Au Mali, la garnison d’Indelimane fauchée par le jihad
Le camp de l’armée malienne, construit l’an dernier par les troupes françaises, a été attaqué vendredi. Au moins 49 soldats ont été tués dans l’assaut.
Au Mali, la garnison d’Indelimane fauchée par le jihad
«Une dynamique encourageante s’est installée dans ce village situé à 200 kilomètres au sud-est de Gao.» La phrase, extraite d’un communiqué du ministère français des Armées, date de novembre dernier. Elle résonne aujourd’hui cruellement. Le village en question, Indelimane, a été le théâtre d’une nouvelle attaque jihadiste effroyable ce vendredi : 49 militaires ont été tués dans l’assaut d’une garnison des Forces armées maliennes (Fama), selon le dernier bilan du gouvernement. Le lendemain, l’Etat islamique au Grand Sahara a revendiqué l’opération.
La bataille a commencé en plein jour, juste avant midi. Une nuée de motos a encerclé la base des soldats maliens, dans le vaste désert du Nord-Est malien, sur un terrain totalement plat. «Ils ont d’abord pilonné le camp», explique une source sécuritaire à Bamako. Vraisemblablement avec des tirs de mortiers ou de roquettes, suivant un mode opératoire désormais «classique». «Puis ils ont ouvert la voie avec un véhicule piégé, avant de lancer l’assaut à proprement parler, en plusieurs endroits.» Les 80 Fama qui défendaient la garnison ont été rapidement submergés.
Zone des trois frontières
Ce week-end, les jihadistes ont publié deux vidéos tournées à l’intérieur du camp. Sur les images, ils s’y promènent librement, pillent l’équipement de l’armée malienne, communiquent au moyen de talkies-walkies. «Les assaillants parlaient le peul avec un accent toleebe», indique un travailleur humanitaire. Ils n’ont pas cherché à tenir leur position. Quand les avions de chasse français ont survolé la zone, quelques dizaines de minutes plus tard, les jihadistes s’étaient déjà «dispersés».
Les terroristes ont fui «en direction du Niger», a indiqué le porte-parole du gouvernement malien. Des indices qui corroborent l’implication de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), un groupe implanté dans la zone dite «des trois frontières» (Mali-Niger-Burkina Faso) depuis 2016. Son chef, Adnane Abou Walid al-Sahraoui, avait prêté allégeance au calife autoproclamé de l’Etat islamique, Abou Bakr al-Baghdadi. L’organisation syro-irakienne a publiquement reconnu l’EIGS comme l’une de ses branches officielles, sans qu’aucune collaboration opérationnelle n’ait jamais été prouvée entre la maison mère et sa franchise.
Il y a un mois, un autre assaut d’envergure contre une position de l’armée malienne, dans la ville de Boulkessi, près de la frontière du Burkina Faso, avait déjà coûté la vie à au moins 40 soldats. Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (le Jnim, selon son acronyme en arabe) avait revendiqué l’attaque, évoquant un bilan de «85 militaires tués». «L’EIGS et le Jnim ne sont pas des rivaux : pour les gros attentats, ils peuvent même mutualiser leurs moyens, explique Yvan Guichaoua, chercheur à l’université du Kent. Les deux organisations semblent s’entendre sur les questions de communication et leurs aires d’action respectives, même si elles se livrent une compétition sourde pour attirer de nouveaux combattants.»
«Laboratoire des Français»
Six ans après l’intervention de l’armée française au Mali pour déloger les jihadistes qui s’étaient emparés des villes du nord du pays, leur activité ne faiblit pas. Samedi, leurs mines artisanales ont semé la mort à deux reprises : à 20 kilomètres d’Indelimane, l’une d’entre elles a été déclenchée au passage d’un véhicule blindé de l’opération française Barkhane «engagé dans une escorte de convoi». Le brigadier Ronan Pointeau, 24 ans, a été tué dans l’explosion. Le même jour, «lors d’une patrouille de proximité, un véhicule Fama a sauté sur un engin explosif improvisé» près de Bandiagara, dans le centre du pays. «Le bilan est de deux morts, six blessés», a indiqué l’armée malienne.
La tragique déroute de la garnison d’Indelimane constitue un revers cinglant pour Bamako et ses partenaires internationaux. En mars 2018, les troupes françaises avaient elles-mêmes effectué les travaux de creusement et d’installation de cette «plateforme opérationnelle» censée permettre le retour de l’armée malienne dans une zone trop longtemps délaissée. Barkhane avait précisément concentré ses forces sur cette région de Ménaka, ces dernières années, pour éviter que l’EIGS ne s’enracine durablement, allant jusqu’à coopter des groupes armés touaregs locaux pour les besoins de la lutte antiterroriste. L’armée française a par ailleurs multiplié les opérations dites «civilo-militaires» de construction de puits, d’aide médicale à la population ou de donations de médicaments, suivant la stratégie du «nexus sécurité-développement» chère à Paris.
«La région de Ménaka est le laboratoire des Français, qui y ont investi beaucoup de temps et d’argent, résume Yvan Guichaoua. Il y a de fait deux modèles de gestion de la présence jihadiste : celui de Ménaka, qui repose essentiellement sur la confrontation militaire, et celui de Kidal, mis en place par les ex-rebelles séparatistes, fait de coexistence raisonnée. En termes de violences, le modèle kidalois s’avère beaucoup plus calme que celui de Ménaka.» Depuis le quartier général de Barkhane, au Tchad, où elle entame une tournée sahélienne de plusieurs jours, la ministre française des Armées, Florence Parly, a prôné lundi la «patience». «Nous mettrons du temps à vaincre ces groupes qui prospèrent sur les difficultés sociales et économiques», a-t-elle affirmé avant de marteler, comme pour convaincre ses troupes : «Barkhane ne s’enlise pas. Barkhane s’adapte en permanence.» Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a décrété un deuil national de trois jours à partir de ce lundi. Il ne s’est pas exprimé depuis l’annonce de l’attaque d’Indelimane.
Source: liberation