De l’époque de la dernière tentative de la Révision Constitutionnelle échouée en mi-2017 à nos jours, Dr Brahima FOMBA de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako n’est plus à présenter à personne pour ses exégèses véridiques sur les différentes situations politico-juridiques, voire institutionnelles qui se sont succédé dans le pays. D’ores et déjà, dans une analyse sans renom sur le processus de la relecture de Constitution déjà entamé sur instruction du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maiga sur ordre du président IBK. Il y expose les enjeux et les obstacles qui réservent peu de chance à l’aboutissement dudit processus .Lisez plutôt l’intégralité de son analyse que lui-même titre « L’intégrité du territoire, l’obstacle est là ! »
Au milieu du vacarme qui enveloppe déjà la nouvelle tentative enclenchée de révision constitutionnelle du Président IBK, l’écho de la question de l’atteinte à l’intégrité du territoire se fait entendre en nous rappelant l’interdiction absolue de l’engagement ou la poursuite de toute procédure de révision constitutionnelle. Au-delà du risque réel de tripatouille matériel que fait courir cette deuxième tentative de réforme, le défi majeur du nouveau projet présidentiel de révision constitutionnelle demeure celui de sa conformité à l’alinéa 3 de l’article 118 de la Constitution du 25 février 1992 selon lequel « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Au regard de cette disposition constitutionnelle, il faudrait se demander dans quelle mesure on peut soutenir de manière sérieuse que l’intégrité territoriale du Mali ne souffre actuellement d’aucune forme d’atteinte susceptible d’empêcher l’engagement ou la poursuite d’une procédure de révision constitutionnelle. Cette question paraît d’autant plus essentielle, car n’oublions pas que c’est le défaut criard de cette condition formelle qui avait alimenté la Plateforme « Antè A Bana » dont la farouche résistance avait finalement eu raison de la révision constitutionnelle de 2017 et contraint le Président IBK à la célèbre reculade de la nuit du 19 août 2017.
Si l’alinéa 3 de l’article 118 de la Constitution n’est pas qu’une disposition superflue condamnée au silence avant d’être rendue caduque face aux velléités politiques de tripatouillage constitutionnel, son invocation ne devrait aucunement être perçue comme un sacrilège. D’autant que la nouvelle aventure présidentielle de révision constitutionnelle se trouve dos au mur face à la persistance de l’atteinte à l’intégrité du territoire de notre pays.
Les fondements historiques de l’interdiction posée à l’Article 118
Un bref survol historique suffit à battre en brèche les élucubrations honteuses de la cour constitutionnelle du Mali qui s’est complètement ridiculisée dans son Avis n°2017-01/CCM/REF du 6 juin 2017 en prétendant faire dire à l’article 118 ce qui n’a jamais été ni l’esprit du constituant français de 1946 ni celui du constituant malien de 1992. D’un point de vue historique, l’article 118 de la Constitution n’a pas de parcours juridique puisant à des sources locales de notre pratique constitutionnelle, mais résulte plutôt du phénomène de mimétisme à l’origine de la transposition au Mali par la constituant de 1992 d’une disposition constitutionnelle française. Du coup, on ne saurait en appréhender correctement la philosophie qu’au regard de l’expérience française à l’origine de la disposition. À cet égard, il faut rappeler qu’en France, l’interdiction qui figure à l’alinéa 4 de l’article 89 de la Constitution de 1958 date déjà de la Constitution de 1946, en réaction contre ce que la France sous occupation avait connu avec les circonstances historiques de juin 1940 lorsque la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 avait autorisé le Maréchal Pétain à modifier la Constitution de 1875. Cette autorisation évidemment arrachée sous la pression de l’occupant nazi fut la preuve évidente de la perte de toute initiative de l’Assemblée nationale qui a préféré renoncer à ces prérogatives après la débâcle française de 1940. C’est cette expérience malheureuse du 10 juillet 1940 qui va conduire la Constitution française de 1946 à prévoir à son article 94 l’interdiction de toute révision en cas d’occupation de tout ou partie du territoire métropolitain par des forces étrangères. La même interdiction exprimée dans une nouvelle formulation différente est reconduite à l’alinéa 4 de l’article 89 de la Constitution de 1958 dans les termes suivants : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». En substance, la conditionnalité de « l’occupation du territoire métropolitain par des forces étrangères » a cédé la place à celle de « l’atteinte à l’intégrité du territoire ». Ce qui atteste bien que l’extranéité des forces d’occupation importe moins que le fait matériel d’atteinte à l’intégrité territoriale du pays qui en résulte. Le constituant malien s’est directement inspiré de cette nouvelle formulation de l’alinéa 4 de l’article 89 de la Constitution française de 1958.
L’alinéa 3 de l’article 118 reproduit mot pour mot l’alinéa 4 de l’article 89 de la Constitution française de 1958
Ce qui laisse supposer que la formulation de l’article 94 de la Constitution française de 1946 faisant le lien entre l’atteinte à l’intégrité territoriale et l’occupation par des forces étrangères ne lui pas paru pertinent. Comme la Constitution française de 1958 en son article 89 alinéa 4, l’alinéa 3 de l’article 118 dispose qu’ « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ».Le but recherché par le constituant de 1992et qui est le même que celui à l’origine de la disposition depuis 1946, est d’éviter, au moment où les citoyens et surtout les autorités ne sont plus libres de leurs décisions comme on voit bien que c’est le cas actuellement au Mali, une révision de la Constitution sous la pression. L’alinéa 3 de l’article 118 implique que quelle que soit la nationalité des forces d’occupation du territoire lors de conflits armés, l’atteinte à l’intégrité territoriale qui en résulte interdit toute procédure de révision constitutionnelle, afin d’empêcher des modifications éventuelles qui n’auraient peut-être pas pu été envisagées en temps normal. Par ailleurs, toute révision constitutionnelle engagée doit être stoppée en cas de survenance des mêmes circonstances. Il faut préciser ici, contrairement à certaines interprétations, que l’interdiction dont il est question à l’alinéa 3 de l’article 118 ne vise pas en tant que tel le référendum constitutionnel, mais plutôt l’engagement de la procédure de révision dans un premier temps, puis dans un second temps l’arrêt d’une telle procédure qui serait en cours. Pour être plus précis, le respect de l’alinéa 3 de l’article 118 au regard d’une situation d’atteinte à l’intégrité du territoire exclu d’office l’étape du référendum constitutionnelle qui n’apparaît que comme l’aboutissement d’une procédure de révision constitutionnelle qu’on n’est pas fondé à engager. Comme en 2017 et peut-être même en pire, le projet présidentiel de révision constitutionnelle doit lever la contrainte majeure de la persistance aggravée des atteintes répétées à l’intégrité du territoire qui pourraient le faire tomber sous le coup de l’alinéa 3 de l’article 118.
Une persistance aggravée de situations d’atteinte à l’intégrité du territoire
La notion d’intégrité renvoie à l’état d’une chose, d’un tout qui est entier, qui a toutes ses parties et qui n’a subi aucune altération. Du point de vue territorial, elle suppose l’interdiction de toute atteinte à la consistance physique du territoire d’un Etat ou à son unité politique, étant entendu que le territoire constitue le substrat matériel de la souveraineté. L’intégrité du territoire national suppose le droit pour tout État de déployer la plénitude de ses prérogatives, d’exercer toutes les compétences étatiques sur l’ensemble de son territoire national. Toutes choses qui sont chimériques à Kidal et dans nombre de localités du centre du pays ! Depuis l’invasion barbare du nord du Mali en 2012 par des groupes rebelles armés aux velléités sécessionnistes affichées et assumées face à la République souveraine du Mali, l’État vit dans cette région, en dépit de l’Accord de Ouaga du 18 juin 2013 et du fameux Accord d’Alger de 2015, sous un régime de cohabitation territoriale présentée de manière hypocrite comme une forme de préservation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté du pays. Il ne s’agit en vérité que d’un partage de souveraineté et de parcelles territoriales qui ne dit pas son nom, entre l’État du Mali et des groupes armés. Pire, ces groupes armés font finir par chasser comme un malpropre, l’État malien de « leur territoire »et à le dépouiller de sa petite parcelle de souveraineté au nord, mettant ainsi au grand jour, la grave atteinte portée à l’intégrité territoriale du pays. En ce qui concerne la région de Mopti, une partie des régions de Ségou et Koulikoro, on compte aujourd’hui de nombreuses localités où les lois de la République sont bannies ainsi que les institutions administratives de l’État et tous ses symboles de virilité. À Kidal et dans ces localités de Mopti, Ségou et Koulikoro, l’État malien est aux abonnés absents face des forces d’occupation irrégulières qui en ont fait des enclaves, des sortes de sanctuaires ou « no man’s lands » sur le territoire national où la République est déclarée « personae non grata » et frappée d’interdiction d’entrée et de séjour sauf autorisation expresse préalable négociée avec les autorités de facto qui y font leurs lois. La dernière présidentielle des 29 juillet et 12 août 2018 a apporté la preuve irréfutable de l’absence totale d’exercice de toute souveraineté étatique dans ces territoires perdus où se sont des groupes armés qui, en lieu et place du pouvoir d‘État, ont régenté à leur guise pour ne pas dire manipulé les électorales au mépris souverain des lois de la République. C’est cet état de fait caractéristique d’atteintes grave à l’intégrité du territoire national au sens de l’article 118de la Constitution, qui explique le chantage auquel les autorités semblent avoir été soumises lors de cette présidentielle. Tout laisse croire que des promesses auraient pu avoir été faites moyennant la tenue du scrutin présidentiel y compris le tripatouillage de la Constitution. Toutes choses que le Constituant de 1992 a voulu éviter en s’opposant à toute révision de la Constitution dans les périodes d’atteinte à l’intégrité du territoire propice à la soumission de l’Etat à des chantages. Il est évident que le tripatouillage envisagé de la Constitution n’est que la rançon du chantage de groupes armés grossièrement enveloppé dans l’Accord d’Alger. Ce n’est ni plus ni moins qu’une confiscation de la souveraineté nationale du peuple tout entier par une ses fractions. L’avis honteux de la Cour constitutionnelle sur « l’insécurité résiduelle » et l’histoire « des forces étrangères d’occupation » ne doit pas faire jurisprudence ! La Cour constitutionnelle frappée de discrédit institutionnel par sa servilité et son expertise douteuse en droit, va très certainement pondre de nouveau, ses calamiteux avis et arrêts qui font si honte à l’État de droit et à la démocratie. Nous le croyons en toute objectivité, car cette Cour constitutionnelle a tellement fait preuve de légèreté jurisprudentielle et d’approximations juridiques qu’il serait naïf de croire qu’elle va se ressaisir. Ainsi, qui sera assez naïf pour espérer attendre une interprétation juridiquement saine de l’alinéa 3 de l’article 118 de la part d’une Cour constitutionnelle qui ne comprend même pas la notion d’intégrité territoriale ? Souvenons-nous -en ! La Cour constitutionnelle saisie dans le cadre de la procédure consultative référendaire pour se prononcer sur la loi n°2017-031/AN-RM du 2 juin 2017 portant révision de la Constitution, avait émis l’Avis n°2017-01/CCM/REF du 06 juin 2017 qui en est arrivé à la honteuse et minable conclusion suivante: «L’intégrité territoriale, au sens du droit international, s’entend du droit et du devoir inaliénable d’un État souverain à préserver ses frontières de toute influence extérieure. En l’état, celle du Mali n’est pas compromise par l’occupation d’une quelconque puissance étrangère…En conséquence, la présente loi est conforme aux dispositions des alinéas 3 et 4 de l’article 118 de la Constitution ». Que d’élucubrations, d’arguties juridiques et de démonstrations laborieuses et lamentables pour parvenir à une telle aberration ! La Cour expliquait qu’elle ne retient de la notion d’intégrité territoriale que le fait pour un État de préserver ses frontières des influences extérieures afin qu’il ne soit occupé par des puissances étrangères. Une telle compréhension de l’atteinte à l’intégrité territoriale telle qu’elle résulte de l’alinéa 3 de l’article 118 de la Constitution est tout simplement aberrante. Car même en France d’où nous tirons cette disposition constitutionnelle, la doctrine n’a aucunement réduit l’atteinte à l’intégrité territoriale à l’occupation du pays par une puissance étrangère. En aucun cas, cet élément d’extranéité ne peut constituer le seul facteur d’atteinte à l’intégrité territoriale d’un pays (voir l’ouvrage « La Constitution de la République française : Analyse et commentaires » sous la direction de François LUCHAIRE et Gérard CONAC, Economica, 2ème Edition, 1987. Page 1328). Traitant de la signification de la notion d’intégrité du territoire mentionnée à l’alinéa 4 de l’article 89 de la Constitution française, ces auteurs écrivent: « On peut se demander si l’alinéa 4 ainsi libellé ne se réfère pas à une conception plus extensive des situations de crise, rendant impossible toute révision du texte constitutionnel…L’intégrité du territoire peut être atteinte, sans que tout ou partie du sol national soit effectivement occupée par des forces étrangères ».La subtilité juridique paraît sans doute trop compliquée pour la Cour constitutionnelle. L’intégrité territoriale qui exprime territorialement la souveraineté est à la fois la capacité d’un Etat à diriger librement la vie politique intérieure de son peuple et sa capacité à se préserver à travers ses frontières et être reconnu des autres États comme indépendant. En fait, la préservation de la frontière n’est pas exclusive de la préservation de l’intégrité territoriale à travers l’exercice de l’autorité de l’État à l’intérieur de cette frontière. À cet égard, dès lors que des individus venant de l’intérieur ou de l’extérieur prennent des armes pour revendiquer une partie du territoire national et se l’arroger de force, il y a atteinte à l’intégrité territoriale. La démonstration fallacieuse de l’amalgame que la Cour fait entre intégrité territoriale, préservation des frontières et puissances étrangères est réductrice de la portée d’une notion dont les implications au plan national en termes d‘exercice de la souveraineté et de l’autorité de l’Etat sont évidemment essentielles. L’atteinte à l’intégrité territoriale d’un État impliquant la remise en cause de son autorité sur des portions de son territoire national peut bel et bien être du fait de « puissances » non étrangères comme les groupes rebelles qui font la loi à Kidal et dans des localités du centre du pays. À l’intérieur de son territoire, l’État souverain est protégé par le principe de l’intégrité territoriale qui signifie la faculté pour lui d’exercer l’ensemble des pouvoirs qui s’attachent à sa qualité d’autorité publique étatique. C’est dans le même sens que Nguyen Quoc DINH, Patrick DAILLIER et notre ancien Professeur Alain PELLET s’expriment dans leur ouvrage « Droit international public, LGDJ, 4ème Édition, Page 440) : « Sur son territoire, l’État se comporte normalement en souverain et l’ensemble de ses compétences est traditionnellement désigné par la formule « souveraineté territoriale » ou « compétence territoriale majeure ». C’est justement cette « souveraineté territoriale » ou « compétence territoriale majeure »qui est gravement atteinte à Kidal et même sur d’autres parties du territoire national. En réduisant la portée de l’intégrité territoriale du Mali à la seule préservation de ses frontières des influences extérieures sous forme d’occupation par des puissances étrangères, la Cour signe l’acte de constitutionnalisation de l’occupation de fait de Kidal par les rebelles de la CMA. Elle se rend en quelque sorte complice de la situation d’occupation de fait de Kidal par les rebelles de la CMA qui y agissent en autorité politique territoriale exerçant toutes les fonctions de commandement sur cette localité coupée du reste du pays.