-Bonjourrrrr ! Ça va madame ?
-Nséé ! Somogow bédi ?
Ai-je répondu au 1,85 m, 90 kg, dont une dizaine en pondéral. Avec un grand sourire derrière mes lunettes. Alors, les yeux ébahis, avec un sourire enchanté jusqu’aux oreilles, il me dit ceci dans notre langue.
-Hannnn, tu parles bamanan ? Tu es Malienne ? En te voyant arriver, j’aurais juré, la main sur le Coran, que tu n’étais pas Malienne !
En m’esclafant, j’ai réparti :
-Il est bien là le problème du Mali !
Il a alors rigolé, et tenté, tant bien que mal, une petite et gentille séance de «dragouille» qui, malheureusement pour lui, ne m’a en rien troublée… Euh, à vrai dire, toute marque d’attention fait plaisir. Il m’a amusée, sans plus. Tosh (son époux) veille !
Oui, dans le Mali d’aujourd’hui, on jure sur le Coran, à tout bout de champ. Comme nous dans l’enfance jurions, exceptionnellement avec conviction et sincérité, sur la «tête de nos papas, mamans». Jamais nous ne jurions pour quelque chose dont nous n’étions sûrs de la véracité. Quand nous jurions, nous étions prêts à «apporter les preuves». Et à l’époque, s’il n’y avait pas Internet, nous avions des aînés et aussi des livres autres que le Coran.
Et puis jurer, on nous l’interdisait. De nos jours, on jure, on jure, on jure ! C’est devenu l’argument premier et ultime. L’arme fatale parfois assortie à des larmes de crotale … Euh ! Jurer comme ça se fait, est très souvent destiné à :
1-Faire taire l’adversaire, par uppercut verbal.
2-S’auto-valoriser. J’ai un exemplaire du Coran. Je suis (bon) musulman.
3-S’assurer la protection, la bienveillance, la sympathie, ici-bas du groupe, de ceux dont on partage la religion.
4-Envelopper ses assertions de vérité en montrant sa connaissance religieuse.
5-Tenter de convaincre sans arguments palpables.
Aujourd’hui, j’ai de plus en plus l’impression que jurer, c’est pour se «couvrir», même quand on dit la vérité. Autre «problème» non négligeable, dans le Mali d’aujourd’hui, l’accord entre le contenu et le contenant est biaisé. Par exemple, là où j’estime que je suis un pur produit du Mali, riche de sa diversité et de sa tolérance, et que je le manifeste par mon style et mes choix ; mon style paraît dissonant, «étranger», plus qu’étrange.
Peut-être, parce que nous avons adopté sans nous en rendre compte, une mentalité uniformisante qui de plus en plus se transforme en rejet inconscient de la différence. Et nous voilà sur la voie royale vers l’intolérance. Peut-être, réaliserons-nous assez vite le danger ! Celui qui limite les humains à des étiquettes et qui empêche l’intérêt, profond, celui qui nourrit l’empathie.
Euh pas compris ? Pas grave ! Ce texte, comme beaucoup d’autres, est destiné aux quelques «illuminés» d’aujourd’hui, mais surtout à la postérité réveillée et éveillée. Cette postérité qui, après avoir échappé à moult «takapérin» (bras de fer) et autres sauts et soubresauts, se demandera ce qui a bien pu arriver à ses ancêtres pour les mener à la chute, dont eux sont les survivants…
Du Love !
KKS
Le Matin