La manœuvre est grossière voire grotesque. En confiant au Haut conseil islamique du Mali le soin d’ouvrir des négociations avec les chefs terroristes d’Ançar eddine Nord et Centre, Iyad ag Ghaly et Amadou Koufa, le gouvernement de la transition-Choguel Maïga en particulier-cherche à se faire un allié de poids à un moment où il s’engage résolument vers une prorogation de la durée de la transition au détour de la tenue des Assises nationales de la refondation de l’Etat. Ce forum, annoncé pour se dérouler du 25 octobre au 21 novembre prochain, ne servira que de cadre pour apporter un parfum de légitimité à une décision déjà arrêtée, le chef du gouvernement répétant à l’envie qu’un report de quelques semaines ou mois est parfaitement compréhensible et ne devrait faire de mal à personne.
Choguel veut bien se leurrer pour se donner bonne conscience car il sait mieux que quiconque que son projet de prorogation de la transition suscitera des remous à l’intérieur du pays et une déferlante de sanctions venant des partenaires africains et internationaux du Mali. Le Cadre d’échange des partis et regroupements politiques pour une Transition Réussie a déjà annoncé qu’il ripostera de façon appropriée à toute volonté du premier ministre d’imposer des Assises nationales de la refondation de l’Etat et un organe unique de gestion des élections auxquels il voue une sainte horreur. Les premières sont à ses yeux superfétatoires et éprouvantes pour la trésorerie publique déjà très mal en point. Le deuxième ne lui paraît pas applicable dans le timing prévu pour la transition. Ils ont en commun de participer à une machination visant à bousculer le calendrier électoral initial annoncé à des fins inavouables.
En visite à Bamako, dimanche dernier, le président en exercice de la CEDEAO, Nana Akuffo-Addo, a invité le chef de l’Etat, colonel Assimi Goïta, à veiller au strict respect de l’échéance convenue et » non négociable » (février 2022) pour le retour à un régime civil démocratiquement élu comme réaffirmé par le sommet de l’organisation sous-régionale, tenu le 16 septembre à Accra (Ghana). Faute de quoi les dirigeants de la transition s’exposeront à des sanctions ciblées. Il va de soi que la communauté internationale, comme à l’accoutumée, s’alignera sur l’attitude qu’adoptera la CEDEAO.
Des temps difficiles attendent donc les dirigeants provisoires du Mali s’ils s’entêtent à s’affranchir, par le biais d’Assises qui n’auront de nationales que le nom, une disposition clé de la charte de la transition elle-même issue des Concertations nationales de septembre 2020.Pour faire face aux agitations de la rue et à l’isolement accru dont le Mali fera l’objet dans le monde, ils auront besoin de s’adosser à une organisation puissante. Ils ne peuvent en trouver mieux que le Haut conseil islamique et son très influent président Chérif Ousmane Madani Haïdara.
Seulement voilà : le dialogue avec les chefs terroristes Iyad ag Ghaly et Amadou Koufa, responsables de la mort de centaines voire milliers de nos compatriotes civils et militaires et de dévastations massives, est un combat perdu d’avance et il est curieux que Choguel Maïga ne s’en soit pas aperçu. Pr Dioncounda Traoré, président de la transition politique de 2012-2013, s’y est essayé lorsqu’il fut nommé en 2019 Haut Représentant du président IBK dans le Centre du Mali. Ce fut un échec retentissant. Il y a quelques semaines le même Haut conseil islamique a conduit des négociations entre le bourreau Koufa et ses victimes, pour la plupart des sédentaires n’appartenant pas à sa communauté. Résultat : tout le cercle de Niono, bassin rizicole par excellence, est tombé sous le contrôle des terroristes et les braves populations obligées de choisir entre les massacres et l’exode en laissant derrière elles tous leurs biens.
Le dialogue avec les terroristes est impossible parce qu’ils exigent dans une société multiconfessionnelle l’application de la charia dans sa version la plus stricte, le paiement de la zakat, le port de la voile islamique pour toutes les femmes et les filles, la fermeture des écoles françaises déclarées « haram », le bannissement de toutes valeurs autres que celles prescrites par le Coran. En somme ils veulent et n’en ont jamais fait mystère transformer le Mali en un Etat islamique sur le modèle saoudien ou pire afghan. C’est absolument incompatible avec la constitution de 1992, toujours en vigueur, qui proclame que « le Mali est une république démocratique, laïque et sociale. » Une disposition capitale qui ne peut être mise en cause par une autorité transitoire.
Au-delà de l’incompatibilité entre le totalitarisme religieux et la liberté de la foi, entre la théocratie et la démocratie, Iyad ag Ghaly, l’homme par qui tous les malheurs actuels du Mali sont arrivés, est activement recherché par les services spéciaux de la France, des États-Unis d’Amérique et d’autres pays occidentaux pour avoir kidnappé leurs ressortissants. Certains d’entre eux ont été assassinés au motif que leurs gouvernements n’ont pas voulu verser les rançons réclamées. Sa tête est mise à prix par la CIA pour 5 millions de dollars soit 2 milliards et demi de nos francs. Lui et son frère dans les crimes d’enlèvement et d’homicide volontaire ne peuvent paraître nulle part en public. Ils seront arrêtés et, avec de la chance, traduits devant la CPI pour répondre de leurs forfaits. Dans le cas contraire ils subiront le sort qu’ils ont fait subir à des milliers d’innocents.
Enfin dernier point qui montre l’ineptie de ce dialogue : c’est l’Etat malien qui l’a sollicité parce qu’il se sait en position d’infériorité. Que peut-il donc en attendre ?
Saouti HAIDARA