Très souvent âgées de moins de 15 ans, les aide-ménagères mineures venues de l’intérieur du pays pullulent dans le district de Bamako où elles seraient au nombre d’environ 150 000. Soumises aux pires conditions de travail et prisonnières d’employeurs en infraction avec la loi. Sous l’impulsion d’organisations non gouvernementales (ONG) qui tentent de faire respecter leurs droits, elles sont incitées à retourner dans leurs villages et, surtout, à reprendre les chemins de l’école. Un combat pas gagné d’avance.
Mariam Diarra est une aide-ménagère originaire de la région de San. Vivant au quartier de Baco-djicoroni en Commune V de Bamako, elle passe une partie de la journée à vendre des sachets d’eau potable pour le compte d’une dame. Mais elle a un plan pour l’avenir.
« Je suis fiancée à quelqu’un. Et c’est pour acheter mon trousseau de mariage que j’ai débarqué à Bamako, étant donné que mes parents qui sont pauvres ne pourront pas me le payer », avoue cette domestique de 14 ans.
Interdite d’école par sa grand-mère, Mariam ne se plaint pas trop aujourd’hui. Sa patronne la traite plutôt bien et lui offre souvent des cadeaux.
Ce statut de migrante intérieure pauvre et sans ressources, Mariam la partage avec Delphine, elle aussi originaire de San, et Batogoma, issue de la commune de Yanfolila en nouvelle région de Bougouni. La première, après avoir quitté l’école de son village pour des raisons économiques, se dit martyrisée par son employeur à Bamako. Entre travaux domestiques qui débutent à l’aube et le coucher tardif aux environs de 23 heures, Delphine se sent déjà exploitée à 12 ans.
Migrantes pauvres et sans ressources
Avec un an de plus, la seconde n’est pas mieux lotie avec son statut de vendeuse d’eau potable au rond-point de Torokorobougou et de travailleuse domestique faiblement rémunérée, l’école lui a été interdite par ses parents, selon ses dires. Mais elle rêve encore d’un avenir meilleur dans un mariage éventuel.
« Ces déplacements s’expliquent par la pauvreté des parents, le besoin pour certaines de s’offrir un trousseau, le souci de fuir le mariage précoce, l’absence de scolarisation, etc. », explique Sogona Traoré, coordonnatrice de l’Association pour la défense des droits des aide-ménagères et domestiques (ADDAD).
Le phénomène des filles mineures qui se mettent au service des adultes avec ou sans l’accord de leurs parents est devenue une réalité au Mali. Elles sont originaires des régions de Ségou (cercles de San et Bla), Mopti (cercle de Bandiagara), Kayes et Koulikoro. A Bamako, elles tombent, pour certaines, entre les griffes de femmes employeurs qui les font travailler avec une grande intensité. Et selon une étude réalisée par ADDAD avec l’ONG Educo, leurs rémunérations se situent entre 10 000 et 15 FCFA, très en deçà du Salaire Minimum Interprofessionnel (SMIG) qui de 40 000F CFA par mois, depuis février 2016.
D’après les données du 4e Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2009, 257 743 ménages identifiés dans le district de Bamako (sur un total de 286 381) emploieraient au moins une travailleuse domestique. En termes d’estimation, l’ADDAD avance un stock de 150 000 travailleuses domestiques dans la capitale malienne.
Or, il ressort de nos investigations que l’âge minimum requis pour travailler au Mali est de 15 ans. Mariam, Delphine, Batogoma et des milliers d’autres filles et garçons, en dessous de ce seuil, font le bonheur de leurs maîtres employeurs dans un système que certains n’hésitent pas à qualifier d’esclavagiste. De plus, ce phénomène est accentué par la non-application de plusieurs textes d’inspiration internationale comme la Convention de Beijing pour l’élimination de toute forme de discrimination à l’endroit de la jeune fille, le Protocole de Maputo…
Textes nationaux et conventions internationales non appliqués
En outre, l’Organisation internationale du travail (OIT) dispose de deux outils qui protègent les enfants contre l’exploitation des enfants. Il s’agit des conventions 138 sur l’âge minimum d’admission à l’emploi et au travail et 189 qui fixe dans ses articles 1 jusqu’à 13 les conditions de travail des aide-ménagères.
D’après Sogona Traoré, ces dispositions juridiques ne sont pas prises en compte par les employeurs de ces filles qui subissent plusieurs formes de violence et d’exploitation les réduisant à des objets, poursuit-elle. Des propos qui tendent à faire des bonnes dames de Bamako qui emploient ces filles mineures des hors la loi.
« Nonobstant l’existence de ces conventions ratifiées par le Mali, il y a des femmes de Bamako qui continuent d’employer des mineures sous le couvert du tutorat ou de l’adoption alors qu’une loi d’interdiction de ce type de travail existe pour les moins de 15 ans. Et ce qui rend le phénomène plus grave, c’est que ces dames instruites sont au fait de ces instruments juridiques », s’insurge la coordonnatrice de l’ADDAD.
Devant la gravité de la situation de ces filles mineures, l’ADDAD travaille en synergie avec d’autres structures qui œuvrent également pour la promotion des droits des aide-ménagères, comme les ONG « Educco » et « Enda-Mali ».
L’ADDAD bénéficie aussi de l’aide d’un spécialiste en protection assurant le suivi des jeunes filles en détresse et souvent victimes de leurs employeurs. A ce propos, des cas de violences corporelles, de viols présumés, de disparition et des refus de certains employeurs de ne pas payer les salaires des domestiques ont été recensés. De novembre 2021 à la publication de cet article, l’ADADD déclare avoir constitué au moins 84 dossiers pour lesquels des poursuites judiciaires ont été engagées pour rendre droit aux filles mineures concernées.
Un système esclavagiste ?
Ce système « esclavagiste » semble avoir des relais qui assurent sa perpétuation. Sogona Traoré, coordinatrice de l’ADDAD, indique en effet avoir découvert l’existence d’agences de placement des filles mineures à la gare routière de Sogoniko. Ces structures clandestines et donc informelles se chargent de leur trouver du travail dès leur arrivée à Bamako et encaissent ensuite les salaires en leur nom.
Auprès de l’ONG allemande Kinderrechte Africa (KIRA) et de son partenaire de mise en œuvre GRADEM (Groupe de recherche d’action droit de l’enfant au Mali), nous avons obtenu quelques indications liées à la protection et à l’amélioration du statut des jeunes filles aide-ménagères mineures de Bamako. Ainsi, 30% des filles travaillant comme aide-ménagères ont moins de 15 ans. 87% d’entre elles débutent leur journée de travail avant 6h du matin. En plus, seulement 29% des mineures aide-ménagères se situent dans la durée légale permise par la loi pour le travail journalier, soit 8 h, tandis que 74% des ménagères mineures ne bénéficient d’aucun jour de repos dans la semaine.
Pour casser ce système d’exploitation, l’ADDAD a initié un contrat de protection consistant à tirer les filles mineures de la tutelle de leurs employeurs pour les confier à des familles d’accueil. A ce jour, ajoute Sogona Traoré, cette opération concerne plus de 2000 aide-ménagères disséminées dans des familles vivant à Bamako22.
Le secours des ONG
L’accompagnement offert à ces filles de moins de 15 ans est le fruit de la collaboration entre ADDAD et Educo à travers une étude dénommée « Enquête situationnelle pour le développement de l’enfant » réalisée en 2018. Une autre partie de ce travail consiste, après avoir recensé les raisons de la migration de ces filles de l’intérieur vers la capitale, à initier des programmes de sensibilisation visant à les convaincre à deux niveaux : retourner dans leurs familles et reprendre le chemin de l’école. Un travail de persuasion qui comprend souvent des aides financières symboliques pour celles qui acceptent le défi.
Sur ce volet, d’autres programmes existent en amont visant à anticiper les déplacements de filles mineures des zones rurales vers les centres urbains. Ainsi, en avec le soutien financier de Caritas Allemagne, l’ONG Enda-Mali a formulé un programme de prévention du phénomène pour la période 2017-2019. Il couvre le district de Bamako et quatre régions (Kayes, Ségou, Tombouctou et Gao) avec comme objectif global de « contribuer à la réduction de la migration précoce des enfants au Mali. »
A travers ce programme, l’étude réalisée en 2017 par les docteurs Brema Ely Dicko et Fodié Tandjigora souligne que les filles travailleuses domestiques établies à Bamako sont des soutiens substantiels de leurs familles. Elles sont généralement considérées comme des « dures » à la tâche avec l’expérience déjà acquise dans leurs villages d’origine. Pour leurs employeurs, ces petites bonnes appelées « barakè-den » sont devenues une main d’œuvre indispensable dans des conditions illégales de travail.
Toutefois, l’étude a également montré que « la nature privée et ‘’invisible’’ des services domestiques » est un frein à l’application de la législation du travail à la majorité des enfants, en particulier chez les filles mineures concernées.
Diakalia M Dembélé
22 Septembre