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Au Mali, éclaircie à Kidal et tempête à Bamako pour le pouvoir

Au moment où le Premier ministre est en visite dans le bastion de l’ex-rébellion touareg, l’influent imam Mahmoud Dicko a fait souffler un vent d’agitation dans la capitale malienne.

 

En quarante-huit heures, le chaud et le froid ont soufflé sur Koulouba, la «colline du pouvoir» qui surplombe Bamako. Le président Ibrahim Boubacar Keïta a marqué un point symbolique en dépêchant mercredi son Premier ministre, Boubou Cissé, à Kidal, la ville du grand nord qui fut le fief de la rébellion touareg. Un marqueur de la souveraineté retrouvée de l’Etat malien. Mais le même jour, dans la capitale, la convocation par la justice d’un influent imam critique du pouvoir, Mahmoud Dicko, a failli dégénérer. Son appel à une mobilisation nationale vendredi, redoutée par les autorités, a finalement été annulé in extremis.

L’ancien président du Haut Conseil islamique est devenu un acteur incontournable de la vie politique malienne. L’an dernier, le prédécesseur de Boubou Cissé, Soumeylou Boubèye Maïga, avait démissionné sous la pression des vastes manifestations organisées par ce même imam Dicko. Le chef du gouvernement était notamment critiqué pour sa gestion de la crise sécuritaire dans le centre du pays, après une série de massacres sans précédents visant la communauté peule.

Une obsession des souverainistes maliens
La visite d’un haut dirigeant malien à Kidal n’est jamais anodine. Tous les Maliens ont en tête le désastreux précédent du 17 mai 2014, lorsque le déplacement du Premier ministre d’alors, Moussa Mara, avait tourné à l’affrontement entre les rebelles touaregs et l’armée. Ce jour-là, le chef du gouvernement et les troupes régulières avaient été chassés de la cité des sables sous les balles. Une humiliation pour les autorités maliennes.

Quatre ans plus tard, Soumeylou Boubèye Maïga a été le premier à revenir à Kidal, en mars 2018, pour quelques heures. Boubou Cissé, en tournée dans la région, doit lui y passer deux nuits.

Dès son arrivée, il a rendu visite aux forces de «l’armée reconstituée», composée, selon les termes de l’accord de paix d’Alger, d’un tiers de militaires, un tiers d’ex-combattants indépendantistes et un tiers d’anciens membres de groupes armés loyalistes. Soit un détachement de 300 hommes, entrés dans Kidal il y a trois semaines avec tambour et trompettes après près de cinq ans d’absence.

Pour le moment, les soldats de l’armée reconstituée restent cantonnés et ce sont les troupes de la Coordination des mouvements de l’Azawad qui gardent la main sur la sécurité de la province. Il n’empêche, la présence de l’armée à Kidal était une obsession des souverainistes maliens, qui manifestaient de plus en plus bruyamment à Bamako ces derniers mois. En obtenant son retour, «IBK» – le surnom du Président – montre à une communauté internationale agacée par la lenteur du processus de paix qu’il avance malgré tout, et donne des gages à son opinion publique.

Ambigu
Le chef de l’Etat a désespérément besoin d’engranger des victoires rapides, fussent-elles symboliques. Si le niveau d’insécurité a baissé dans le nord du pays, le centre, lui, reste en proie aux violences. L’armée malienne a essuyé de lourdes pertes depuis l’automne et les conflits intercommunautaires continuent d’empoisonner la région de Mopti. En février, IBK a esquissé un changement de doctrine : pour la première fois, il a assumé publiquement vouloir explorer la possibilité de négociations avec des groupes jihadistes, malgré la réticence de Paris. Depuis des années, des canaux de discussions secrets étaient ouverts entre les autorités et les islamistes armés.

L’un des intermédiaires de ces négociations clandestines avait été Mahmoud Dicko, proche du courant salafiste. Au cours d’un meeting au Palais de la culture de Bamako, samedi, l’imam a posé un ultimatum aux chefs de l’insurrection jihadiste : «Je lance un appel à Iyad Ag Ghali et à Amadou Koufa [les principaux leaders des groupes ayant prêté allégeance à Al-Qaeda, ndlr], qu’ils sachent que le pays a souffert, et qu’il y a eu assez de morts et d’écoulement de sang. Toutes les guerres du monde ont connu des trêves. On ne peut pas dialoguer en continuant de faire des massacres. Au nom de l’ensemble du peuple, je les invite au dialogue et à la trêve dans les hostilités. D’ici à vendredi, s’ils ne réagissent pas, nous sortirons tous pour décréter ce qu’il y a lieu de faire. […] Si l’Etat ne nous donne pas de précisions, le peuple malien prendra son destin en main à partir du vendredi.»

«Dire la vérité»
Dans son discours fleuve, le religieux – qui fut un soutien du candidat IBK en 2013 avant de lui retirer son appui lors de sa réélection en 2018 – a également eu la dent dure contre l’exécutif malien. Ses propos enflammés, et son appel ambigu à un soulèvement populaire, lui ont valu une convocation, mercredi, par un procureur de Bamako. Mais une foule de partisans de l’imam a immédiatement encerclé le tribunal pour empêcher Mahmoud Dicko d’y être amené. L’audience a finalement été annulée.

Ce jeudi, l’imam a annoncé «surseoir» à la marche prévue pour le lendemain, officiellement sur demande d’une autre figure religieuse malienne, le très respecté chérif de Nioro, Mohamed Ould Cheicknè Haïdara. «Je ne peux rien refuser au chérif dont la demande est un ordre», a brièvement expliqué Mahmoud Dicko en conférence de presse, tout en précisant n’avoir «reçu aucune pression politique». «Je ne suis pas un va-t-en guerre. Nous ne sommes pas de ceux qui souhaitent mettre ce pays à terre, a-t-il précisé, selon le compte rendu de la presse malienne. Mais nous sommes dans notre droit de dire la vérité quand ça ne va pas.» Un geste d’apaisement qui reste lourd de menaces pour Koulouba.

Célian Macé

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