Abdoulaye Wade, ancien président sénégalais : « C’est l’Afrique qui a perdu un de ses meilleurs bâtisseurs »
Ainsi donc petit frère, tu es parti sans bruit,
Calmement, avec le même sourire dont Allah, à ta naissance
a structuré ton visage.
Si je devais résumer ton long et dense curriculum, comportant un bloc scientifique et technologique, un bloc d’application dans les plus grandes usines de France et d’Afrique, un chemin politique parcouru aux trois quarts qui devait t’amener au Sommet de l’État, par un scrutin ouvert et démocratique, tu as été foudroyé par l’implacable Covid-19 tombé sur le monde et l’Afrique sans défense.
D’un pas de promeneur tranquille, tu t’es rendu à l’université de Dakar puis celles de Montpellier puis, en passant par l’école des sciences de l’ingénieur tu es arrivé à Paris atterrissant dans l’une des plus grandes écoles d’ingénieurs de France.
Auréolé de la gloire des diplômes des grandes écoles au sommet de l’informatique et de l’ingéniorat.
Après ce petit tour de France des grandes écoles, tu prends le temps d’aller t’exercer sur le terrain des grosses boîtes, suprêmes privilèges réservés aux surdoués, qui ont nom Péchiney, Groupe Thomson, Air Inter.
Diplômes dans la poche, éprouvé par l’expérience dans les grosses boîtes, c’est alors que tu renonces aux gros salaires pour rentrer au pays.
Alors que la plupart de tes compatriotes te voyaient atterrir dans la cour d’un ministère, non, ce n’est pas là que tu vas, mais dans la plus grande usine textile, la (CMDT). C’est une première expérience de coopération privée entre l’Afrique qui détient les ressources naturelles qu’elle n’a pas la capacité d’exploiter et le secteur privé : associations, toutes les formules sont examinées au peigne fin. C’est le temps d’observer un paysage politique compliqué. L’ingénieur, méthodique, prend le temps de venir à Dakar, faire le tour des amis, informer et prendre conseil auprès du grand frère.
J’ai admiré ta lucidité et ton choix de plonger par la grande porte derrière Alpha Omar Konaré dans l’ADEMA-PASJ
La victoire électorale acquise, Alpha Omar Konaré élu Président de la République n’hésite pas,… pour mettre de l’ordre dans un pays agité au-dessus et en-dessous ; et où tout le monde se pose la question : qui auprès d’Alpha ?
Qui va détenir le poste clé de Secrétaire général de la Présidence ?
C’est vers lui, l’ingénieur toujours souriant au calcul rapide et sûr, comme un ordinateur que s’orientent les regards aussi bien du nouveau Président que de la classe politique.
Si Soumaïla a plusieurs casquettes, c’est celle d’ingénieur qui est choisie. Il sera nommé Secrétaire général de la Présidence de la République, observatoire et grenier vers lequel toutes les mains sont tendues ; il faudra faire front à l’intérieur, à l’extérieur, regarder loin, mais aussi près, tout près, à ses pieds. Puis, comme un météore qui ne veut s’arrêter nulle part, Le Secrétaire général de la Présidence, sûr de son chemin, poursuit son destin comme s’il lui avait été tracé, il est en plein dans l’action politique.
Et, au départ du vieux briscard, Il prend les rênes de son parti l’ADEMA-PASJ dont il est le candidat naturel à l’élection à la Présidence de la République.
Le premier tour est remporté par feu Amadou Toumani Touré. Au 2ème tour, ses amis disent qu’il n’a pas regardé de près. Il obtient néanmoins l’honorable score de 35% qui a une double signification : d’une part ses amis et ses militants se sont battus honorablement, d’autre part le peuple lui a accordé sa confiance.
Il attend patiemment, fait le tour de ses amis, en Afrique et dans le monde ; il en a beaucoup.
Cette fois-ci tout le monde pensait que c’était la bonne lorsqu’au galop d’essai qu’est la campagne électorale législative il est allé se jeter dans la gueule du lion, courageux et téméraire, Chevalier sans peur et sans reproche.
Il est pris en otage. On a cru d’abord que c’était une blague qui n’allait pas durer très longtemps. Puis on a compris. Les choses sont claires : c’est une prise d’otage et il faudra négocier et payer le prix. Il est retenu par les rebelles avec de nombreux autres maliens, africains, étrangers de l’immense foule de blancs et de noirs qui l’accompagne, car les rebelles font leur choix et libèrent au compte-goutte.
Pendant sa capture sans nouvelles, ses partisans se battent et il est élu député au premier tour des législatives : ses militants ne l’ont pas oublié ; ils n’ont pas été tentés d’aller brouter dans d’autres prairies ; le peuple non plus ne l’a pas oublié aussi. Il attend patiemment et courageusement. Ses parents et ses amis s’inquiètent, mais des informations de source sûre rassurent : il est vivant. L’attente est longue : le chapelet du temps dévide et égrène ses perles.
Le 3 avril des otages sont libérés, mais Cissé n’y est pas. Parents et amis sont déçus et soucieux pour sa vie. Que veulent faire les rebelles ? Le Président I.B.K. rassure, suivi de la Croix Rouge qui assure que l’otage Cissé est vivant, en bonne santé et a pu écrire des lettres à sa famille. Toutes les nouvelles rapportées attestent de son courage et de sa propension à rassurer les autres. Tout le monde est rassuré, mais on ne sait toujours pas ce que veulent les rebelles.
Ce dont on est sûr c’est que les négociations entre les rebelles et le gouvernement se poursuivent. Les rebelles imposent d’abord la confidentialité. Ils ont la force. Ils imposent des conditions dures pour la libération des otages qui restent. Nul doute ces rebelles sont des experts, mais les négociations se poursuivent. C’est rassurant.
Le 9 octobre on apprend que les rebelles ont libéré Soumaïla Cissé, la journaliste française qui avait été capturée avec lui, Sophie Pétronin et 2 otages italiens. On apprend aussi que les rebelles ont obtenu en contrepartie : la libération de plus de 200 djihadistes et combattants par les autorités du coup d’État du 18 août 2020.
Soumaïla a retrouvé sa famille, ses alliés, mais on le sent affaibli. Les plus perspicaces sont quand même un peu inquiets. Deux mois après avoir recouvré sa liberté, on apprend qu’il est frappé par la terrible épidémie, la Covid-19. Évacué d’urgence sur Paris, mais sait-on où est l’urgence ? Lorsque les européens eux-mêmes pas ne savent pas. On choisit finalement de l’évacuer sur Paris où de gros progrès ont été réalisés sur le traitement de la covid19. On n’est pas sûr, mais il y a l’espoir. On en était-là aux supputations lorsqu’on apprend son décès le 25 décembre 2020. Comme s’il y avait donné rendez-vous avec la mort.
Les Maliens, Les Africains, ses camarades de Parti, les panafricanistes qui comptaient sur le courage, la lucidité de Soumaïla Cissé à faire avancer le projet d’États-Unis d’Afrique ont été comme foudroyés par la nouvelle.
Alors que les éternels optimistes comme moi,
Qui avons connu le multidiplômé Soumaïla Cissé,
L’avons connu et apprécié, après sa longue traversée de l’espace politique,
Chef de parti, plusieurs fois ministre au haut de l’espace national, tenant entre tes doigts d’orfèvre sûrs les finances du Mali,
Gardions l’espoir de le revoir vigoureux, le visage toujours illuminé par un éternel sourire reprendre la marche devant ses troupes et ses amis,
la Nouvelle est vraie qu’un grand Africain est parti
C’est l’Afrique qui a perdu un de ses meilleurs bâtisseurs.
Lui était arrivé sur le chantier, la truelle à la main.
C’est les autres qu’on attendait.
Source: Le Pays