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Algérie : où en est le hirak ?

ANALYSE. Entre les offres de dialogue du pouvoir et les divisions de l’opposition concernant les suites à donner au hirak, la scène politique apparaît incertaine.

Dans moins d’un mois, le hirak, mouvement populaire de contestation en Algérie, bouclera un an d’existence. La vague de protestation inédite qui a emporté le régime Bouteflika, poussé à la démission en avril 2019 sous la pression de la rue et du haut commandement militaire, a subjugué le monde entier par son civisme et son pacifisme. Mais la poursuite des manifestations, les vendredis et mardis, avec moins de participation par rapport au début du hirak en février-avril 2019, n’a pas pour autant empêché les autorités de suivre leur propre feuille de route. La tenue de la présidentielle le 12 décembre dernier et l’élection, avec une forte abstention, d’Abdelmadjid Tebboune a été vécu comme une frustration chez les activistes du hirak, « un coup de force », selon certains partis de l’opposition.

Le calendrier de Tebboune
Depuis, trois dynamiques animent la scène politique algérienne : celle amorcée par le pouvoir, celle des animateurs du Pacte de l’alternative démocratique (PAD) et celle d’une opposition prête au dialogue avec les autorités. Ce qui est intéressant à signaler, c’est que les trois acteurs cités se revendiquent, chacun à sa manière, du hirak. Le président Abdelmadjid Tebboune, lors de sa rencontre avec des responsables de médias le 22 janvier, a assuré qu’il s’était « engagé à satisfaire toutes les revendications du hirak, y compris l’amendement de la Constitution et des lois, outre le changement radical des fondements de notre démocratie en Algérie et l’édification d’une démocratie réelle, la lutte contre l’exclusion, sous toutes ses formes, la lutte contre la corruption et la moralisation de la société ». La révision de la Constitution, qui interviendrait avant l’été, et l’amendement de la loi électorale sont au centre des réformes politiques que veut lancer le nouveau président. L’organisation des élections législatives, vers octobre-novembre 2020, et des locales avant la fin de l’année complètent le calendrier du pouvoir en place.

Cet agenda est catégoriquement rejeté par les partis et personnalités de la société civile constituant le Pacte de l’alternative démocratique. « La rupture avec le système en place exige l’organisation d’une période de transition démocratique à même de satisfaire les aspirations légitimes du peuple algérien », réclament les signataires de la résolution finale des premières « assises nationales pour l’alternative démocratique et la souveraineté populaire » tenues au siège du RCD (opposition laïque) à Alger le 25 janvier. Les partis de cette alliance (RCD, FFS, MDS, UCP, PT, PLD, et PST) préparent une « conférence nationale indépendante du système », rejetant tous les appels du dialogue avec les autorités.

Aller plus loin contre le régime
La position du PAD a été critiquée par le politologue Addi Lahouari, qui considère que le texte publié par le PAD à l’issue de ses assises serait « largement insuffisant et […] pèche par naïveté ». « La demande de la population, telle qu’elle s’exprime dans les revendications scandées les mardis et vendredis, est de transférer le pouvoir souverain des mains de la branche militaire du pouvoir exécutif vers la branche législative issue des urnes. Pour cela, il ne faut pas une modification de la Constitution actuelle, il faut envisager les modalités pratiques de son application effective », explique le politologue. À ses yeux, le pouvoir se satisfera aisément de la « charte » du PAD qui exige des réformes déjà inscrites dans la Constitution. « Tous ces principes sont dans la constitution. Les généraux algériens et Tebboune signeront ce texte avec les deux mains », écrit Addi Lahouari. Néanmoins, les deux agendas, celui du pouvoir et celui de l’opposition au sein du PAD semblent inconciliables. D’autant que cette dernière ne reconnaît pas la légitimité même d’Abdelmadjid Tebboune comme président.

C’est dans ce contexte de blocage qu’interviennent des voix qui tentent de transformer l’élan du hirak en projet politique au-delà de toute représentation ou ambition partisanes. « Soit on accepte d’aller vers le dialogue et essayer d’imposer une réalité nouvelle, soit on s’arc-boute dans une position extrême et on garde la même radicalité. Il est important qu’il y ait un pont entre les deux rives », soutient Soufiane Djilali, l’opposant et président du parti Jil Jadid, qui a accepté de rencontrer Tebboune, le 14 janvier dernier, dans le cadre des consultations que ce dernier a lancées. Vivement critiqué par des activistes du hirak sur les réseaux sociaux, l’opposant a multiplié les répliques.

Renouveler la scène politique
« À Jil Jadid, nous avons toujours fait la différence entre “régime politique” et “État”. Aujourd’hui, le régime Bouteflika est bel et bien fini. Il s’est effondré. […] Les anciens relais politiques, FLN et RND, sont totalement disqualifiés. Le personnel politique des vingt dernières années est hors champ ou en prison. De ce fait, un nouveau régime politique devra être construit. Il le sera avec le courant démocrate ou… sans lui », a expliqué Soufiane Djilali à El Watan. Pour cet opposant, « la seule et unique façon de faire représenter le hirak, c’est de canaliser les nouvelles énergies citoyennes vers un travail organisé et structuré. Cela signifie que le développement des partis politiques ou la création de nouveaux dans un esprit démocratique est à l’ordre du jour.  » L’idée est donc de redéployer l’énergie du hirak vers l’activisme politique et partisan, une « manière de renouveler radicalement le personnel et la représentation politique », confie un cadre de l’opposition.

Une opportunité historique ratée ?
Mais est-ce trop tard ? Dans un texte qui a secoué la sphère militante et médiatique algérienne, l’écrivain Kamel Daoud revient dans Le Point sur « l’échec provisoire » du hirak : «  La transformation de la révolution en politique a été rejetée et l’idée d’une transition négociée a été confondue avec le souvenir douloureux de la trahison. On aboutit, comme le concluent certains Algériens, à la figure du “révolté assisté”, c’est-à-dire qui a besoin, sans se l’avouer, que le régime reste, comme pour mieux vivre indéfiniment l’épopée de la lutte.  » « Le hirak est aujourd’hui le plus important de nos monuments. Ce serait une erreur d’en faire un événement temporaire ou de le réduire à la fraternisation pacifique et critique du vendredi ou du mardi », écrivent les universitaires Taieb Hafsi et Mortada Zabouri dans une belle tribune sur le Radio M Post. « Mais pour qu’il soit cette autre chose qui stimule chacun d’entre nous […], il faut sortir de la vision naïve qui consiste à croire que tout peut se produire tout de suite ou que quelqu’un, puisse-t-il être président ou général, peut le réaliser ou l’offrir », concluent-ils.

Par Adlène Meddi à Alger

Le Point

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