ATT et la crise du nord Mali : La gestion solitaire d’un dossier national
La situation au nord Mali, caractérisée par la multiplication des groupes armés, des attaques et une insécurité galopante, traduit les limites de l’Etat à gérer un conflit dont la solution requiert l’implication de toutes les forces politiques, de la société civile et des partenaires. Ces complications liées aux violations de l’Accord d’Alger et l’absence d’initiatives crédibles pour une solution définitive ne sont en réalité que la résultante d’une gestion solitaire du dossier du nord par le président ATT. Il est le seul à décider de tout, les autres exécutent.
Les récentes attaques de Diabaly et de Aguelhok par des groupes armés, non reconnus par le rebelle Ibrahim Ag Bahanga, présagent d’une possible multiplication des actes de ce genre, à travers la bande saharo sahélienne. Avec comme corollaire, une insécurité galopante susceptible de compromettre toute activité économique dans une vaste étendue de notre pays. A travers les dernières attaques qui ont permis aux rebelles de frapper dans le grenier du Mali, en zone office du Niger, il est possible de tirer quelques enseignements.
Le premier est l’existence d’autres groupes armés au nord du Mali, qui ne se réclament pas du chef rebelle Ibrahim Ag Bahanga et qui pourraient eux aussi poser des conditions pour déposer les armes.
Le second est lié au fait que les rebelles de tous bords, qu’ils se réclament de Bahanga ou non, sont capables d’installer la psychose de la peur, de l’insécurité, jusque dans les zones de production, vitales pour notre pays, et qui ne sont pas forcement des régions du nord.
Le troisième enseignement est que la situation s’est complètement détériorée à la suite de deux évènements : l’opposition du pouvoir à l’organisation d’une concertation nationale en mars dernier, à laquelle toutes les forces vives de la nation, les partenaires et les rebelles étaient invitée, d’une part ; et l’entrée dans la danse de l’armée, le gel de la médiation algérienne, l’assassinat d’un commandant touareg de l’armée malienne, d’autre part.
C’est à partir de cet instant que beaucoup d’éléments intégrés de l’Alliance du 23 mai se sont retirés de la ville avec armes et bagages pour trouver refuge dans les montagnes. Et comme la faim peut chasser le loup des bois, on assiste à des attaques dont les assaillants ne sont pas forcement porteurs de nouvelles revendications, mais dont les actes ne sont comptables qu’à l’actif des violations de l’Accord d’Alger. Qui est garant de l’application de cet accord et qui peut-on interpeller quant à ses violations ?
Enfin, indiscutablement, le pouvoir ATT a montré ses limites dans la gestion de la crise du nord. Le président en a fait une gestion solitaire, même s’il a officiellement donné mandat au ministre de l’Administration territoriale et des Collectivités locales, Kafougouna Koné. La réalité est tout autre : le ministre est un exécutant. Résultat : l’hémiplégie totale, le blocage et la mort du dialogue. Place aux armes, ceci semble être le mot d’ordre au nord aujourd’hui, entre l’armée et les rebelles.
Selon une source bien informée, le Général Kafougouna Koné a été tenu à l’écart de toutes les discussions concernant la médiation libyenne, en début d’avril et qui ont abouti à un protocole d’entente sans lendemain. Cette médiation libyenne porte la marque personnelle du président ATT, qui y a associé ses proches collaborateurs dont le Général Bréhima Coulibaly qui est son Chef d’Etat major particulier, ainsi qu’un de ses chargés de mission Cheick Amadou Kanté dit Bany et qui est le point focal des investissements libyens au Mali. Un conseiller de Kafougouna aurait également pris part à la rencontre de Libye. Ce n’est que plus tard que le ministre Kafougouna Koné apprendra de bouche à oreille qu’il avait été maintenu à l’écart de la médiation libyenne, pour préserver les relations avec les Algériens.
Ainsi sans autres formes de procès, tous ceux qui étaient associés de près à la facilitation algérienne ont été délibérément maintenus à l’écart lors de la médiation libyenne. A quel jeu joue le président ATT, en organisant son entourage immédiat en pro algériens et pro libyens ?
Pendant ce temps, l’Etat est en panne d’idées et ne communique point. Le président de la République, chef de l’Etat, alors que l’armée malienne est en mouvement depuis plusieurs semaines, une situation assimilable à une guerre, n’a jusque là pas songé à s’adresser à la nation malienne qui reste l’oreille tendue vers les médias étrangers.
Sur le terrain de la communication et des initiatives, l’Etat malien laisse toute initiative aux rebelles, qui eux chaque fois proposent. La dernière fois, c’est Bahanga qui propose une trêve d’un mois, l’ouverture d’une enquête indépendante sur l’assassinat du commandant Barka et d’un civil, tous deux touareg, et l’allègement du dispositif militaire de la zone de Kidal.
De son côté, la commission dirigée par Mohamed Ag Erlaf, qui sert tant bien que mal de courroie de transmission entre le pouvoir et les rebelles, elle aussi se fait plus présente sur le terrain, même si aux yeux de certains observateurs avertis, elle n’a aucun crédit. La semaine dernière, le président ATT n’a pas manqué de renvoyer ses membres chez Kafougouna Koné.
Le gouvernement, quant à lui, de la primature au ministère de l’Administration territoriale et des collectivités locales, reste de marbre, sans aucune initiative pour une sortie de crise. Le dialogue est en réalité au point mort depuis le retrait de l’Algérie de la médiation. Heureusement que cette médiation est en voie de rétablissement.
Mais à supposer que le médiateur algérien reprenne sa place dans les négociations, à cela, il faut nécessairement joindre l’implication de toutes les forces vives de la nation, comme les élus de Kidal, les notables et la classe politique qui en ont déjà donné le ton à travers la prise de parole de deux personnalités politiques. Ces connaisseurs du dossier du nord sont Tiébilé Dramé, leader de l’opposition et président du Parena, et Soumeylou Boubèye Maïga de l’Adema, tous deux anciens ministres. C’est dire que le médiateur a besoin du soutien de tous pour réussir sa mission : gouvernement, classe politique, société civile et partenaires techniques et financiers .
B. Daou