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1848 : la France républicaine abolissait l’esclavage
Le 27 avril 1848, il y a cent soixante-dix ans, la IIe République naissante abolissait l’esclavage dans les colonies françaises. Acquis aux idées du mouvement abolitionniste, le gouvernement républicain qui a succédé à la Monarchie de Juillet, a mis fin à un terrible paradoxe français : comment la condition servile pouvait se perpétuer dans le pays qui avait proclamé les droits de l’homme ? Pour le chef de file des anti-esclavagistes, Victor Schoelcher, l’esclavage était « un crime de lèse-humanité ».
Par Tirthankar Chanda –
La deuxième fois sera la bonne. C’est la Convention révolutionnaire de 1794, animée par les idées des députés Dufray et Danton, qui proclama la première fois l’abolition de la traite et de l’esclavage dans les colonies françaises. Mais Napoléon Bonaparte les rétablit en 1802. Il faudra ensuite attendre l’avènement de la Deuxième République en 1848 pour les voir définitivement abolis dans les colonies françaises. Entre-temps, grâce aux campagnes menées depuis près d’un demi-siècle par les mouvements anti-esclavagistes, l’opinion publique était devenue massivement abolitionniste, raconte Marcel Dorigny, grand spécialiste de l’esclavage en France. (1)
Deux mois, en effet, suffiront au gouvernement provisoire, arrivé au pouvoir en février 1848, pour mettre fin à un régime social et économique vieux de plus de trois siècles. Le décret d’abolition était signé par le sous-secrétaire d’État à la Marine chargé des Colonies, Victor Schoelcher, qui avait convaincu François Arago, son ministre de tutelle, de prendre de toute urgence des mesures en faveur des esclaves. Cette décision humaniste, et surtout politique, car la révolte grondait dans les colonies, fit de la France l’un des premiers pays abolitionnistes. Derrière l’Angleterre où l’esclavage avait été aboli dès 1833, mais devant les autres bastions esclavagistes tels que les États-Unis, le Brésil et Cuba où la pratique de l’esclavage se poursuivra pendant encore plusieurs décennies.
11 millions d’Africains déportés
À l’origine de l’esclavage colonial, la traite négrière atlantique organisée par les Européens à partir du XVIe siècle pour exploiter les richesses et les immenses territoires de l’Amérique que ceux-ci venaient de découvrir. Cet odieux commerce transatlantique fut l’une des plus massives entreprises de déplacement forcé d’êtres humains. À partir du milieu du XVe siècle jusqu’au XIXe, on estime qu’environ 11 millions de captifs furent déportés d’Afrique vers les Amériques et les îles de l’Atlantique pour travailler dans les plantations ou les mines du Nouveau Monde. 9,6 millions seulement arrivèrent à destination, les autres ayant péri durant la traversée.
Réduits en esclavage, les survivants trimaient sous la contrainte dans des conditions extrêmement dures, ce qui explique qu’en moyenne, l’espérance de survie d’un esclave de plantation dépassait rarement dix ans. Vendue aux enchères sur les marchés aux esclaves, cette main-d’œuvre servile était destinée à travailler à vie, sans salaire, sous la houlette des commandeurs impitoyables.
La plupart des nations européennes ont participé à la traite et l’esclavage colonial. Avec 1,6 million d’Africains amenés de force dans les colonies françaises des Antilles, mais aussi à La Réunion et à l’île Maurice dans l’océan Indien, la France fut l’un des acteurs principaux de ce véritable crime contre l’humanité, derrière l’Angleterre et le Portugal.
Si, dès le début de la traite atlantique, des voix se sont élevées pour protester contre le sort réservé aux esclaves noirs, le grand public les a vus pendant longtemps comme des « biens meubles » guère différents de bêtes de somme. L’esclavage avait été légalisé sous l’Ancien régime par le Code noir, œuvre de Colbert qui fut ministre de Louis XIV. Ce code qui régissait la vie et la mort des esclaves dans les colonies, donnant à leurs maîtres le droit de les fouetter, d’enchaîner et de mutiler, demeurera jusqu’en 1848 le texte de référence de la législation esclavagiste.
« Une âme bonne dans un corps tout noir »
L’émancipation des esclaves africains dans les colonies françaises que nous commémorons en cette année d’anniversaire fut le résultat de trois siècles de combats. Les meilleurs combattants contre l’esclavage furent les esclaves eux-mêmes. Par leur résistance passive allant jusqu’au suicide ou l’avortement, par leurs actions de sabotage, leurs révoltes et leur fuite (le marronnage), ils livraient une bataille de chaque instant contre un système de servitude inhumain jusqu’à le rendre fragile et peu viable. La crainte de voir la population servile se soulever, comme elle l’a fait à maintes reprises et souvent dans un bain de sang (Saint-Domingue 1791, Jamaïque 1832…), n’était pas étrangère à l’accélération des processus de libération au XIXe siècle.
Parallèlement, dans les métropoles, le combat contre l’esclavage était livré par les abolitionnistes européens. Leurs précurseurs se trouvaient parmi les religieux en rupture avec la position officielle de l’Église, puis au sein des philosophes français des Lumières. Les hommes les plus illustres du XVIIIe siècle tels que Montesquieu, Condorcet, Rousseau, Diderot, pour ne citer que les plus connus, ont dénoncé l’horreur de la traite, ébranlant à travers leurs écrits ses fondements moraux. « Ceux dont il s’agit sont si noirs, depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l’idée que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir », écrivait Montesquieu dans un passage de L’Esprit des lois (1748), tournant en dérision les préjugés raciaux par lesquels les colons et négriers européens justifiaient l’esclavage.
Les condamnations visaient aussi la pertinence économique de l’entreprise esclavagiste sous la plume des penseurs du libéralisme naissant. Ceux-ci pointaient du doigt l’archaïsme du labeur forcé. Pour les milieux d’affaires, l’esclavage constituait un frein à l’essor de l’économie nouvelle fondée sur le travail libre et le développement du marché. Ce sont ces idées et thèmes que les sociétés anti-esclavagistes qui se mettent en place à la veille de la Révolution française vont contribuer à faire connaître et populariser, préparant le terrain intellectuel pour la première abolition de l’esclavage en 1794. Leur principal porte-parole était un certain marquis de Mirabeau, dont les interventions à la tribune de l’Assemblée constituante étaient redoutées par le lobby des colons et des armateurs.
Vers l’émancipation
Le 4 août 1794, les Conventionnels révolutionnaires, menés par un autre réformateur acharné, l’abbé Grégoire, votèrent la première abolition de l’esclavage. C’est une date majeure sur la voie de l’émancipation, même si l’expérience sera de courte durée, avec Bonaparte rétablissant l’ancien ordre dès 1802. Ce retour en arrière était très mal vécu par les anciens esclaves. Ayant goûté à la liberté pendant les huit ans qu’a duré la première abolition, les esclaves ne se contenteront plus de la vie servile dans laquelle le décret du 20 mai 1802 les avait replongés.
D’ailleurs, Haïti qui fut la plus grande colonie française dans les Caraïbes ne se laissera pas imposer l’asservissement, malgré l’envoi par Paris d’une troupe expéditionnaire forte de 35 000 hommes. L’indépendance de Haïti, où « la négritude s’est mise debout pour la première fois », selon le poète martiniquais Aimé Césaire, eut un immense écho dans les imaginaires des Noirs et des Blancs.
Pour la première fois, une population servile s’arrachait à ses chaînes et fondait un nouvel État. La cause haïtienne avait aussi une dimension romantique grâce à la figure du héros de l’indépendance haïtienne, Toussaint Louverture, dont la légende inspira poètes et essayistes, jusque dans la métropole.
Après la chute de Napoléon (1815), le courant abolitionniste reprendra progressivement son essor. Cela se traduit par la création en 1834 de la Société française pour l’abolition de l’esclavage (SFAE). Cette dernière deviendra le principal interlocuteur du gouvernement français sur la question des colonies. Or, si les libéraux au pouvoir à Paris étaient acquis intellectuellement aux thèses antiesclavagistes, ils voulaient en bons hommes d’ordre concilier leur idéal et les intérêts des colons, et des armateurs qui constituaient un lobby puissant. C’est dans ce contexte que l’Angleterre abolit, en 1833, l’esclavage dans ces colonies, donnant une nouvelle impulsion aux revendications pour l’émancipation des esclaves dans les colonies françaises. La France paraît en retard dans ce domaine, après avoir été en 1794 le pays précurseur de l’émancipation. Mais le gouvernement de Louis-Philippe, en bout de course, n’osait pas prendre le virage décisif, bien que le refus d’affranchir paraisse de moins en moins défendable.
Un libérateur d’esclaves nommé Victor Schoelcher
Changement de donne en 1843 avec la prise de pouvoir par des Républicains radicaux au sein de la SFAE. Victor Schoelcher, déjà notoirement engagé dans le combat abolitionniste, faisait partie de la nouvelle équipe dirigeante du mouvement. C’est sous l’impulsion de ce dernier qui prônait l’éradication pure et simple de l’esclavage que la SFAE radicalisa ses positions et fit campagne pour réclamer l’abolition immédiate.
Né dans une famille bourgeoise, l’homme avait abandonné l’entreprise paternelle de porcelaine pour se consacrer à des activités philanthropiques, à la suite d’un voyage dans les Caraïbes à la fin des années 1820. Il avait été horrifié par les mauvais traitements infligés aux esclaves. Devenu journaliste et militant politique à son retour à Paris, il avait pris, après la mort de l’abbé Grégoire, le relais de la lutte contre l’esclavage, en multipliant des articles et des ouvrages faisant le point sur la réalité du phénomène dans les colonies françaises. « Il est impossible d’introduire l’humanité dans l’esclavage. Il n’existe qu’un moyen d’améliorer réellement le sort des nègres, c’est de prononcer l’émancipation complète et immédiate », écrivait-il en 1847, en préambule de sa volumineuse Histoire de l’esclavage pendant ces deux dernières années qui regroupe tous ses articles.
Lorsque survient la Révolution de février 1848, Victor Schoelcher est appelé à siéger dans le gouvernement provisoire de la IIe République naissante. On connaît la suite de l’histoire. Le décret abolissant définitivement l’esclavage en France et dans les colonies françaises que le nouveau ministre signe le 27 avril 1848 est l’aboutissement d’un siècle de combats menés par les abolitionnistes. Leurs noms ornent aujourd’hui encore le mur de la bibliothèque que Schoelcher fit construire à Fort-de-France à la fin de sa vie. Le nom de Toussaint Louverture y côtoie ceux de Condorcet, l’abbé Grégoire, l’abolitionniste anglais Wilber Force et quelques autres. Des noms que connaissaient par cœur les 250 000 Noirs que le décret historique dont nous célébrons l’anniversaire cette année fit accéder à la citoyenneté de plein droit.
Deux mois, en effet, suffiront au gouvernement provisoire, arrivé au pouvoir en février 1848, pour mettre fin à un régime social et économique vieux de plus de trois siècles. Le décret d’abolition était signé par le sous-secrétaire d’État à la Marine chargé des Colonies, Victor Schoelcher, qui avait convaincu François Arago, son ministre de tutelle, de prendre de toute urgence des mesures en faveur des esclaves. Cette décision humaniste, et surtout politique, car la révolte grondait dans les colonies, fit de la France l’un des premiers pays abolitionnistes. Derrière l’Angleterre où l’esclavage avait été aboli dès 1833, mais devant les autres bastions esclavagistes tels que les États-Unis, le Brésil et Cuba où la pratique de l’esclavage se poursuivra pendant encore plusieurs décennies.
11 millions d’Africains déportés
À l’origine de l’esclavage colonial, la traite négrière atlantique organisée par les Européens à partir du XVIe siècle pour exploiter les richesses et les immenses territoires de l’Amérique que ceux-ci venaient de découvrir. Cet odieux commerce transatlantique fut l’une des plus massives entreprises de déplacement forcé d’êtres humains. À partir du milieu du XVe siècle jusqu’au XIXe, on estime qu’environ 11 millions de captifs furent déportés d’Afrique vers les Amériques et les îles de l’Atlantique pour travailler dans les plantations ou les mines du Nouveau Monde. 9,6 millions seulement arrivèrent à destination, les autres ayant péri durant la traversée.
Réduits en esclavage, les survivants trimaient sous la contrainte dans des conditions extrêmement dures, ce qui explique qu’en moyenne, l’espérance de survie d’un esclave de plantation dépassait rarement dix ans. Vendue aux enchères sur les marchés aux esclaves, cette main-d’œuvre servile était destinée à travailler à vie, sans salaire, sous la houlette des commandeurs impitoyables.
La plupart des nations européennes ont participé à la traite et l’esclavage colonial. Avec 1,6 million d’Africains amenés de force dans les colonies françaises des Antilles, mais aussi à La Réunion et à l’île Maurice dans l’océan Indien, la France fut l’un des acteurs principaux de ce véritable crime contre l’humanité, derrière l’Angleterre et le Portugal.
Si, dès le début de la traite atlantique, des voix se sont élevées pour protester contre le sort réservé aux esclaves noirs, le grand public les a vus pendant longtemps comme des « biens meubles » guère différents de bêtes de somme. L’esclavage avait été légalisé sous l’Ancien régime par le Code noir, œuvre de Colbert qui fut ministre de Louis XIV. Ce code qui régissait la vie et la mort des esclaves dans les colonies, donnant à leurs maîtres le droit de les fouetter, d’enchaîner et de mutiler, demeurera jusqu’en 1848 le texte de référence de la législation esclavagiste.
« Une âme bonne dans un corps tout noir »
L’émancipation des esclaves africains dans les colonies françaises que nous commémorons en cette année d’anniversaire fut le résultat de trois siècles de combats. Les meilleurs combattants contre l’esclavage furent les esclaves eux-mêmes. Par leur résistance passive allant jusqu’au suicide ou l’avortement, par leurs actions de sabotage, leurs révoltes et leur fuite (le marronnage), ils livraient une bataille de chaque instant contre un système de servitude inhumain jusqu’à le rendre fragile et peu viable. La crainte de voir la population servile se soulever, comme elle l’a fait à maintes reprises et souvent dans un bain de sang (Saint-Domingue 1791, Jamaïque 1832…), n’était pas étrangère à l’accélération des processus de libération au XIXe siècle.
Parallèlement, dans les métropoles, le combat contre l’esclavage était livré par les abolitionnistes européens. Leurs précurseurs se trouvaient parmi les religieux en rupture avec la position officielle de l’Église, puis au sein des philosophes français des Lumières. Les hommes les plus illustres du XVIIIe siècle tels que Montesquieu, Condorcet, Rousseau, Diderot, pour ne citer que les plus connus, ont dénoncé l’horreur de la traite, ébranlant à travers leurs écrits ses fondements moraux. « Ceux dont il s’agit sont si noirs, depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l’idée que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir », écrivait Montesquieu dans un passage de L’Esprit des lois (1748), tournant en dérision les préjugés raciaux par lesquels les colons et négriers européens justifiaient l’esclavage.
Les condamnations visaient aussi la pertinence économique de l’entreprise esclavagiste sous la plume des penseurs du libéralisme naissant. Ceux-ci pointaient du doigt l’archaïsme du labeur forcé. Pour les milieux d’affaires, l’esclavage constituait un frein à l’essor de l’économie nouvelle fondée sur le travail libre et le développement du marché. Ce sont ces idées et thèmes que les sociétés anti-esclavagistes qui se mettent en place à la veille de la Révolution française vont contribuer à faire connaître et populariser, préparant le terrain intellectuel pour la première abolition de l’esclavage en 1794. Leur principal porte-parole était un certain marquis de Mirabeau, dont les interventions à la tribune de l’Assemblée constituante étaient redoutées par le lobby des colons et des armateurs.
Vers l’émancipation
Le 4 août 1794, les Conventionnels révolutionnaires, menés par un autre réformateur acharné, l’abbé Grégoire, votèrent la première abolition de l’esclavage. C’est une date majeure sur la voie de l’émancipation, même si l’expérience sera de courte durée, avec Bonaparte rétablissant l’ancien ordre dès 1802. Ce retour en arrière était très mal vécu par les anciens esclaves. Ayant goûté à la liberté pendant les huit ans qu’a duré la première abolition, les esclaves ne se contenteront plus de la vie servile dans laquelle le décret du 20 mai 1802 les avait replongés.
D’ailleurs, Haïti qui fut la plus grande colonie française dans les Caraïbes ne se laissera pas imposer l’asservissement, malgré l’envoi par Paris d’une troupe expéditionnaire forte de 35 000 hommes. L’indépendance de Haïti, où « la négritude s’est mise debout pour la première fois », selon le poète martiniquais Aimé Césaire, eut un immense écho dans les imaginaires des Noirs et des Blancs.
Pour la première fois, une population servile s’arrachait à ses chaînes et fondait un nouvel État. La cause haïtienne avait aussi une dimension romantique grâce à la figure du héros de l’indépendance haïtienne, Toussaint Louverture, dont la légende inspira poètes et essayistes, jusque dans la métropole.
Après la chute de Napoléon (1815), le courant abolitionniste reprendra progressivement son essor. Cela se traduit par la création en 1834 de la Société française pour l’abolition de l’esclavage (SFAE). Cette dernière deviendra le principal interlocuteur du gouvernement français sur la question des colonies. Or, si les libéraux au pouvoir à Paris étaient acquis intellectuellement aux thèses antiesclavagistes, ils voulaient en bons hommes d’ordre concilier leur idéal et les intérêts des colons, et des armateurs qui constituaient un lobby puissant. C’est dans ce contexte que l’Angleterre abolit, en 1833, l’esclavage dans ces colonies, donnant une nouvelle impulsion aux revendications pour l’émancipation des esclaves dans les colonies françaises. La France paraît en retard dans ce domaine, après avoir été en 1794 le pays précurseur de l’émancipation. Mais le gouvernement de Louis-Philippe, en bout de course, n’osait pas prendre le virage décisif, bien que le refus d’affranchir paraisse de moins en moins défendable.
Un libérateur d’esclaves nommé Victor Schoelcher
Changement de donne en 1843 avec la prise de pouvoir par des Républicains radicaux au sein de la SFAE. Victor Schoelcher, déjà notoirement engagé dans le combat abolitionniste, faisait partie de la nouvelle équipe dirigeante du mouvement. C’est sous l’impulsion de ce dernier qui prônait l’éradication pure et simple de l’esclavage que la SFAE radicalisa ses positions et fit campagne pour réclamer l’abolition immédiate.
Né dans une famille bourgeoise, l’homme avait abandonné l’entreprise paternelle de porcelaine pour se consacrer à des activités philanthropiques, à la suite d’un voyage dans les Caraïbes à la fin des années 1820. Il avait été horrifié par les mauvais traitements infligés aux esclaves. Devenu journaliste et militant politique à son retour à Paris, il avait pris, après la mort de l’abbé Grégoire, le relais de la lutte contre l’esclavage, en multipliant des articles et des ouvrages faisant le point sur la réalité du phénomène dans les colonies françaises. « Il est impossible d’introduire l’humanité dans l’esclavage. Il n’existe qu’un moyen d’améliorer réellement le sort des nègres, c’est de prononcer l’émancipation complète et immédiate », écrivait-il en 1847, en préambule de sa volumineuse Histoire de l’esclavage pendant ces deux dernières années qui regroupe tous ses articles.
Lorsque survient la Révolution de février 1848, Victor Schoelcher est appelé à siéger dans le gouvernement provisoire de la IIe République naissante. On connaît la suite de l’histoire. Le décret abolissant définitivement l’esclavage en France et dans les colonies françaises que le nouveau ministre signe le 27 avril 1848 est l’aboutissement d’un siècle de combats menés par les abolitionnistes. Leurs noms ornent aujourd’hui encore le mur de la bibliothèque que Schoelcher fit construire à Fort-de-France à la fin de sa vie. Le nom de Toussaint Louverture y côtoie ceux de Condorcet, l’abbé Grégoire, l’abolitionniste anglais Wilber Force et quelques autres. Des noms que connaissaient par cœur les 250 000 Noirs que le décret historique dont nous célébrons l’anniversaire cette année fit accéder à la citoyenneté de plein droit.