L’auto-satisfecit du ministre de la justice Mamadou Kassogué démenti par les syndicats : La justice malienne rassure-telle réellement ?
Meguetan Infos

L’une des tares qui freinent l’émergence des pays sous-développés ou en voie de développement, demeure la mauvaise qualité de la justice. Elle ne rend pas l’environnement des affaires propice aux investissements et les citoyens au nom desquels elle est rendue ne se reconnaissent pas en ses décisions. Or sans une justice juste et équitable il n y a ni paix sociale, ni cohésion encore moins progrès. Au Mali contrairement au ministre de la justice, garde des sceaux Mamadou Kassogué, qui sans fausse modestie avait affirmé, au cours d’un point de presse et sans ambages que 72% des maliens sont satisfaits de la justice. Ne donnant pas la source du sondage encore moins les méthodes utilisées pour parvenir à ce pourcentage flatteur, le Ministre de la justice a fait une affirmation gratuite dénuée de tout fondement. Certains syndicats ont apporté un démenti cinglant à cette allégation en dénonçant une instrumentalisation de la justice et en s’opposant à des décisions qu’ils ont jugées arbitraires. C’est le cas du Syndicat des Banques, des Assurances et des Etablissements financiers, SYNABEF, qui après une première tentative fructueuse consécutive à l’arrestation de Hamadoun Bah, récidive pour demander la libération pure et simple des agents d’Ecobank incarcérés. Le Syndicat de la santé n’a pas lui aussi adouci le ton après l’arrestation du Pr Broulaye Samaké. Cet autre syndicat a eu gain de cause avec la libération provisoire du Pr Samaké, mis sous mandat de dépôt suite à un conflit foncier. Pourquoi la justice cède-t-elle facilement sous la pression des syndicats si les décisions prises sont réellement bonnes ? Faut-il désormais bomber les muscles pour faire fléchir la justice malienne ?
Ils sont des dizaines de maliens placés sous mandat de dépôt, souvent pour avoir seulement émis leurs opinions, d’autres le sont par la volonté des certains hauts placés du moment. Toutes les victimes crient haro sur la justice. Cette dernière, apparemment aux ordres ne semble pas mesurer l’impact des décisions qu’elle est amenée à prendre tant sur la paix sociale que sur la cohésion et le vivre ensemble dans un pays fragilisé comme le Mali. Chaque décision de justice mal rendue est un grand fossé qui se creuse entre elle et les justiciables, elle érode le capital-confiance et met en mal le vivre ensemble dans un pays fortement secoué par les affres des conflits fonciers, communautaires, religieux et qui est surtout en proie au terrorisme. C’est pourquoi face une décision de justice jugée arbitraire, certaines couches socioprofessionnelles voir confessionnelles optent pour la désobéissance ou le défi. Les syndicats sont les premiers à réagir par des mouvements de grève en paralysant le pays. Cette arme semble être la plus efficace car elle a permis à deux syndicats d’obtenir gain de cause, à savoir le syndicat des banques et d’établissements financiers et celui de la santé. Tous les deux ont fait fléchir les juges qui sont revenus à deux reprises sur leurs décisions en libérant purement et simplement deux agents incarcérés. Que dire de deux religieux Mahi Ouattara et Abdoulaye Goita qui ont échappé au mandat d’arrêt grâce à la grande mobilisation de leurs fidèles à venir envahir le pôle de cybercriminalité les deux jours de leurs auditions. Faute d’un tel soutien certains croupissent dans les geôles.
Pourquoi la justice cède-t-elle facilement sous la pression des syndicats si les décisions prises sont bonnes ?
En cédant facilement sous la pression des syndicats, il y a deux lectures possibles à faire, la première est que la décision de mise sous mandat l’a été pour plaire à quelqu’un, c’est cette justice qui est qualifiée de justice aux ordres , la deuxième lecture possible est que ce genre de décision prouve à suffisance que la justice n’est non seulement pas rendue au nom du peuple, mais qu’elle serait un instrument au service d’une élite, celle qui dirige pour faire taire toutes les voix discordantes. Le gros risque encouru par la justice est qu’elle se décrébilise aux yeux des justiciables et sème à coup sûr les germes de la désobéissance, voire de la révolte. Les syndicats et certains religieux puissants viennent de prouver qu’au Mali seul le rapport de force permet de faire fléchir la justice dans certaines de ses prises de décisions. En tous les cas leurs réactions face à des décisions de justice injustes et disproportionnées en dit long sur le malaise entre la justice et les justiciables au Mali. La réaction des syndicats et les cris de cœur de nombreux citoyens maliens sont des démentis cinglants à l’affirmation auto satisfaisante du ministre de la justice selon laquelle 72% des maliens sont satisfaits de leur justice.
Faut-il désormais bomber les muscles pour faire fléchir la justice malienne ?
Cette question a sa réponse dans cette célèbre phrase de Montesquieu : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Les syndicats et certains religieux ont certainement compris ce message, c’est pourquoi ils ont agi contre des décisions qu’ils ont jugées arbitraires et abusives. Les deux couches que sont les syndicats et certains religieux viennent de lancer un message clair à la justice malienne, au lieu de s’auto évaluer et de se donner une bonne note, elle doit plutôt faire sa mue afin de redorer son blason et d’embellir son image écornée. Aucun pays au monde ne peut se développer sans une justice juste qui équilibre les rapports de collaboration entre riches et pauvres et entre puissants et faibles. Seule la justice peut transformer une jungle où règne la loi du plus fort ou du plus nanti en une société où tous les hommes naissent libres et égaux en droits. C’est cela que les citoyens attendent de leur justice.
Youssouf Sissoko
L’Alternance