose à donner pour nous permettre de sortir de cette crise. J’en appelle vraiment toutes les parties, notamment le Président de la République étant le père de la Nation. Et j’insiste sur ça.
Quel type de gouvernement préconisez-vous ?
Je préconise un gouvernement d’ouverture où toutes les sensibilités se retrouvent qui ont une mission. Et cette mission principale pratiquement c’est la mise en œuvre des résolutions et recommandations issues du Dialogue Nationale Inclusif (DNI).Car n’oublions pas, les Maliens ont parlé, et si nous n’allons vers cette feuille de route, on ne bougera pas. Il faut que les gens soient convaincus de cela. Et que ce gouvernement prépare les élections législatives et l’élection présidentielle de 2023. Ils ont une mission formidable et nous serons prêts à leur donner les ressources qu’il faut (humaines, matérielles etc.) pour réussir la mission. L’insécurité est là, l’occupation est là. C’est une préoccupation. Mais si nous appliquons le DNI, on y arrivera.
Propos recueillis par Hadama B. Fofana