Le Mali a longtemps été un des principaux bénéficiaires de l’aide internationale canadienne. Pourtant, Ottawa semble complètement absente de la transition en cours à Bamako, après un coup d’État militaire qui a balayé la classe politique au pouvoir.
Les événements du 18 août dernier au Mali demeurent nébuleux. Ce matin-là, un groupe de soldats rebelles occupent une base militaire à Kati, à une quinzaine de kilomètres de Bamako, avant de se diriger vers la capitale pour y arrêter le président Ibrahim Boubacar Keïta (dit IBK) et son premier ministre Boubou Cissé.
Après quelques heures de confusion, IBK apparaît à la télévision nationale. Derrière son masque chirurgical bleu, il annonce sa démission et officialise ainsi le quatrième coup d’État depuis l’indépendance du Mali en 1960. Rapidement, la rue célèbre son départ — elle qui réclamait depuis des mois la démission de son gouvernement jugé corrompu et inefficace.
Les semaines qui ont suivi ont été à l’image du putsch : floues et imprévisibles. Les délégations étrangères se sont succédé à Bamako pour tenter tant bien que mal d’influencer la délicate transition en cours.
La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a envoyé en urgence ses émissaires à Bamako et le président français Emmanuel Macron a multiplié les appels à « rendre le pouvoir aux civils ». Idem pour l’Union africaine, l’Union européenne et les Nations unies, qui ont rapidement condamné le putsch.
Pour Ottawa, l’occasion était idéale pour jouer un rôle de médiateur et muscler sa diplomatie africaine. Le gouvernement Trudeau est toutefois resté remarquablement discret sur la question malienne, en dépit des liens importants qui unissent les deux pays — et surtout, des centaines de millions de dollars versés au Mali en aide internationale. Le Canada devra donc probablement se contenter d’un rôle de spectateur devant un changement de régime qui risque de bouleverser le paysage politique au Sahel et en Afrique de l’Ouest.
« Pour Ottawa, l’occasion était idéale pour jouer un rôle de médiateur et muscler sa diplomatie africaine. Le gouvernement Trudeau est toutefois resté remarquablement discret sur la question malienne, en dépit des liens importants qui unissent les deux pays — et surtout, des centaines de millions de dollars versés au Mali en aide internationale. »
Le dernier coup d’État militaire en 2012 avait plongé le Mali dans le chaos et ultimement permis à des groupes djihadistes de contrôler les deux tiers du pays. C’est à cette époque que des combattants d’une variété de groupes — notamment liés à Al-Qaïda — avaient pris le contrôle des villes de Gao, de Kidal et de Tombouctou. L’occupation avait été brutale pour la population, soumise à une forme draconienne de la charia. Selon l’IOM, cette crise a fait quelque 300 000 déplacés et 185 000 réfugiés.
Ottawa condamne, mais n’agit pas
Le traumatisme de 2012 explique sans doute la réaction de la communauté internationale dans les heures qui ont suivi le coup du 18 août. Le ministre canadien des Affaires étrangères a « fermement » condamné les mutins, une formule diplomatique habituellement réservée aux manquements les plus graves. François-Philippe Champagne déclarait également travailler avec la Cédéao, l’Union africaine et l’ONU pour « assurer le retour à l’ordre constitutionnel ».
Plus d’un mois plus tard, on ignore cependant la nature du travail diplomatique accompli par Ottawa. S’il ne faut pas écarter la possibilité que des diplomates canadiens s’activent en coulisses, le ministre Champagne n’a émis aucune autre déclaration à ce sujet et surtout, sa condamnation ne s’est pas accompagnée d’actions — ou de sanctions — concrètes.
C’est pourtant la stratégie qu’on choisit plusieurs acteurs étrangers pour tenter de faire pression sur la junte militaire. L’Union européenne a par exemple suspendu ses missions de formation des forces de sécurité maliennes, tout comme les États-Unis, qui ont temporairement stoppé toute coopération militaire avec le Mali.
Pour ce qui est de la Cédeao, elle a imposé un embargo financier au Mali qui restera en vigueur en attendant le retour des civils au pouvoir. D’autres acteurs régionaux — le Maroc, par exemple — tentent plutôt de tisser des liens avec la nouvelle garde en multipliant les rencontres avec les autorités de transition.
Si le Canada est demeuré absent (ou très discret) de ce dossier, ce n’est pas faute d’avoir des intérêts au Mali, notamment dans le secteur minier. Le géant canadien B2Gold y exploite en effet une gigantesque mine d’or depuis 2017, tout comme la société québécoise Ressources Robex.
Plus important encore, le Mali est un de principaux bénéficiaires de l’aide internationale canadienne et a reçu quelque 1,6 milliards de $ dans les 20 dernières années, dont 140 millions en 2018-19. À cela s’ajoute les 200 casques bleus — déployés en 2018-2019 par le gouvernement Trudeau pour soutenir la mission onusienne au nord du pays. Selon la Presse canadienne, dix officiers de l’armée canadienne et cinq policiers se trouvent présentement à Bamako — et leur mission n’a pas été suspendue ou revue à la suite du coup d’État.
L’inaction d’Ottawa dans les tractations actuelles a fait réagir l’ex-ambassadrice Louise Ouimet, dans un billet en ligne. « Mon pays, le Canada semble absent des discussions à Bamako, du moins les médias ne le rapportent pas, alors que le Mali est un pays important de coopération internationale depuis plus de 40 ans », a regretté l’ancienne diplomate, qui était en poste au Mali de 2001 à 2005.
Une nouvelle garde à Bamako
Si la junte avait d’abord promis des élections « le plus vite possible », elle a finalement choisi la voie d’un gouvernement de transition avec pour président Bah Ndaw, colonel à la retraite et ex-ministre de la Défense. C’est lui qui pilotera le pays en attendant des élections prévues dans 18 mois.
Tout indique que les cartes sont déjà jouées et qu’il est trop tard pour que le Canada s’implique sérieusement dans la transition. « On ne peut pas arriver comme un cheveu sur la soupe quand on est un acteur relativement peu important au Mali », souligne l’expert Bruno Charbonneau.
Le professeur au Collège militaire royal de Saint-Jean croit que le Canada aurait pu jouer un rôle significatif de médiateur s’il s’était davantage impliqué dans le maintien de la paix — comme le gouvernement Trudeau l’avait promis au début de son premier mandat. Une promesse non-tenue, puisque le nombre de Casques bleus canadiens déployés a connu un creux historique sous le gouvernement libéral.
« Il y avait une énorme opportunité. On nous ouvrait les portes en pensant qu’on pourrait contribuer avec un rôle plus important au niveau politique et stratégique, même qu’on était prêt à donner le leadership de la MINUSMA [mission de l’ONU au Mali] aux Canadiens, rappelle l’expert. On aurait pu être plus important aujourd’hui si on n’avait pas manqué le bateau en 2016. »
Avec une influence limitée au Mali et l’absence d’une volonté politique du gouvernement Trudeau — qui est minoritaire et traverse une pandémie — le Canada risque fort bien de devoir composer malgré lui avec de nouveaux interlocuteurs à Bamako.
Faut-il pour autant revoir les liens diplomatiques avec le Mali, ou suspendre l’aide internationale? Pas selon Bruno Charbonneau. « Se retirer complètement à cause du coup d’État, ce n’est probablement pas nécessaire. Surtout étant donné la situation sécuritaire et humanitaire du pays. »
L’aide internationale canadienne gagnerait sans aucun doute à être plus structurée et à servir un agenda stratégique plus défini. Il semble néanmoins important de souligner que ces fonds prêtent assistance à des populations vulnérables qui n’ont jamais autant eu besoin de l’aide internationale. Et au-delà des intérêts géopolitiques étrangers, les civils maliens sont ceux qui ont le plus à perdre d’une transition ratée.
Open Canada